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Le cerf-volant – Laetitia Colombani 

Laetitia Colombani est connue notamment pour avoir publié La tresse, un récit mêlant la vie de trois femmes en Inde, en Sicile et au Canada et mettant en exergue la chaîne de la mondialisation. Ce premier roman est un best-seller et fait l’objet d’un film du même nom, actuellement en salle.  

Le cerf-volant est le troisième roman de Laetitia Colombani, après Les victorieuses. On y retrouve son style fluide et accessible, très grand public et aux accents feel-good. Léna, une enseignante brisée par un drame familial, s’expatrie en Inde quelques mois. Bouleversée par le sort des enfants, et particulièrement des jeunes filles intouchables, elle entreprend d’ouvrir une école à Mahabalipuram, au Tamil Nadu, un Etat du sud de l’Inde. Sous couvert de bons sentiments, Laetitia Colombani dresse un tableau très informé de la vie en Inde et de la condition des plus démunis. Son roman se laisse volontiers dévorer et le sort de Léna, Preeti et Holy ne nous laisse pas indifférents.  
Le cerf-volant s’inscrit ainsi dans la lignée de La tresse en approfondissant d’une certaine façon le sort de Smirta, le personnage indien de La tresse.  

Pour développer cette thématique, je recommande aussi chaleureusement le livre de Rohinton Mistry, L’équilibre du monde, qui met précisément en lumière cette Inde que nous préférions sans doute ne pas connaître.  

Voir aussi :  

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L’équilibre du monde – Rohinton Mistry 

Rohinton Mistry est un auteur canadien né à Bombay en 1952. L’équilibre du monde est son deuxième roman. Il y rapporte le quotidien d’indiens désargentés dans une mégalopole indienne des années 70 : deux hommes issus d’une famille de tanneurs, l’oncle et le neveu, Ishvar et Omprakash, réussissent grâce à la persévérance du frère d’Ishvar et du père d’Omprakash, à gravir les échelons du système de castes pour devenir tailleurs. On suit ainsi leur parcours de l’atelier protégé d’un ami de la famille aux bidonvilles des grandes villes. Chacune de leur rencontre est l’occasion pour l’auteur de dépeindre le quotidien difficile de ceux qui se battent contre le sort qui leur est imposé à la naissance. Dina, leur patronne, a refusé les prétendants fortunés suggérés par son frère aîné pour épouser un homme qu’elle aime moins favorisé. Son logement est géré par une mafia locale qui n’a aucun scrupule à pressurer les plus pauvres. On croise aussi le roi des mendiants, à la fois exploiteur et sauveur de ceux qui n’ont plus rien, pas même des membres en état de bon fonctionnement. Shankar, le cul-de-jatte, n’est plus seulement un handicapé pitoyable dans les yeux de Rohinton Mistry. Il devient une source d’inspiration distribuant son sourire à qui veut bien le recevoir. Rien n’est simple, rien n’est figé. L’étudiant Maneck, a priori plus chanceux, n’a pas non plus la vie facile. L’auteur dresse un tableau vivant, animé, humain d’une Inde très éloignée des clichés bollywoodiens. Il ne s’agit pas seulement de dénoncer les injustices sociales, il s’agit d’en montrer l’équilibre instable et précaire, l’imbriquement inextricable des situations et des relations. L’entraide, l’écoute, l’empathie ressortent victorieux de ce grand marasme. Lorsqu’elles font défauts des vies s’effondrent.  

Rohinton Mistry a été primé pour chacune de ses publications. Incontestablement, il est un auteur à lire pour comprendre la société indienne la moins visible. Ses portraits sont toujours d’actualité et l’Inde des années 70 portent déjà en germe celle d’aujourd’hui.

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La Gana – Fred Deux

la-ganaLire La Gana, c’est avant tout, le vouloir. 950 pages en tout petit caractère. Le livre n’est pas « confortable » ni dans la forme ni dans le fond. Il ne s’adresse pas à tout le monde. Il s’adresse à qui veut bien voir et à qui a le cœur bien accroché.
La Gana, c’est le récit romancé de l’enfance de Fred Deux, autrement nommé Jean Douassot, artiste peintre et écrivain né en 1924 et décédé en 2015. Il a traversé le siècle et lorsqu’il publie La Gana en 1958, il a 34 ans – seulement ! Car il faut la lucidité d’un vieux monsieur pour écrire un bouquin pareil. On y suit le quotidien d’un enfant qui a plus ou moins 10 à 15 ans selon les moments du récit. Il vit dans une cave avec ses parents et sa grand-mère maternelle. De temps en temps, il va à l’école. Le plus souvent il écoute l’oncle que beaucoup croient fou. Tous se tuent à la tâche à l’usine, à la laverie, sur les trottoirs, de vols à l’étalage. De tout ce que la vie voudra bien leur laisser en sursis. Et c’est la tête dans le guidon, un jour après l’autre que l’on avance ou piétine à la suite du mouflet, en quête d’un bol d’air, d’une évasion. 950 pages condensées, cadenassées, compactées. Aucun avenir, peu d’espoir. Pas de fenêtre. Seulement les eaux qui remontent des égouts sous la table de la cuisine certains hivers, les rats qui fuient. Pour rêver d’autre chose, encore faut-il avoir l’intuition qu’autre chose est possible.

Alors voilà, La Gana marque son lecteur, le courageux qui osera s’y plonger et y rester des semaines durant, dans ce marasme sans fond. Dans cette misère sans misérabilisme, la lucidité est de mise, le sens rationnel frise le plus souvent avec la folie, la mort, les corps fatigués. Des plaintes, si peu. Des lâchetés, aussi. De l’amour, peut-être bien. Je crois sincèrement que cette plongée dans les bas-fonds parisiens de l’entre-deux guerres est une expérience nécessaire. De celles qui aident à penser l’humain et le voir tel qu’il est.

Le langage de Fred Deux fait preuve d’un tel réalisme, d’une telle lucidité, d’une telle capacité à rendre ces émotions compressées et si rarement exprimées verbalement que je ne peux qu’être séduite par ce mélange de fiction et d’éléments biographiques qui recomposent une vérité qu’aucun documentaire, qu’aucun roman conçu pour l’évasion n’aurait pu transmettre.

La première page pour vous mettre gentiment dans le bain :

« – Regarde toujours ton nombril et dis-moi ce que tu en penses, me demandait mon oncle.
L’oncle, frère du père, était dans la grande lignée de la famille. Comme les princes, il portait une cloche sur la tête et traînait toujours derrière lui un parfum violent.
Né sous un jour qui devait être aussi le mien plus tard, il n’avait pas d’autres amis que son frère, ma mère et moi.
Célibataire, très peu aimé des hommes, il passait sa vie à tirer ce qu’il pouvait d’elle.
Cela ne l’empêchait pas de tirer sur du vide et d’être toujours au bord du désespoir. il ne se rendait pas toujours compte qu’il vivait et c’était mon père qui devait discrètement le lui rappeler. Il est curieux de voir combien les gens peu causants se montrent discrets avec certains êtres. C’était le cas des deux frères. L’un, le père, devait, s’il voulait tenir un peu plus longtemps, déjouer tous les pièges, lorsqu’on veut vivre, même misérablement.
Surtout misérablement.
Le passe-temps favori de l’oncle était de regarder son nombril. ç’aurait pu être révoltant pour mon père qui n’avait pas un instant à lui pour ce genre de méditation. Il aurait pu aussi bien éloigner ce contemplateur d’une famille qui n’avait déjà que trop d’emmerdements à se caler une nourriture difficile à ramasser. Il aurait pu l’éloigner de moi. Le prétexte de l’exemple aurait suffi. Pourtant, j’eus l’impression que, loin de l’éloigner, il le retint avec nous et jamais avec un sentiment de pitié. »

 

Dizzy – Claire Veys

dizzyLe mois belge arrive à son terme et ma participation cette année a été certes limitée, mais de qualité. Inauguré avec Stefan Platteau, je le clos avec un court livre qui me tient particulièrement à cœur.

Peut-on croiser les destins des membres d’une même famille ? C’est là toute la question que me pose ce roman. Dizzy raconte l’histoire de rencontres plusieurs fois renouvelées  au cours des ans entre une mère, un fils, une petite-fille et ceux, autour, qui les observent et aiment dans leur totalité, pour ce qu’ils sont. Dizzy c’est aussi une ambiance forte d’alcool, de fumée, de blues, de coups et de gueule de bois, et surtout de tendresse… Chaque chapitre réduit à quelques pages impose sa dose de sensibilité et de bienveillance – à l’image de l’auteur qui sera présente au Festival du livre de Charleroi la semaine prochaine 😉

Dizzy, c’est aussi – ne l’oublions pas – un bel hommage à Blaise Cendrars dont les vers viennent émailler ou inspirer le récit.

Je recommande – à découvrir !

Il y avait cette photo. Elle n’était pas si vieille – à peine une vingtaine d’année, toute une vie pour elle. Accroché à cette photo, derrière, un vieux polaroid. La gamine aux cheveux courts, un peu plus âgée – cinq ou six ans, est à genoux sur un tabouret de piano, la main posée sur le clavier, droite et concentrée. A ses côtés, l’homme est assis, courbé, sur l’imposant instrument. La photo est mauvaise, la pièce enfumée. L’enfant tient l’homme par le cou, sa petite main, ses doigts potelés. A bien y regarder, sur ce vieux cliché, on pourrait presque voir les notes voler. Cette nuit-là, elle se souvient, elles les a vues, les notes, elle les as vu voler.


Dizzy – Claire Veys
Editions 100, 2016, 91 p.
Le site de l’auteur : https://cyves.wordpress.com


Et tout ce qui reste est pour toi – Xu Xing

60128_couverture_hres_0C’est par un article sur le cinéma que j’en suis venue à découvrir Xu Xing. Réalisateur de films documentaires depuis une large décennie, l’artiste a préalablement fait ses preuves en tant qu’écrivain, à tel point qu’il serait considéré comme le « père spirituel » de la jeunesse chinoise, si j’en crois son éditeur français. L’autre argument – futile à l’extrême – en faveur de Xu Xing est la terrible lettre X du challenge ABC, défi relevé !

Et tout ce qui reste est pour toi se présente comme un récit de voyage improvisé de Pékin à Berlin en passant par le Tibet. L’occasion pour le narrateur fauché de multiplier les rencontres aussi improbables que fâcheuses, voire dangereuses. Malgré le grand sens de l’ironie de l’auteur qui m’a fait sourire plus d’une fois, je suis souvent restée assez distante. La forme du récit de voyage ne me convient pas toujours, et il est très difficile de la renouveler avec succès. Pourtant, les dernières pages redressent à mon sens largement l’ensemble. De récit de voyage non-initiatique, le roman prend la tournure d’une très belle histoire d’amitié et d’un témoignage à la fois sarcastique et réaliste de l’exil.

Ces quelques lignes devraient vous donner une idée du style et de l’ambiance du livre :

Tôt le lendemain, le jeune type qui ne décolérait pas est venu me trouver pour me demander d’un air embarrassé si je voulais bien écrire une lettre à l’intention de sa lointaine fiancée au Sichuan. En un tour de plume, m’inspirant d’un échange entre Kafka et Felice, je lui en ai rédigé une : « Tout va bien pour moi, j’ai seize enfants de huit femmes différentes. Trois sont aveugles, sept sont muets et six complètement sourds. Ils sont tous encore plus laids que moi, épouse vite quelqu’un d’autre ! Si tu y tiens, trouve-toi quelqu’un comme James Bond, ne m’attends pas, ne t’occupe pas de moi, j’ai bien peur de ne jamais revenir vivant. » Après quoi je me suis empressé de prendre congé, je n’allais pas attendre la réponse !

Si vous connaissez l’auteur, ses livres ou ses films, n’hésitez pas à partager votre point de vue par mail ou au bas de ce billet. 😉


Et tout ce qui reste est pour toi – Xu Xing
Traduit du chinois par Sylvie Gentil
Editions de l’Olivier, 2003, 217 p.
Titre original : Shengxia de dou shuyu ni, 2003


Challenges concernés 

Challenge Multi-Défis 2016 : un livre dont le titre ne comporte pas d’article

 

 

 

Retour à Reims – Didier Eribon

retour_a_reims_livreLa dédicace d’En finir avec Eddy Bellegueule me faisait découvrir le nom de Didier Eribon. Depuis, Retour à Reims m’a été conseillé à plusieurs reprises par des personnes très différentes et généralement au goût assez sûr. Moi qui espérait prendre mes distances avec l’amertume d’Edouard Louis, j’en suis tout de même venue à lire son mentor. Sociologue renommé, homosexuel, et issu des classes ouvrières, le parcours de Didier Eribon fait effectivement écho à celui du jeune romancier.

Retour à Reims est une autobiographie sous forme d’essai mêlée d’éléments sociologiques. Il permet à son auteur de revenir sur son enfance et son parcours universitaire. Si en tant que sociologue, Didier Eribon s’est largement penché sur la question homosexuelle, celle des classes populaires est bien d’avantage au cœur de ce livre. Il y retrace les différentes étapes de sa vie, son propre transfert de classe et la manière dont il a été perçu par son entourage, la manière aussi dont il s’est distancié de sa famille. Son identité homosexuelle est abordée comme étant une des clés de son évolution intellectuelle et culturelle. A plusieurs reprises, il fait état du « mur de verre » auquel il a dû se heurter – et auquel toute personne faisant l’expérience d’un changement de groupe social se heurte – parce qu’il n’avait pas les codes de ce nouveau milieu. Il met en avant la manière dont les goûts sont modelés par l’environnement social : comment un fils d’ouvrier jugera presque systématiquement ridicule la représentation d’un opéra, summum du raffinement dans d’autres milieux. Avec recul et justesse, il revient sur son propre comportement, proche du snobisme, au début de sa vie étudiante lorsque, par exemple, il ne pouvait pas comprendre que ses camarades issus de classes aisées s’intéressent au football, sport largement répandu et apprécié dans les milieux ouvriers.

La force de Retour à Reims s’exprime dans l’absence de jugement, Didier Eribon – en bon scientifique – se contente d’observer à la fois ses propres réactions et celles de son entourage. Il constate l’existence de frontières psychologiques entre les différentes milieux sociaux et culturels, et par ce simple constat il fait à mon sens œuvre de résistance en invitant le lecteur à la réflexion. Loin de toute naïveté, Didier Eribon n’enjolive pas à posteriori le milieu dont il est issu, il en reconnaît les incohérences, notamment politiques – du vote communiste à la montée de l’extrême-droite – et endosse la casquette du sociologue pour développer ces questions. Il travaille ainsi à décrire les mécanismes de domination de classes et leur influence sur l’individu et sur le groupe auquel il appartient.

Retour à Reims est indéniablement un livre utile à tous – quelque soit la classe dont il est issu – , il m’invite surtout à creuser cette question du passage d’un environnement social à un autre, la manière dont les codes sont brisés ou intégrés, à comprendre plus largement la nature de ce fameux « mur de verre » entre soi et les autres. Notamment, je m’interroge sur cette transformation qu’ont connu les femmes du XXème siècle, de mère au foyer à travailleuse indépendante. Si l’identité sexuelle a pu impacter l’évolution culturelle et sociale de Didier Eribon, quid de l’identité sexuée dans d’autres milieux sociaux ?


Retour à Reim – Didier Eribon
Flammarion, 2010, 248 p.
Première publication : Fayard, 2009


Challenges concernés

Challenge multi-défis 2016 : un livre dont le titre comporte un nom de lieu

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Tu es une rivière – Chi Li

cvt_tu-es-une-riviere_3350Des trois romans de Chi Li que j’ai lu ces derniers mois, celui-ci est le plus ancien, publié pour la première fois en Chine en 1995, il a été traduit et diffusé en France en 2004 grâce aux éditions Actes Sud. Alors que Les sentinelles des blés et Trouée dans les nuages sont focalisés sur des périodes précises et charnières de la vie de leurs protagonistes, Tu es une rivière s’étend sur 25 ans et retrace le destin de tous les membres d’une famille à partir du décès prématuré du père à la veille de la Révolution Culturelle jusqu’à celui de la mère des années plus tard. On suit ainsi le destin de Lala mère célibataire de huit enfants aux ressources matérielles considérablement réduites. Fermement décidée à rester libre de ses choix, Lala refuse de se remarier et affronte au cours des ans la famine, la maladie, la folie de ses enfants, leur enrôlement au Parti ou leur départ pour les campagnes imposé par la Révolution qui gronde en permanence en arrière-plan.

Je m’attendais à lire un portrait de femme forte, fière quoique blessée par la vie, idéal peut-être aussi. C’était sans compter le sens de la nuance de Chi Li. Lala est une bien piètre mère dont les sursauts d’amour pour ses enfants sont trop rares pour être suffisants. Elle m’a semblé odieuse jusque dans ses moments de faiblesse, les difficiles relations qu’elle entretient avec sa fille aînée sont impitoyablement justifiées. En surfant sur Babelio, j’ai constaté que ce livre est tagué avec les mots-clés « douceur » et « compassion ». Si la douceur transparaît toujours dans le style de l’auteur malgré la noirceur des propos rapportés, j’ai bien du mal à discerner la compassion ici. Et pourtant, elle y est effectivement, marque indéfectible de Chi Li. Les rivalités au sein de la famille, les drames intimes sont dépeints avec autant de justesse et d’intensité que la cruauté des faits est décrite avec douceur et simplicité.

◊ Mes autres lectures de Chi Li sont recensées ici et l’incipit de Tu es une rivière est  ◊


Tu es une rivière – Chi Li
traduit du chinois par Angel Pino et Isabelle Rabut

Babel, 2006, 200 p.
Première traduction française : Actes Sud, 2004
Première publication : Ni shi yitiao hé, Jiangsu wenyi chubanshe, 1995


Challenge concerné

Challenge multi-défis 2016 : un récit historique asiatique

Soundtrack – Hideo Furukawa

1540-1Ce pavé là m’a été offert l’an dernier pour mon anniversaire. Je vous l’annonce tout de go, c’est une pépite… en forme de pavé. Autrement dit un lingot !

Soundtrack débute sur une île vierge au large du Japon. Deux enfants s’y sont retrouvés abandonnés, embarqués par les aléas de la vie. Ils y passent quelques années, vivant de ce que la nature leur prodigue, puis sont subitement ramenés à la civilisation. Sous l’ère Furukawa, le Japon est ravagé par le réchauffement climatique, les bas-fonds de Tokyo sont l’objet d’un minutieux portrait entre prostituées, hôpital des masses populaires, enfants des rues, corbeaux, cinéma, mafia… La petite bourgeoisie et ses écoles privée pour demoiselles n’est pas en reste. Les adolescents tracent leur vie sans oublier leur nature sauvage, leur rage, leur exception. Les rencontres improbables et fabuleuses se multiplient et la révolution gronde. Je n’ébauche qu’une infime partie des multiples pistes suivies par l’auteur, je vous en tais volontairement bien d’autres. Dans ce roman futuriste dont la musique est l’un des piliers, la vie, l’avenir et l’espoir ne sont pas en reste face à l’apocalypse imminente !

Ce roman m’a fait l’effet d’une énorme poussée vers l’avant, une bouffée de vie préservée aux enfers et débarquant par miracle dans un monde en ruines. Hideo Furukawa nous conte un avenir possible pour une planète ravagée par la pollution, la corruption et l’argent. Il invoque l’art, la nature, la rage, l’amitié, le mouvement, et crée une chimère à laquelle les hommes peuvent croire, enfin !

Dans le passé, sur l’île déserte de Chichijima, où Hitsujiko et Touta avaient vécu seuls, un puissant tremblement de terre provoqué par l’irruption d’un volcan sous-marin l’avait projetée en l’air. Hitsujiko n’avait jamais oublié l’expérience physique de cet instant, et depuis, elle mouvait son corps. Libérée de la pesanteur, c’était jusqu’à sa forme et sa silhouette qui s’étaient modifiées, et elle recherchait inconsciemment la réitération de cette expérience. Pour revivre cette joie pure, elle provoquait sans cesse des tremblements de terre dans son corps. A la moindre occasion, à l’intérieur d’elle-même. Mais plus maintenant. Depuis le marathon de natation, la joie qui la poussait n’était plus pure, la motivation de son désir de tremblement de terre avait changé. Elle était devenue extérieure à elle-même. Ce qui la faisait danser relevait d’une urgence indescriptible.


Soundtrack – Hideo Furukawa
traduit du japonais par Patrick Honoré
Philippe Picquier, 2015, 619 p.
Titre original : Soundtrack, 2003


Challenges concernés

Challenge Pavés 2015-2016
Challenge Multi-défis 2016  : un roman dans lequel la mer occupe une place essentielle

Nos mémoires apprivoisées – Valérie Cohen

51e8jx7gohl-_sx195_Le mois belge bat toujours son plein et je suis dans les temps pour vous parler de ce titre de Valérie Cohen, offert par Cyve il y a plus d’un an maintenant… Visiblement, elle s’acharne, elle aussi, pour faire circuler la culture belge au-delà de ses frontières ! 😉

Nos mémoires apprivoisées est le récit d’une rencontre improbable et fructueuse entre un vieux grincheux solitaire, sa journaliste de fille Claire, et la mystérieuse Audrey fraîchement sacrée miss Sans Domicile Fixe quelques mois après sa fuite du foyer familial. Adepte fervente des Témoins de Jéhovah, la mère de la jeune fille en a oublié le bien-être de ses enfants et leur a fait subir le pire. Le défi de rendre cohérent un tel micmac romanesque était extrêmement risqué, me semblait-il, il est pourtant savamment relevé ! Valérie Cohen sait manifestement allier le style et la construction littéraire pour permettre au lecteur d’effeuiller progressivement les carapaces bien accrochées de ses tendres personnages aux vies bousculées.

A son rythme, avec ses hésitations, ses blocages et ses élans de confiance, la rencontre se crée entre les protagonistes et prend tout son sens à l’échelle des destins individuels puis de la grande histoire en abordant le sujet sensible de la Shoah. L’ensemble, relativement scolaire, échappe toutefois aux jugements trop manichéens.

Une belle découverte en territoires belge et niçois !


Nos mémoires apprivoisées – Valérie Cohen
Editions Luce Wilquin, 2012, 190 p.


Challenges concernés

Challenge Multi-défis 2016 : un livre reçu pour un anniversaire

En finir avec Eddy Bellegueule – Edouard Louis

Mon libraire m’avait conseillé En finir avec Eddy Bellegueule au moment de sa sortie, je l’avais noté dans un coin de ma tête avec l’intention éventuelle d’y revenir plus tard. Les vacances familiales auront été l’occasion idéale. Surprise de le retrouver au supermarché du coin, je le recommandais à ma sœur qui s’est empressée de l’acheter, et de le dévorer (jusqu’au bout… fait suffisamment rare pour être noté), le refilant dans la foulée à ma mère qui n’en a fait qu’une bouchée. Devant un tel enthousiasme, j’ajoutais mon marque-page aux deux précédents, m’en saisissant dès que l’ouvrage était abandonné sur un fauteuil ou sur le coin d’une table.

Dans ce roman autobiographique, Edouard Louis nous rapporte son enfance picarde et ses premiers émois homosexuels dans un contexte intellectuel et économique foncièrement misérable. Dans un style extrêmement fluide sans être simpliste, avec un art maitrisé de la description des violences physiques et morales subies, l’auteur emporte le lecteur dans les méandres de sa jeunesse sans lui offrir, jamais, la moindre bouffée d’oxygène. Etouffé dans un milieu populaire où l’affection ne semble s’exprimer que par les coups ou la bêtise, En finir avec Eddy Bellegueule s’apparente à un roman catharsis, une revanche prise sur un destin qui semblait condamné par avance.
Je l’ai lu quasiment d’une traite, hésitant entre le dégoût et le malaise devant ce portrait familial sans concession, ne pouvant qu’acquiescer, constater la véracité des faits relatés, prise à témoin d’un récit que je ne peux pas imaginer fictif tant certains détails sont criants de déjà-vu. Il ne fait décidémennt pas bon être « différent » dans certaines de nos campagnes…

L’incipit me mettait pourtant au parfum : « De mon enfance je n’ai aucun souvenir heureux. »
Tout au long de ces 204 pages, je n’ai pu qu’espérer, désirer ardemment l’ébauche d’un signe de tendresse de la part du narrateur envers sa famille, ou de l’un des membres de l’entourage envers Eddy. Attente vaine. J’ai tourné la dernière page du roman il y a plus de dix jours, et je garde encore cette terrible amertume au fond de la gorge. N’y-a-t-il définitivement rien à sauver de l’enfance d’Eddy Bellegueule ?


En finir avec Eddy Bellegueule – Edouard Louis
Editions du Seuil, 2014, 204 p.


Challenges concernés
(cliquez sur les images pour les détails)