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Les barrages de sable – Jean-Yves Jouannais

Découvert lors d’une rencontre en librairie, Jean-Yves Jouannais m’avait littéralement séduite, pendue à ses lèvres je buvais ses paroles. Derrière l’écrivain se cache un conférencier hors norme – ou devrais-je dire : plus qu’écrivain, Jean-Yves Jouannais est conférencier. De fait, tout un chacun peut l’écouter sur scène lors d’une performance qu’il poursuit depuis 2009 au Centre Pompidou : L’encyclopédie des guerres. Chaque conférence est l’occasion d’ouvrir une entrée, dans l’ordre alphabétique, de cette encyclopédie. S’il est interdit d’avancer trop vite en passant outre certaines lettres, l’orateur s’autorisent des retours en arrière, des renvois vers des concepts clés qui s’étoffent un peu plus à chaque séance, au gré des improvisations. Les barrages de sables : traité de castellologie littorale est un essai/récit biographique issu de ces spectacles et dérivé de l’entrée « barrage » que l’auteur développe, dénoue, déroule en commençant son récit littéraire par ce réflexe primaire que nous avons tous, quel que soit notre âge, ce plaisir sans cesse renouvelé lors de nos vacances en bord de mer d’édifier des forteresses dans le seul but de les opposer à l’inexorable montée des eaux qui les détruira nécessairement.

De cette idée saugrenue, Jean-Yves Jouannais enchaine les anecdotes pour nous proposer une surprenante et probable vision de l’homme dans son combat contre l’incommensurable – certains n’y verront peut-être que des châteaux de sable…

Je suis aussi et surtout frappée de la démarche de l’auteur qu’il nous présente lors de cette rencontre – et développe également dans le livre. Une question l’obsède : en quoi la guerre le concerne-t-elle ? Cette interrogation est le point de départ à la fois du livre mais aussi de ses prestations à Beaubourg – où des psychanalystes viennent l’étudier comme un spécimen modèle de développement personnel. Elle est également à l’origine de la « bibliothèque de guerre » de l’auteur qu’il constitue en échangeant les ouvrages de son ancienne bibliothèque contre n’importe quel autre livre – peu importe le genre – concernant la guerre.

Cet engagement me fascine. Cet entêtement – plusieurs années – pour formuler enfin une question à laquelle il semble prêt à consacrer l’ensemble de ses jours à venir me sidère et me passionne. Je respecte et admire.

L’ensemble de ces idées et de nombreuses autres sur la guerre est synthétisé dans un style direct et rythmé dans Les barrages de sable. Alternant anecdotes familiales, rencontres incongrues et détails militaires, Jean-Yves Jouannais s’attèle avec humour à nous transmettre cette étrange passion hors des sentiers battus des discours historico-plombants. Bref, je recommande 😉


Les barrages de sable : traité de castellogie littorale – Jean-Yves Jouannais
Grasset, 2014, 208 p.


Challenge concerné
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Patagonie intérieure – Lorette Nobécourt

Emprunté en duo avec La clôture des merveilles, autre titre de l’auteur, j’ai lu Patagonie intérieure dans la foulée, avide des espaces littéraires promis par la couverture.

Patagonie intérieure est un court récit de voyage, à la fois géographique mais aussi et surtout spirituel. A la première personne, l’auteur nous rapporte son désir de prendre de la distance sur son quotidien et d’être seule. Elle quitte quelques temps mari et enfants. Le récit débute dans l’avion qui la mène de Marseille à Madrid, avant sa correspondance pour l’Amérique Latine. La narratrice est dérangée dans sa lecture des Elégies de Duino – la référence ne peut me laisser indifférente – par les propos de ses voisins de vol sur la cigarette. Avec justesse, les anecdotes sur la dépendance font mouche. Le laisser-aller de ses messieurs biens-comme-il-faut après quelques heures de voyage est risible. L’attente à l’aéroport, hors de toute frontière – temps suspendu – est précieuse de signification. Je m’y retrouve et les mots de Lorette Nobécourt font écho au vécu – au mien en tout cas.

Plus qu’un récit de voyage qui décrirait le pays à découvrir, Patagonie intérieure s’attache au déplacement physique de France au Chili, à la trivialité des modes de transports et aux mouvements intimes provoqués par cette pensée en marche.

L’écriture douce et introvertie se prête à merveille à l’exercice, et plus encore que pour La clôture des merveilles, je me laisse embarquer dans cette intimité admirablement exprimée. Une fois de plus, je suis séduite. Patagonie intérieure est né à la suite d’un véritable voyage au Chili que l’auteur réalisait afin de nourrir Grâce leur soit rendue, un roman paru précédémment. Je sais par quoi je vais continuer mes lectures…;)

D’autres avis chez Le lorgnon mélancolique et Des petits riens… Attention ! Ce second billet dévoile la fin du récit mais renvoie aussi vers une intéressante interview de Lorette Nobécourt donnée à l’occasion de la double sortie de Patagonie intérieure et de La clôture des merveilles.

Retrouvez également sur le site de l’auteur Les carnets de Patagonie diffusés en 2011 – préalablement à la publication de Patagonie intérieure – sur France Culture autour du roman Grâce leur soit rendue.

Challenges concernés
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La clôture des merveilles – Lorette Nobécourt

Je prends mes lectures dans le désordre. Après avoir chroniqué Alexis Jenni, je continue dans l’ambiance religieuse avec La clôture des merveilles.

J’ai découvert ce court roman juste après ma lecture de Moby Dick. Suite à plusieurs lectures infructueuses, Lorette Nobécourt semblait être la seule capable de capter mon attention plus de cinq minutes. Le style littéraire n’a pourtant strictement rien à voir avec celui de Melville – quel auteur pourrait-il s’en vanter ? – mais il me permet de sortir de mon « deuil littéraire post-chef-d’oeuvre » – ce qui est énorme ! Simple et fluide, l’écriture introspective de Lorette Nobécourt est parfaitement adaptée à cette vie romancée de H., celle dont on se souviendra sous le nom de Hildegarde de Bingen. De simple moniale, cette dernière deviendra l’une des âmes les plus influentes des siècles suivants. Insoumise et obstinée, elle fondera deux abbayes, s’adonnera à la littérature et restera dans nos mémoires comme l’une des plus grandes mystiques de la chrétienté.

Dans La clôture des merveilles, Lorette Nobécourt ne s’attache pas tant au récit historique et biographique de Hildegarde – bien qu’il soit très présent tout au long du roman – mais bien d’avantage à l’évolution spirituelle, aux émotions, voire aux relations quasi-amoureuses tant elles sont profondes, de H., simple nonne, femme. L’auteur en profite pour saupoudrer son propos d’écrits poétiques et des apports spirituels de sa protagoniste sur la notion de viridité notammenténergie intérieure perpétuellement renouvelée grâce à l’intervention de l’Esprit et comparable à celle qui fait croître les plantes.

Pour ma part, si le personnage de Hildegarde de Bingen m’interpelle, c’est bien l’écriture de l’auteur qui me séduit d’avantage ici. Je découvre Lorette Nobécourt avec La clôture des merveilles et je ne compte pas en rester là. J’espère revenir vers vous très prochainement pour vous parler d’un autre de ses romans, Patagonie intérieure.

Pour ceux d’entre vous qui souhaiteraient explorer l’écriture introspective, sachez que Lorette Nobécourt organise régulièrement des ateliers dans la Drôme – ambiance paradisiaque garantie !
Vous trouverez des précisions sur son site : http://lorettenobecourt.com/

Toutes les couleurs du monde – Giovanni Montanaro

002896553Ce livre m’a plu les trois premiers quarts, et puis tout s’écroule dans la dernière partie. Il se présente sous la forme d’une lettre à Van Gogh, incluant des extraits des lettres du peintre à son frère Théo. L’auteur de la lettre raconte sa propre histoire : un soir de tempête, Thérèse Sansonge, la narratrice, naît dans la rue d’une femme déjà âgée, qui meurt en couche. Une naissance pour le moins miraculeuse, qui frise avec le fantastique. La jeune Thérèse sera rapidement confiée à une famille du village de Geel, en Belgique. On la considère comme folle, non pas parce qu’elle l’est mais parce que ce statut permet à ses nouveaux parents d’obtenir une aide financière pour la prendre en charge. Puis elle commence à avoir des prémonitions, épargnant ainsi à de nombreux mineurs de mourir sur leur lieu de travail en les prévenant d’une explosion souterraine imminente. Le décor est planté… Enfin me semblait-il.

Intervient enfin le fameux Van Gogh, en couverture du livre. Par une nuit d’errance, il débarque dans le village de Geel où il rencontre Thérèse, se noue alors une histoire platonique entre les deux personnages que l’on voudrait fous. On ne retrouvera plus mention des pouvoirs surnaturels de notre protagoniste…

Tout s’écroule avec le départ de Van Gogh. Je ne peux pas vous en dire plus sans trop dévoiler l’histoire. De l’ambiance mystérieuse d’un village de fous dans la Belgique du XIXème siècle, on voit naître une étrange histoire d’amour ou d’amitié, puis finalement le livre devient un exposé obscène des hôpitaux psychiatriques parisiens… Qu’a donc voulu dire l’auteur ? Plusieurs amorces sont intéressantes et malheureusement aucune n’est véritablement aboutie.

Une grosse déception pour un roman qui s’annonçait prometteur…

Ce titre est chroniqué dans le cadre du Challenge XIXème de Fanny, du Challenge il viaggio d’Eimelle et du Challenge Petit BAC 2015 d’Enna dans la catégorie « couleur ».

Challenges concernés