Archives du mot-clé Einstein

Pourquoi la guerre ? – Sigmund Freud et Albert Einstein

Pourquoi la guerre – A. Einstein et S. Freud

Je vous avais promis ici de vous reparler de cette correspondance entre Sigmund Freud et Albert Einstein. Pourquoi la guerre ? Question en apparence si simple, presque naïve. A. Einstein la pose à S. Freud, et l’on se prend à croire un instant que le psychanalyste pourra répondre. La question est toutefois un peu plus subtile :

« Comment est-il possible que la masse (…) se laisse enflammer jusqu’à la folie et au sacrifice ? »

Pour Einstein, cela s’explique par l’existence intrinsèque à l’homme d’un besoin de haine et de destruction. Il en appelle à Freud pour expliquer ce besoin. Et au-delà d’une explication sur la complexité de la nature humaine, Einstein cherche les solutions :

« Existe-t-il une possibilité de diriger le développement psychique de l’homme de manière à le rendre mieux armé contre les psychoses de haine et de destruction ? »

Sur ce point, il avance :

« Et loin de moi la pensée de ne songer ici qu’aux êtres dit incultes. J’ai pu éprouver  moi-même que c’est bien plutôt la soi-disant « intelligence » qui se trouve être la proie la plus facile des funestes suggestions collectives, car elle n’a pas coutume de puiser aux sources de l’expérience vécue, et que c’est au contraire par le truchement du papier imprimé qu’elle se laisse le plus aisément et le plus complètement saisir. »

A. Einstein et S. Freud

Je ne peux m’empêcher de penser à la lecture de ces mots à la situation de la France, au pouvoir de la presse, à son ascendant sur tout ce beau monde « cultivé » qui, fort des écrits du Figaro, du Monde ou de Libération, décide de voter pour tel parti ou de faire la révolution. Je ne critique pas les lecteurs, ni les journalistes. Je suis sans aucun doute moi-même victime de l’influence de la « bonne pensée » collective. Je constate simplement que nos préoccupations sont le fruit des polémiques et des aléas d’évènements bien éloignés de notre quotidien, et sur lesquels il est peu probable que l’on puisse se vanter de les avoir vécu soi-même. Pourtant nous avons un avis, c’est de bon ton, nous jugeons, c’est scandaleux, c’est une bonne chose, il faut bien faire quelque chose, ça ne peut plus durer…Finalement, qu’est-ce que ça change ? Je ne suis pas sûre de connaître la réponse.

Et pourtant, ce n’est pas parce que les évènements sont lointains que l’on peut se permettre de les ignorer. Il faut faire le tri, par soi-même si c’est possible. Mais je m’éloigne de notre propos. Revenons-en à la réponse de Sigmund Freud.

Freud explique qu’il existe deux catégories d’instincts pour l’homme : l ‘instinct de conservation et d’union rapporté à la notion de sexualité, et l’instinct de destruction, les pulsions agressives. Cependant, Freud se défend de comparer ces deux instincts au Bien et au Mal. La réalité est bien complexe comme il l’explique lui-même :

« Ces pulsions sont toutes aussi indispensables l’une que l’autre; c’est de leur action conjuguée ou antagoniste que découlent les phénomènes de la vie. Or il semble qu’il n’arrive guère qu’un instinct de l’une des deux catégories puisse s’affirmer isolément; il est toujours « lié », selon notre expression, à une certaine quantité de l’autre catégorie, qui modifie son but, ou, suivant les cas, lui en permet seule l’accomplissement. Ainsi, par exemple, l’instinct de conservation est certainement de nature érotique; mais c’est précisément ce même instinct qui doit pouvoir recourir à l’agression, s’il veut faire triompher ses intentions. De même l’instinct d’amour, rapporté à des objets, a besoin d’un dosage d’instinct de possession, s’il veut en définitive entrer en possession de son objet. »

Je ne peux m’empêcher en lisant cela de penser au dieu hindou, Shiva, qui par l’ambivalence de son caractère à la fois érotique et ascétique, lie à merveille ces deux notions d’instincts de destruction et de conservation. La balance entre le Bien et le Mal. Rien n’est jamais tout blanc ou tout noir…Ce sont finalement des concepts largement établis dans toutes les civilisations il me semble…La notion de « lien » évidemment m’interpelle également, tout est lié, même Freud nous le dit. Peut-être que je ne vois que ce qui m’arrange mais l’idée reste intéressante.

Ce constat sur l’existence d’un instinct destructeur inhérent à l’être humain s’il explique en partie, l’origine de la guerre, ne permet pas toutefois de résoudre le problème.

Une ébauche de solution selon Freud :

« Il ne s’agit pas de supprimer le penchant humain à l’agression; on peut s’efforcer de le canaliser, de telle sorte qu’il ne trouve son mode d’expression dans la guerre. (…) Si la propension à la guerre est un produit de la pulsion destructrice, il y a donc lieu de faire appel à l’adversaire de ce penchant, à l’eros. Tout ce qui engendre parmi les hommes, des liens de sentiments doit réagir contre la guerre. »

Il poursuit par cette idée utopique :

« Il y aurait lieu d’observer, dans cet ordre d’idées, que l’on devrait s’employer, mieux qu’on ne l’a fait jusqu’ici, à former une catégorie supérieure de penseurs indépendants, d’hommes inaccessibles à l’intimidation et adonnés à la recherche du vrai, qui assumeraient la direction des masses dépourvues d’initiative. Que l’empire pris par les pouvoirs de l’Etat et l’interdiction  de pensée de l’Eglise ne se prêtent point à une telle formation, nul besoin de le démontrer. L’Etat idéal résiderait  naturellement  dans une communauté d’hommes ayant assujetti leur vie instinctive à la dictature de la raison. Rien ne pourrait créer une union aussi parfaite et aussi résistante entre les hommes, même s’ils devaient pour autant renoncer  aux liens de sentiments les uns vis à vis des autres.

Mais il y a toute les chances que ce soit là un espoir utopique. Les autres voies et moyens d’empêcher la guerre sont certainement plus praticables, mais ils ne permettent pas de compter sur des succès rapides. On ne se plait guère à imaginer des moulins qui moudraient si lentement qu’on aurait le temps de  mourir de faim avant d’obtenir la farine »

En mai 1933, sur la place de l’Opéra de Berlin, un autodafé des livres réprouvés par le gouvernement, est organisé

Voilà une ébauche de solution…utopique. C’est certain malheureusement. On connait trop bien la suite de l’Histoire…Mais il est toujours bon de lire encore une fois combien certains hommes ont souhaité que cette guerre n’ait pas lieu.

Une autre hypothèse de Freud pour lutter contre la guerre, plus vraisemblable sans doute, est la culture. Selon lui, l’homme cultivé est moins soumis aux actes instinctifs et aux réactions impulsives. Il est plus raisonné et lutte contre son propre penchant agressif. La guerre n’est plus un acte de bravoure, l’homme cultivé ne ressent pas de plaisir à se battre. Mais comme je le citais plus haut, les pulsions de destruction sont toujours étroitement liées à l’eros : si l’homme perd ses instinct destructeurs, il en est de même pour la sexualité. Pour Freud, la culture n’en reste pas moins le meilleur remède contre la guerre :

« Tout ce qui travaille au développement de la culture travaille aussi contre la guerre. »

Je ne sais pas si je suis entièrement d’accord avec ces idées. Freud assimile en partie la culture à la civilisation, ou tout du moins, il reconnait que certains préfèrent utiliser le mot civilisation plutôt que culture. Et j’avoue que l’assimilation me choque un peu. J’utiliserais plus volontiers le terme savoir. La connaissance ou le savoir sont, à mes yeux, le meilleur remède contre la violence, souvent générée par l’ignorance ou la méconnaissance de l’autre mais aussi de soi…

Pour vous faire votre propre idée sur ce texte, Pourquoi la guerre ?, je vous conseille de le télécharger ici et de l’imprimer pour le lire à tête reposée (une vingtaine de pages, ça se lit vite!).

Bonne lecture !

Albert Einstein et la religiosité cosmique

J’aimerais partager ici un extrait de Comment je vois le monde qui reflète particulièrement bien la sagesse d’Albert Einstein et qui exprime ce qui différencie les grands hommes du commun des mortels.

« Celui qui ne connait la recherche scientifique que par les effets pratiques arrive aisément à avoir une conception absolument inadéquate de l’état d’esprit de ces hommes qui , entourés de contemporains sceptiques, ont montré la voie à ceux qui, imbus de leurs idées, se sont ensuite répandus, dans la suite des siècles, à travers tous les pays du monde. Il n’y a que celui qui a consacré sa vie à des buts analogues qui peut se représenter d’une façon vivante ce qui a animé ces hommes, ce qui leur a donné la force de rester fidèles à leur objectif en dépit d’insuccès sans nombre. C’est la religiosité cosmique qui prodigue de pareilles forces. Ce n’est pas sans raison  qu’un auteur contemporain a dit qu’à notre époque vouée en général au matérialisme les savants sérieux sont les seuls hommes qui soient profondément religieux. »

Voilà peut-être qui fera hurler certains athées mais je ne peux m’empêcher d’approuver ces mots. Et j’ai envie de souligner ce passage « ce qui a animé ces hommes ». Le verbe est particulièrement bien choisi : ce qui leur a donné vie…Ce qu’Einstein appelle la religiosité cosmique est à distinguer de la religion telle qu’on l’entend habituellement. La religiosité cosmique doit être comprise comme la contemplation de la structure de l’univers, et comme ce qui relie l’homme à la nature et aux autres hommes (cf. sur ce point Wikipedia et cet article du physicien contemporain Michel Paty).

Michel Paty écrit notamment à propos d’Einstein :

« Einstein concevait sa propre démarche dans son travail scientifique comme une recherche personnelle et une quête, dont l’objet était la connaissance de la nature, de ce monde dont nous faisons partie, en vue de la vérité. Cette recherche prenait pour lui les voies de la physique, mais c’était le chemin vers l’objectif entrevu qui comptait avant tout, davantage sans doute que les résultats proprement dits, toujours insatisfaisants et provisoires, toujours à remettre en chantier. Il aimait citer ce mot de Lessing : “La recherche de la vérité vaut mieux que sa possession”. »

Nous avions déjà noté cet attrait pour la vérité dans ses lettres adressées à Sigmund Freud. Je le mentionnais ici.

La vérité comme religion, c’est un peu ma vision de cette religiosité cosmique finalement…et je trouve cette approche extrêmement intéressante.

Et vous ? Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Albert Einstein et Sigmund Freud

Albert Einstein en 1947

J’en parlais déjà ici, un peu par hasard. Finalement, il n’y a pas que Josef Popper-Lynkeus pour rapprocher le célèbre fondateur de la psychanalyse, Sigmund Freud (1856-1939), et Albert Einstein. Quoi d’autre alors ? Einstein se serait-il intéressé à la psychanalyse ? Peut-être…mais ce n’est pas l’objet de la lettre qu’il rédigea à l’attention de Freud.

Pour commencer, il a voulu lui témoigner son admiration pour son aspiration à la découverte de la vérité, au-delà de tout intérêt personnel.

« Il y a lieu d’admirer comment, chez vous, l’aspiration à la découverte de la vérité a triomphé de toutes les autres aspirations. »

Nous reviendront, dans un prochain article, sur cet attrait d’Einstein pour la vérité.

Ensuite, les deux hommes ont certainement en commun une puissante volonté de paix entre les peuples.  Alors que la seconde guerre mondiale se fait sentir, chaque jour un peu plus présente, Einstein veut faire part à Freud, juif comme lui, de son idée de mobiliser les communautés intellectuelles, y compris religieuses, pour faire pression sur les politiques du moment par l’intermédiaire de la presse. Il regrette notamment que les gouvernements élus par la masse du peuple ne soit pas représentatifs des élites intellectuelles minoritaires. Il reconnait toutefois les dangers inhérents d’une telle entreprise, dangers essentiellement liés aux faiblesses de la nature humaine. La seule ambition d’Einstein lorsqu’il soumet cette idée à Freud reste la lutte contre la guerre.

Pour témoigner du grand respect d’Albert Einstein à l’égard de Sigmund Freud, je vous retranscris ici la conclusion de sa lettre :

« C’est à vous que je soumets cette idée, de préférence à tout autre au monde, parce que vous êtes, moins que les autres, fasciné par d’autres aspirations et que votre jugement critique repose sur un sentiment de responsabilité des plus sérieux. »

Les ouvrages de Freud furent brûlés par les nazis qui décrétèrent la psychanalyse « science juive ».

Voilà en quelques mots comment Einstein percevait l’un des hommes les plus critiqués de son temps. Cela n’a pas été évident immédiatement,  mais le savant issu des sciences dures a su respecter les sciences de l’âme et surtout reconnaître l’homme derrière le scientifique. Au-delà de toutes divergences d’opinions, les deux hommes ont connu les mêmes persécutions antisémites, l’un pour son engagement pour la paix, l’autre pour ses théories révolutionnaires sur l’âme humaine. Je regrette de ne pas pouvoir lire la réponse de Freud à cette lettre…J’ai tout de même déniché cette perle sur le net : Pourquoi la guerre ? , un autre échange de lettres entre Einstein et Freud…

Je vous en reparle dès que j’en saurai plus sur cette rencontre…

Comment je vois le monde – Albert Einstein – 3

Josef Popper Lynkeus

Au détour d’une page de Comment je vois le monde, Albert Einstein nous présente en quelques lignes l’image que lui renvoie Josef Popper-Lynkeus. Comme toujours, ce nom m’intrigue et je veux en savoir en plus. Qui est donc cet homme au nom si particulier ? Einstein le présente comme un ingénieur et un écrivain ; il approuve particulièrement sa vision de la société qui doit être en mesure d’assurer le développement personnel de chaque individu…un précurseur du socialisme en quelque sorte…En faisant quelques recherches rapides sur Popper-Lynkeus, j’ai l’agréable surprise de découvrir non pas seulement un ingénieur et un écrivain mais également un des précurseurs de la philosophie sociale. Je ressens toujours une pointe d’admiration pour ces hommes qui ont su allier les sciences dures aux sciences humaines et sociales. Je reste convaincue que la compréhension du monde nécessite cette double approche à la fois opposée et complémentaire…Issue d’une famille juive, et soumis à la réglementation autrichienne qui interdit aux scientifiques juifs l’accès à la fonction publique, Popper ne peut exercer son métier et ses talents en mathématiques, physique et technologie comme il aurait dû. Il reste toutefois connu pour ses écrits en philosophie sociale et notamment son Droit à l’alimentation.

Résultats, idées, problèmes - Tome II 1921-1938 - Sigmund Freud

En continuant mes recherches rapides sur Google, je constate qu’Einstein n’est pas le seul à mentionner Popper-Lynkeus dans ses écrits. Sigmund Freud, dans ses Résultats, idées et problèmes publie un article entier sur Josef Popper-Lynkeus, daté de 1932. Oui, oui ! J’ai bien dit Freud le psychanalyste…nous sommes dans un tout petit monde de personnages exceptionnels par leurs connaissances scientifiques en tous domaines…Et ça fait du bien ce mélange des genres ! Alors pourquoi Freud s’est-il intéressé à Popper-Lynkeus ? Freud fait surtout référence à un ouvrage en allemand de Popper-Lynkeus Phantasien eines Realisten (Les Fantasmes d’une réalité). Il mentionne un chapitre particulier où Popper-Lynkeus décrit la façon dont rêve le protagoniste de son histoire. Freud venait alors de publier son Interprétation des rêves et on imagine son enthousiasme en lisant sous  la plume de Popper-Lynkeus les mots de ce personnage fictif expliquant que ses rêves n’ont rien d’absurde ou d’impossible et qu’il « est toujours le même homme, qu’il rêve ou qu’il veille ». Popper-Lynkeus avait décrit là sans le savoir la future théorie des rêves de Freud…

Sigmund Freud écrit alors, à propos de Popper-Lynkeus :

« Subjugué par la coïncidence entre mes vues et sa sagesse, j’entrepris dès lors de lire tous ses écrits, entre autres ceux qui concernaient Voltaire, la religion, la guerre, la communauté et ses obligations alimentaires, jusqu’à ce que s’érige clairement devant moi la figure de ce grand homme, penseur et critique doublé d’un philanthrope et d’un homme de réformes bienveillant. »

Voilà une image de Josef Popper-Lynkeus qu’Albert Einstein partageait sans doute…

Freud conclut son article ainsi :

Sigmund Freud en 1921

« Mes innovations en psychologie m’avaient aliéné la faveur de mes contemporains, particulièrement des plus âgés d’entre eux. Il n’était que trop fréquent qu’approchant un homme que j’avais révéré de loin, je me visse pour ainsi dire éconduit par l’incompréhension de ce qui était devenu la substance de ma vie. Josef Popper, quant à lui, provenait de la physique, il avait été l’ami d’Ernst Mach; je ne voulais pas laisser troubler cette agréable impression née de notre accord sur le problème de la déformation du rêve. Ainsi donc, il advint que je différais ma visite jusqu’à ce qu’il fût trop tard et que je ne pusse plus saluer que son buste dans le parc de notre hôtel de ville. »

Josef Popper-Lynkeus meurt en 1921…

Comment je vois le monde – Albert Einstein – 2

Nous laissons H.A. Lorentz et continuons notre voyage avec Albert Einstein. Nous sommes le 26 décembre 1932 et nous fêtons les 70 ans du physicien Arnold Berliner. A cette occasion, A. Einstein rend hommage à son ami en publiant un article dans la revue Les Sciences Naturelles dont A. Berliner est l’éditeur. Einstein y présente une partie de sa vision du métier de chercheur :

The world as i see it - Albert Einstein

« Il n’a donc pas manqué d’arriver que l’activité du chercheur individuel a dû se réduire à un secteur de plus en plus limité de l’ensemble de la science. Mais il y a encore pire : il résulte de cette spécialisation que la simple intelligence générale de cet ensemble, sans laquelle le véritable esprit de recherches doit nécessairement s’attiédir, parvient de plus en plus difficilement à se maintenir à hauteur du progrès scientifique. Il se crée une situation analogue à celle qui dans la Bible est représentée symboliquement par l’histoire de la Tour de Babel. Quiconque fait des recherches sérieuses ressent douloureusement cette limitation involontaire à un cercle de plus en plus étroit de l’entendement, qui menace de priver le savant des grandes perspectives et de le rabaisser au rang de manoeuvre. »

C’est à la suite de ce constat qu’A. Einstein rend hommage aux travaux d’Arnold Berliner qui, en fondant Les Sciences Naturelles en 1913, a largement contribué à la diffusion de la connaissance des chercheurs à destination d’autres chercheurs mais également d’un public plus large. Nous pouvons voir là en quelque sorte les prémices de la communication scientifique (pour ne pas dire vulgarisation, terme connoté trop négativement à mon goût). A travers les actions d’Arnold Berliner, j’admire le respect d’Albert Einstein pour cet homme et j’apprécie sa volonté de rendre accessible la connaissance scientifique ; en commençant par sa propre science puisque qu’Albert Einstein a plus d’une fois publié ses écrits dans la revue Les Sciences Naturelles.

Par ailleurs, en me renseignant un peu sur la vie d’Arnold Berliner, je découvre, derrière le physicien, un juif allemand plongé dans la tourmente de la seconde guerre mondiale. L’homme était entouré d’une communauté scientifique brillante comprenant plusieurs prix Nobel (cf. Wikipédia pour les détails) et dont nombre de scientifiques était également juifs allemands (dont Einstein). En 1935, 3 ans après la publication de l’article d’Albert Einstein, Arnold Berliner se voit contraint de quitter la rédaction des Sciences Naturelles suite à la politique raciale menée par le gouvernement nazi. A cette occasion, les éditeurs de la célèbre revue britannique Nature publieront dans l‘exemplaire n°136 du 28 septembre 1935 les mots suivants :

La revue Les Sciences Naturelles fondée par Arnold Berliner

« We much regret to learn that on August 13 Dr. Arnold Berliner was removed from the editorship of Die Naturwissenschaften, obviously in consequence of non-Aryan policy. This well-known scientific weekly, which in its aims and features has much in common with Nature, was founded twenty-three years ago by Dr. Berliner, who has been the editor ever since and has devoted his whole activities to the journal, which has a high standard and under his guidance has become the recognised organ for expounding to German scientific readers subjects of interest and importance. »

Finalement, n’ayant pas pu émigrer, Arnold Berliner se suicide le 22 mars 1942 à l’âge de 79 ans suite à l’annonce de sa déportation en camp de concentration.

Quant à la revue Les Sciences Naturelles, elle existe toujours aujourd’hui et publie un numéro par mois.

En commençant ce livre d’Albert Einstein, je pensais recueillir les pensées d’un homme de science sur des sujets essentiellement personnels. Je n’imaginais pas me retrouver à ce point plongée dans la Grande Histoire…Vous me direz sans doute que c’était prévisible. Je ne peux pas m’empêcher de penser que si j’avais lu ce livre sans m’attarder sur certains chapitres comme je le fais ici, je serais sans doute passée complètement à côté de l’histoire d’Albert Einstein (et d’autant plus à côté des destinataires de ses lettres).

Je vous laisse et je retourne à mes lectures…

WE much regret to learn that on August 13 Dr. Arnold Berliner was removed from the editorship of Die Naturwissenschaften, obviously in consequence of non-Aryan policy. This well-known scientific weekly, which in its aims and features has much in common with NATURE, was founded twenty-three years ago by Dr. Berliner, who has been the editor ever since and has devoted his whole activities to the journal, which has a high standard and under his guidance has become the recognised organ for expounding to German scientific readers subjects of interest and importance.

Comment je vois le monde – Albert Einstein

Albert Einstein (1879-1955) est surtout connu pour ses travaux scientifiques et la théorie de la relativité. Ses opinions politiques et religieuses, en revanche, restent assez méconnues du grand public…Et c’est bien dommage !

Comment je vois le monde n’est pas une biographie à proprement parlé. Il s’agit d’écrits compilés pour former un recueil aussi représentatif que possible de sa vision de l’humanité. Ce recueil est composé de lettres et de discours d’A. Einstein rédigés à destination d’individus et de publics variés, essentiellement à l’époque si particulière de l’entre-deux guerres…quelque part entre l’Allemagne bientôt nazie et l’Amérique qu’il admire déjà…

Au fil de ses lettres et de ses discours, le lecteur retrace la vie de l’homme derrière celle du scientifique…une vie remplie de rencontres toutes plus riches les unes que les autres. Ce sont ces rencontres que j’aimerais retracer dans ce billet et ceux à venir…Ces rencontres qui forgent un homme…Et au travers de ces rencontres, j’espère vous faire découvrir la sagesse de l’homme.

Je vous souhaite une bonne lecture et un bon voyage au détour de la vie d’Albert Einstein !

Albert Einstein et Hendrik Antoon Lorentz, photographiés par Ehrenfest devant sa maison à Leiden en 1921

C’est dans un environnement bien triste que commence ce voyage. Nous sommes le 4 janvier 1928,  sur la tombe d’Hendrik Antoon Lorentz ; et A. Einstein vient témoigner son admiration pour ce grand homme. H. A. Lorentz est l’un des fondateurs de la physique moderne. Il est l’un des premiers à mettre en évidence la théorie de l’électron, et il pose les bases de la théorie de la relativité. Mais à l’heure de sa mort, ce n’est pas seulement ses talents de physiciens qu’A. Einstein veut mettre en évidence mais bien plutôt son oeuvre d’humaniste. En effet, H. A. Lorentz était également président de ce qui deviendra plus tard l’UNESCO. Dans ce cadre et pendant la période troublée de la première guerre mondiale, il a oeuvré pour la réconciliation et la collaboration internationale des scientifiques de tous pays. Après la guerre, il a contribué à faire supprimer des statuts du Conseil de Recherche, à vocation internationale, un paragraphe visant l’exclusion des scientifiques des puissances vaincues. Si cette victoire sur le papier n’a pas été aussi efficace qu’il l’aurait souhaité en réalité, A. Einstein profite de cet hommage funèbre pour rendre grâce à l’homme qui, au-delà des guerres, aura mis sa vie au service d’une entente amicale et féconde des savants du monde entier.