Archives du mot-clé Religion

Le chat du rabbin – Joann Sfar 

On ne présente plus Le chat du rabbin. Cette bande dessinée débutée en 2002 comporte aujourd’hui 12 volumes dont le dernier date de 2023. J’aborde dans ce billet les 4 premiers tomes de la série : 1. La bar-mitsva, 2. Le Malka des lions, 3. L’exode, 4. Le paradis terrestre. On y suit les aventures d’Imhotep, le chat d’un rabbin d’Alger, fou amoureux de sa maîtresse, la sublimissime Zlabya, la fille du rabbin. Imhotep avale un jour un perroquet… et se retrouve avec le don de parler ! 

Il a surtout le don de mettre les pattes dans la gamelle et de balancer quelques vérités vraies et parfois difficiles à entendre. C’est qu’Imhotep pourrait bien être un chat spirituel… ou plus simplement, pragmatique. Il veut épouser Zlabya, et pour se faire, doit devenir juif. Il entreprend donc de faire sa bar-mitsva. Mais on n’intègre pas si facilement la communauté juive. On suit donc les rencontres de ce matou gris et maigrichon avec les personnalités religieuses de sa ville, de son pays et même au-delà… 

Joann Sfar se sert de son personnage pour soulever avec humour les travers religieux des uns et des autres, les incohérences de chacun et surtout les questions existentielles qui nous titillent tous d’une manière ou d’une autre. Entre musulman, juif, politique, sorcier, tout le monde en prend pour son grade et ça fait du bien ! 

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Pour aller plus loin :  
Le chat du rabbin a fait l’objet d’un film en 2011 : https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=129365.html 

Et d’une fiction radiophonique en 2020, malheureusement indisponible à ce jour, sur France Culture : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-le-chat-du-rabbin-de-joann-sfar  

L’enracinement – Simone Weil 

Simone Weil est inclassable, anarchiste, chrétienne, intellectuelle, syndicaliste… Sa philosophie est passée à l’épreuve du travail physique et de la condition ouvrière. La lecture de L’enracinement est déroutante : aucun lieu commun, aucun « prêt-à-penser », une exigence et une intransigeance assumée de l’autrice. Il faut s’accrocher, rester concentrée, reprendre le livre à plusieurs reprises pour suivre ce raisonnement qui s’ancre dans la vérité, et l’authenticité à soi et aux autres.  

L’enracinement, en quelque sorte, s’attache à définir les mécanismes du sentiment d’appartenance et les manières de l’insuffler. Simone Weil commence son ouvrage par identifier les besoins de l’âme qui complètent nécessairement les besoins du corps. Ces besoins, déjà, sont déroutants, parfois paradoxaux, mais tous argumentés : l’ordre, la liberté, l’obéissance, la responsabilité, l’égalité, la hiérarchie (dont le sommet, la finalité, doit être représenté par un symbole et non pas une personne), l’honneur, le châtiment (comme seul moyen d’être réintégré dans la société après un crime), la liberté d’opinion, la sécurité, le risque, la propriété privée, la propriété collective, la vérité et l’enracinement.  

Elle définit ainsi le besoin d’enracinement page 55 :  

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Le désert intérieur – Marie-Madeleine Davy 

Marie-Madeleine Davy, spécialiste de la mystique médiévale, part de l’affirmation que la vocation des hommes nouveaux se trouve dans le désert intérieur, autrement dit le « sanctuaire » de l’intériorité. Elle s’appuie, pour soutenir son propos, sur les écrits des Pères du Désert de Gaza. Elle s’attache ainsi à retracer la symbolique du désert dans l’histoire, et à situer l’homme par rapport à ce désert qui n’est pas seulement géographique. La solitude extérieur de l’ermite du désert est comparable à celle de l’ermite intérieur. L’homme moderne isolé dans des villes fourmillantes et un monde du travail déstructurant a, malgré tout, toujours accès au vaste espace du désert intérieur. Il redéfinit le sacré, trop souvent confondu avec le religieux, et apprend à le discerner dans une modernité désacralisée. Le désert intérieur, ainsi, peut s’opposer aux rituels et lieux de l’Eglise. L’idée est que la véritable demeure du sacré est au-dedans et qu’elle demande à être construite. « Seule l’intériorité rend libre » souligne M.-M. Davy page 40.

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Le sacré – Rudolf Otto


2127871280J’attendais beaucoup de ce livre. Sans doute quelque chose de l’ordre d’une révélation. Une définition de ce après quoi je cours. Et je l’ai lu finalement comme j’aurais lu un livre dans une langue étrangère que je ne maîtrise pas. Le sacré m’est resté impénétrable. La philosophie en général m’est inaccessible, et la philosophie religieuse n’a pas fait exception.

Je veux tenter de retenir quelques éléments de définition du numineux tel que le qualifie Rudolf Otto. Le mysterium tremendum dans un premier temps, autrement nommé « le mystère qui fait frissonner » ou l’effroi mystique, la « frayeur de Dieu » largement relayée par l’Ancien Testament notamment. Le mystère est aussi le « tout autre ». En tête de chapitre, Rudolf Otto cite sur ce point Tersteegen : « Un dieu compris n’est pas un dieu ».
La majestas ensuite, l’absolue supériorité de puissance. Et l’énergie finalement : « il se fait sentir d’une manière particulièrement vive dans l’orgè ; c’est à lui que se rapportent les expressions symboliques de vie, de passion, de sensibilité, de volonté, de force, de mouvement, d’excitation, d’impulsion » . L’orgè signifiant la colère divine, je ne peux m’empêcher de faire le lien avec Shakti, qui d’énergie deviendra bientôt la déesse terrifiante par excellence, créatrice et destructrice. Particulièrement présent dans le mysticisme de l’amour selon Rudolf Otto, cet élément me renvoie d’autant plus au tantrisme des shakta.
A ces trois éléments qui relèvent de la forme du numineux, Rudolf Otto y ajoute comme qualificatif le fascinant, fascinans. Autrement dit, le sacré effraye et fascine à la fois.Une autre caractéristique est « l’énorme », au sens d’épouvantable ou sinistre, maléfique et imposant, puissant et étrange, surprenant et admirable, donnant le frisson et fascinant, divin et démoniaque, et « énergique ». Pour chacune de ces caractéristiques, Rudolf Otto s’appuie sur les textes bibliques et sur les philosophes qui l’ont précédé, de Sophocle à Schleiermacher.

Je ne note rien de la suite de l’essai, je n’en ai rien retenu mis à part un court chapitre sur la manifestation du sacré dans l’art, qui se caractérise alors par le sublime et le grandiose, le geste noble, dont le sentiment du solennel existe depuis l’érection des premiers mégalithes (premières œuvres architecturales). Rudolf Otto souligne que l’on utilise volontiers le terme de « magique » pour certaines œuvres d’arts décoratifs notamment. Le numineux s’associe alors parfois au sublime et dépasse le magique – l’auteur prend pour exemple des statues du Bouddha, la peinture paysagiste et la peinture sacrée des dynasties Tang et Sung en Chine, le gothique en Occident.
Selon Rudolf Otto, l’art est un moyen indirect d’accéder au sacré. En Occident, les deux moyens d’accès directs au sacré sont l’obscurité et le silence. R. Otto cite ensuite le vide spacieux (le désert) comme moyen d’accès direct au sacré, et se réfère à l’architecture et à la peinture chinoises qui savent laisser place au vide dans leurs œuvres.
L’auteur s’attache ensuite à la musique et souligne que l’élément musical le plus sacré est le silence absolu et prolongé.

Il est difficile de ne pas noter le parti pris de Rudolf Otto à la fois dans ses exemples d’art sacré – il ne justifie pas vraiment ce qui distingue la présence du sacré du goût personnel, mis à part le sentiment intime (et inexprimable) qui en résulte. Et surtout à maintes reprises dans l’ouvrage, le christianisme est explicitement cité comme la religion spirituellement supérieure à toutes les autres. Pour un homme qui a consacré sa vie à travailler en parallèle sur les religions asiatiques et occidentales – il a publié par ailleurs Mystique d’Orient et mystique d’Occident – cette apologie chrétienne a eu tendance à m’agacer. [Nota Bene : si l’éditeur le présente comme philosophe, il n’en est pas moins théologien luthérien]

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Extraits :

C’est une loi fondamentale et bien connue de la psychologie que les idées « s’attirent », que l’une excite l’autre et la fait apparaître dans la conscience, si cette autre lui ressemble. Une loi semblable vaut pour les sentiments. Un sentiment peut également faire entrer en vibration un sentiment similaire et me le faire éprouver en même temps. Bien plus, de même que, d’après la loi d’attraction, il se produit, en vertu de la ressemblance, des substitutions d’idées, de telle sorte que l’idée x prend dans mon esprit la place que l’idée y correspondrait exactement. Enfin je puis passer d’un sentiment à un autre et cela par une transition graduelle et imperceptible, par le fait que le sentiment x s’éteint peu à peu, à mesure que le sentiment y, suscité en même temps, croît et augmente d’intensité. Mais en ce cas, ce qui « passe », ce n’est pas en réalité le sentiment lui-même. Ce ,n’est pas lui qui change peu à peu de qualité ou qui « évolue », à vrai dire, qui se transforme en un sentiment tout différent ; c’est moi qui passe d’un sentiment à un autre, d’un état à un autre, par le déclin graduel de l’un et le progrès de l’autre. Le sentiment lui-même ne se transforme pas ; ce serait là une véritable métamorphose, semblable à la transmutation des métaux en or, ce serait une alchimie psychologique.

Comment pourrons-nous arriver à faire nous aussi l’expérience qui consiste à découvrir , dans la personne du Christ, la manifestation du sacré ?
De toute évidence, ce ne sera pas par la voie de la démonstration, au moyen de preuves, d’après une règle ou suivant des concepts. Nous ne pouvons indiquer ici de caractères conceptuels qui se prêteraient à cette forme de raisonnement : « Quand les éléments x + y sont présents, il y a révélation. » C’est précisément pour cette raison que nous parlons de divination et d’appréhension intuitive. Ce ne sera que par la voie de la contemplation dans laquelle notre âme s’ouvre et s’abandonne à la pure impression de l’objet.

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Présentation des idées de Rudolf Otto issue du catalogue d’exposition Au-delà des étoiles : le paysage mystique de Monet à Kandinsky, p. 58 :

Dans les années 1920, le philosophe allemand Rudolf Otto s’est intéressé à la phénoménologie des rencontres avec l’ « Autre sacré », rencontres qui semblent se distinguer quelque peu de l’expérience mystique. Pour lui, le sentiment du sacré renvoie à une réalité surnaturelle, celle d’une immense force et d’une volonté (numen) qui dépasse les connotations morales et rationnelles entourant le concept. Otto décrit la réalité de ces expériences « numineuses » du sacré dans des idéogrammes analogiques qui en font quelque chose d’enchanteur et d’attirant (fascinans) et, en même temps, d’effrayant (tremendum). Ces expériences stimulent chez le sujet une conscience renforcée de son état de créature. Le sacré provoque naturellement l’adoration (majestas) tout en restant un sentiment extraordinaire, insolite, étrange et au-delà de toute compréhension (mysterium).

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Notes sur Rudolf Otto et Le Sacré extraites de Wikipédia :

Biographie
Rudolf Otto (25 septembre 1869 – 6 mars 1937) est un théologien luthérien, également universitaire en religion comparée, de nationalité allemande.
Rudolf Otto dans Le Sacré a proposé le terme de « numineux » pour qualifier cette sphère au-delà de l’éthique et du rationnel, qui se présente sous le double aspect d’un mystère effrayant et fascinant. […]

Le Sacré
L’ouvrage le plus célèbre d’Otto, Le Sacré, publié en 1917 sous le titre allemand Das Heilige – Über das Irrationale in der Idee des Göttlichen und sein Verhältnis zum Rationalen (Du sacré – Sur l’irrationnel des idées du divin et de leur relation au rationnel). Il s’agit de l’un des plus grands succès de la littérature théologique allemande du xxe siècle. L’ouvrage a en effet toujours été réédité, et existe actuellement en plus de 20 langues. Otto y définit le concept de « sacré » comme étant numineux, notion qui fait référence à une « expérience non-rationnelle, se passant des sens ou des sentiments et dont l’objet premier et immédiat se trouve en dehors du soi ». Otto crée ce nouveau concept depuis le latin « numen » faisant référence à la divinité. Le numineux est ainsi un mystère ( mysterium), à la fois terrifiant (tremendum) et fascinant (fascinans). Otto propose ainsi un paradigme pour l’étude des religions, se focalisant sur le besoin de réaliser le sentiment religieux, considéré comme non réductible et comme une catégorie en soi. Objet de multiples critiques survenues en 1950 et 1990, le paradigme d’Otto revient sur le devant de la scène avec la philosophie phénoménologique qui, par certains aspects, s’en rapproche.

Influence
Otto a eu une profonde influence sur la théologie et la philosophie des religions, dans la première moitié du xxe siècle. Le théologien américain et allemand Paul Tillich reconnaît son influence sur ses travaux, ainsi que l’anthropologue roumain Mircea Eliade qui utilise les concepts exposés dans Le Sacré dans son ouvrage de 1957, Le sacré et le profane. Son élève, Gustav Mensching (1901-1978), a par ailleurs continué sa pensée. C. S. Lewis reconnaît aussi l’apport d’Otto, notamment dans son étude du « problème de la souffrance » en théologie. D’autres personnalités peuvent enfin être citées, telles : Martin Heidegger, Leo Strauss, John A. Sanford, Hans-Georg Gadamer, Max Scheler, Ernst Jünger, Joseph Needham, Hans Jonas ou encore Carl Gustav Jung qui reprend le concept de « numineux » en psychologie.


Le sacré : l’élément non rationnel dans l’idée du divin et sa relation avec le rationnel – Rudolf Otto
Traduit de l’allemand par André Jundt

Petite bibliothèque Payot, 2015, 285 p.
Traduction française : Payot, 1949
Première publication : Das Heilige : ûber das Irrationale in der Idee des Göttlichen und sein Verhältnis zum Rationalen, 1917


Pourquoi j’ai quitté l’Ordre… et comment il m’a quitté – François Bœspflug

cvt_pourquoi-jai-quitte-lordre-et-comment-il-ma-qui_9899C’est par la publication de ce livre que j’ai appris que François Bœspflug, dominicain et professeur d’histoire de l’art reconnu – et presque vénéré en ce qui me concerne – a quitté l’Ordre dominicain. Renier son engagement ? Et quid alors de sa foi ? Ses écrits, son parcours, son engagement étaient jusqu’alors parmi les rares qui me faisaient dire qu’il y avait peut-être une réponse au non-sens, au néant, dans la foi catholique, ou dans la foi-tout-court, dans la recherche du sacré. Sa vision de la spiritualité m’invitait à croire en autre chose qu’à l’absurde. Il est à noter que l’acceptation de l’absurde me soigne ces temps-ci de bien des névroses, plus qu’une quelconque quête d’un dieu toujours absent. Mais alors, si François Bœspflug lui même renonce, n’existe-t-il réellement plus rien à croire ? Si d’autres senseis me déçoivent tout autant par leur humanité et leurs erreurs, quelle quête me reste-t-il à suivre ? Puisque tout meurt.

En lisant François Bœspflug, je cherche des réponses. Et j’en trouve une certainement dans l’extrême sincérité et liberté d’expression dont il fait preuve. Il paraît que la Vérité est un élément fondamental permettant l’accès à la transcendance. Ces mots ne sont pas de moi. Mais certainement la Vérité me libère du poids des convenances et des mensonges – qui pèsent et creusent constamment ce néant.

L’ouvrage est divisé en trois parties répondant à trois questions : Pourquoi quitter la vie religieuse ? Pourquoi quitter le ministère sacerdotal ? Être ou ne pas être théologien ? Ces trois questions sont l’occasion de retracer la vie de l’auteur et les différentes étapes qui l’ont amené à revêtir – ou pas – l’habit dominicain puis celui de professeur, dans les premières années de son investiture. Et puis surtout, les décennies qui se sont lentement écoulées pour aboutir au « défroquage » et au mariage. Le mariage, s’il est décisif pour ce qu’il officialise la sortie de l’Ordre qu’aucun rituel ne venait souligner, n’est pas la cause première de cette décision importante. L’éloignement de l’Ordre a été progressif et à double-sens, voilà ce que ce livre s’efforce d’évoquer.

Surtout François Bœspflug exprime ici avec précision et nuance, comme toujours, ce vers quoi il aimerait voir l’Eglise évoluer, il appelle de ses vœux une transformation de l’institution ecclésiale, une ouverture aux problématiques contemporaines, notamment à propos du mariage des prêtres et de l’homosexualité dans les milieux monacaux, et d’avantage de sincérité et de liberté de parole surtout.

Je crois en la liberté d’une parole sincère et nuancée, et je suis convaincue qu’aussi douloureuse soit-elle, son pouvoir est immense et peut contribuer à améliorer l’état du monde par une certaine forme de lucidité et par une amélioration des relations humaines.


Pourquoi j’ai quitté l’Ordre… et comment il m’a quitté – François Bœspflug
J. C. Béhar, 2016, 124 p.


Quinzinzinzili – Régis Messac

arbrevengeur18-2007Je cherchais un livre atypique, de quoi fuir la morosité ambiante. Quelque chose qui me réveille, me permette de passer à l’étape suivante. Une fois de plus, L’Esprit Livre a parlé : « Un post-apo, t’en lis jamais ça te changera », argument ultime pour faire faillir mon têtu froncement de nez. Et me voilà délicieusement assise en terrasse à feuilleter ce bel ouvrage au titre improbable. Pari gagné ! Quinzinzinzili, c’est le mot inventé par une horde d’enfants livrés à eux-mêmes dans un monde dévasté. Quinzinzinzili, c’est le titre donné au récit du seul survivant adulte à cette deuxième guerre mondiale qui n’avait pas encore eue lieu. Je contextualise : le roman dont je vous parle a été publié en 1935 par un certain Régis Messac, universitaire à Glasgow puis Montréal et instituteur français, prédicateur s’il en est du désastre nazi. Quinzinzinzili est hallucinant de modernité par le style employé. En témoigne l’incipit :

Moi, Gérard Dumaurier…
Ayant écrit ces lignes, je doute de leur réalité. Je doute de la réalité de l’être qu’ils désignent : moi-même. Est-ce que j’existe ? Suis-je autre chose qu’un rêve, ou plutôt un cauchemar ? L’explication la plus raisonnable que je puisse trouver à mes pensées, c’est que je suis fou.

Les premières pages du récit de Gérard Dumaurier sont le prétexte d’un état des lieux politique incroyable proche de celui que l’on observera quelques années plus tard en Europe. Désespérément proche aussi de celui que l’on observe à nouveau aujourd’hui dans le monde. Rapidement, la catastrophe apocalyptique se produit, et Gérard Dumaurier se retrouve seul avec une douzaine de mouflets, rescapés au fond d’une grotte. Aucune émotion, aucune empathie à l’égard des enfants ne transparaît des propos du narrateur. Gérard Dumaurier observe et décrit froidement… une micro-société se reconstitue, le premier meurtre, le premier viol, la redécouverte du feu, un nouveau langage, une nouvelle religion. Quinzinzinzili m’a fascinée. Ce roman pose en filigrane toute la question de ce qu’est ou pas notre humanité, il la renouvelle… au lecteur d’y répondre.


Quinzinzinzili – Régis Messac
L’Arbre Vengeur, 2011, 199 p.
Première publication: La fenêtre ouverte, collection « Les Hypermondes », 1935


 

La laïcité au quotidien : guide pratique – Régis Debray & Didier Leschi

413gxrpdzql-_sx210_Ce petit livre au format militant – couverture rouge et gros titre en blanc – a pour vocation de constituer une somme d’exemples pratiques d’application de la laïcité en France. Les premières pages sont consacrées à un bref rappel (à l’ordre) de ce qu’est cette laïcité. Un extrait vaut mieux ici que n’importe quelle périphrase :

« De l’hypocrisie souvent, de l’hystérie au pire. Et beaucoup de malentendus. Sans évoquer l’absurde confusion entre athéisme et laïcité, disons d’emblée que la laïcité n’est pas la tolérance, cette indulgence d’Ancien Régime, cette royale condescendance par laquelle un supérieur, qui pourrait ne pas le faire, lève un interdit ou octroie telle ou telle impunité à un sujet. (…) [La laïcité] est avant tout une construction juridique fondée sur une exigence de raison : l’égalité en droit de tous les êtres humains. »

Le ton est donné. Ce guide s’emploie ensuite à détailler en ordre alphabétique un certain nombre de cas de figures pour lesquels la laïcité entre en compte : aumôneries, autorisation d’absence, blessure, bureau de vote, calendrier civil, cantine scolaire, caricature, cérémonie religieuse, cimetière, circoncision, cloches et muezzin, crèche de Noël, département concordataire, dimanche, édifices cultuels, entreprise de tendance, entreprise privée, financement, foulard, funérailles nationales, histoire et mémoire, hommes de foi, imams, injure et blasphème, jupe longue, liberté de l’art, mariage, naissance et mort, non-mixité, nourriture, politique et foi, prétoire, publicité, sectes, services au public, services publics, vues de l’étranger, zèle (excès de).

Pour chacun de ces points, les auteurs s’attachent à reprendre le contexte historique et législatif propre aux premiers questionnements sur le sujet abordé. Il peut s’agir de la loi de 1905, mais aussi de pratiques plus anciennes, ou de revendications récentes. Dans tous les cas, ils prennent également en compte l’évolution actuelle de ces contextes et établissent successivement des réponses laïques à donner pour chaque problématique soulevée, quitte à déléguer parfois cette réponse au règlement intérieur de l’entreprise concernée par exemple. Ainsi, ils s’attachent, dans le dernier chapitre notamment, à poser les limites à ne pas dépasser pour cette laïcité de l’Etat active sans être militante.

Les réponses données de manière systématique pour chaque cas peuvent heurter ou paraître brusques au premier abord – la tolérance frisant le relâchement n’est pas de mise chez Régis Debray et Didier Leschi. Force est de constater toutefois que ces réponses sont toujours argumentées, illustrées et nuancées. Si le désaccord est possible, la rigueur et le raisonnement des auteurs invitent le lecteur offusqué à faire taire ses émotions premières au profit – en bon humaniste – d’une argumentation solide et rationnelle.


La laïcité au quotidien : guide pratique – Régis Debray & Didier Leschi
Folio, 2015, 154 p.


Mémoires d’une jeune fille rangée – Simone de Beauvoir

9782070355525fsJe remonte la piste « Didier Eribon » et me voilà plongée dans cette étrange autobiographie, bien loin de mes préoccupations premières. Mémoires d’une jeune fille rangée retrace les premières années de la philosophe Simone de Beauvoir de la naissance à sa rencontre avec Jean-Paul Sartre.

Avant toute chose je suis frappée par le rythme, extrêmement régulier, et par le style que je qualifierais de distingué, à l’image de la jeune fille décrite. Je suis entrée dans le récit sans aucun à priori, ignorante de la vie de l’auteur. Je sais par ailleurs que ce livre a marqué nombre de lectrices. Le rapport de Simone de Beauvoir à la littérature et à la philosophie, son indépendance d’esprit dans un cadre social et familial étriqué, ses choix amicaux, ses questionnements sur le mariage et les études, son ennui, interpellent. Cela dit, je n’ai pu me défaire de l’idée tout au long de ma lecture que j’avais sérieusement affaire à des problèmes de petite bourgeoise, certes bien réels mais pour lesquels ils m’étaient bien difficiles de me sentir concernée. Sans cesse, j’ai attendu la révolte, les cris, une réponse au carcan qui s’impose par cette indéniable régularité du rythme, en vain semble-t-il. Quoique les limites soient en permanence repoussées discrètement et presque naturellement, l’explosion ne se produit pas et ma patience est mise à rude épreuve. Je reste sur ma faim, interpellée mais inassouvie.


Mémoires d’une jeune fille rangée – Simone de Beauvoir
Folio, 2008, 473 p.
Première publication : Gallimard, 1958


Challenges concernés

Challenge Multi-défis : un livre dont l’action se déroule dans le passé

Boussole – Mathias Enard

boussoleJ’ai terminé Boussole depuis des mois déjà sans prendre le temps de rédiger ce billet. Pourtant ce n’est pas faute d’avoir été relancée, par Mina notamment, et à plusieurs reprises.

Pour tout vous avouer, mon impression sur le Goncourt 2015 est plutôt mitigée. Je découvre dans la foulée l’écriture de Mathias Enard et si j’ai apprécié ma lecture, je ne me sens pas pour autant portée par l’envie de lire les autres romans de l’auteur.

Boussole est un livre érudit, je ne vous apprends rien. Les références sur l’orient et l’orientalisme foisonnent. Dans un premier temps, j’ai voulu les noter pour y revenir plus tard mais j’ai vite compris que l’entreprise était totalement vaine. Elles sont beaucoup trop nombreuses, avec une moyenne de cinq références par page… j’ai cru que j’allais m’arrêter de lire pour recopier le livre !

Une bibliographie en fin d’ouvrage n’aurait pas été du luxe : elle aurait sans doute libéré ma lecture de nombreuses prises de notes et m’aurait permis d’approfondir plus aisément les thématiques qui m’intéressent le plus. Par necessité d’avancer dans le roman, j’ai finalemment lâché prise et accepté l’étourdissante érudition de l’auteur pour m’attacher à la narration… Ainsi vint la chute. L’histoire d’amour entre les deux protagonistes m’a totalement laissée de marbre. Le personnage du narrateur m’est apparu fade et sans profondeur ; son grand amour déçu, Sarah, lointaine et idéalisée, m’est restée totalement étrangère.

Si j’ai eu le sentiment d’apprendre avec plaisir des milliers de choses sur l’Orient, quelques mois plus tard pourtant il ne me reste quasiment rien de ma lecture tant chaque accroche historique ou artistique est survolée, à peine amorcée, allusive… Je reste finalement sur ma faim. J’ai presque envie de comparer de manière peut-être un peu douteuse ce roman à une énorme barbe à papa tentante, prometteuse, délicieuse par bouchée… et finalement étouffante de trop de sucre sans pour autant remplir l’estomac.


Boussole – Mathias Enard
Actes Sud, 2015, 378 p.


Challenges concernés

Challenge Multi-défis 2016 :  un livre qui a gagné un prix littéraire

La condition magique – Hubert Haddad

Voilà bien longtemps que je ne m’étais pas laissée guider par le hasard dans mes choix de lectures : aucun conseil de libraire, d’ami ni même de blogueur. Une simple couverture Zulma en évidence sur une table de la librairie Terre des livres, un format poche, pas même une nouveauté, ni le moindre petit mot pour attirer l’œil. La quatrième de couverture rehaussée de superlatifs et autres adjectifs grandiloquents : richissime, extravagant, himalayens, quête d’absolu, foisonnant, vertigineux…
Des personnages tape-à-l’œil : jeune et fragile étudiante, beau ténébreux endeuillé et incompris, universitaire blasé. Rien n’aurait dû les rassembler mis à part la fantaisie de leur auteur.

Si j’ai, dans un premier temps, accroché au style de l’auteur et aux descriptions des sommets du toit du monde ouvrant le récit, si j’ai été intriguée par les dérives désespérées de Marghrète, j’ai aussi rapidement perdu le fil de ces histoires banales et décousues qui auraient voulu trouver leur sens sur les cimes himalayennes. Entre l’introduction et la conclusion sommitales se déroule un ennuyeux quotidien intellecto-universitaire mêlé d’allusions à Descartes et d’abus sectaires peu crédibles dont je suis finalement restée très distante.

Je garde de ce livre un arrière-goût de traîtrise : j’en attendais beaucoup et l’écriture sophistiquée me faisait miroiter un scenario exigeant et cohérent. J’hésite à tenter l’aventure une seconde fois.

Avez-vous lu et aimé un livre de Hubert Haddad ? Si oui, lequel et pourquoi ?


La condition magique – Hubert Haddad
Zulma, 2014, 281 p.
Première édition : 1997