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Dans la mansarde – Marlen Haushofer

cvt_dans-la-mansarde_3985Si ma mémoire est bonne, Dans la mansarde est le quatrième titre que je lis de Marlen Haushofer après Le mur invisible – une de mes lectures-phares, La cinquième année qui prenait la forme d’un recueil de nouvelles, et Nous avons tué Stella, un court roman proche de la nouvelle dans lequel le lecteur suit les pensées d’une mère de famille trompée par son mari avec Stella, leur baby-sitter.
Chaque narrateur de Marlen Haushofer est un personnage féminin, très isolé intérieurement.

Dans la mansarde ne fait pas exception à cette règle. On y suit le quotidien d’une quinquagénaire mère au foyer dont les enfants sont adolescents voire adultes et vivent leurs vies de leur côté. Le récit s’oriente principalement sur la vie de couple et l’entretien de la maison, entrecoupé de souvenirs soulevés par l’arrivée impromptue dans la boîte aux lettres d’extraits de journaux intimes de jeunesse de la narratrice, que cette dernière s’empresse de dissimuler dans un tiroir de meuble de la mansarde, sa pièce maîtresse, son atelier où elle vient régulièrement dessiner des oiseaux.
Le récit s’étire sur une semaine, le temps que chaque extrait de journal soit envoyé, lu et aussitôt détruit.

J’ai adoré Le mur invisible, j’avais la sensation qu’il se dégageait une certaine sérénité de ce livre. A contrario, Dans la mansarde m’a considérablement angoissée et plusieurs jours après l’avoir terminée, cette lecture m’évoque encore un sentiment de malaise. Le style magnétique du Mur invisible n’a pas opéré avec Dans la mansarde – les deux livres ont été traduits par des personnes différentes. Dans Le mur invisible, le détachement émotionnel de la narratrice peut être perçu comme une force qui lui permet de survivre dans un milieu hostile, exempt de toutes relations humaines. La narratrice de Dans la mansarde présente ce même trait de caractère alors qu’elle est entourée de sa famille et de ses amis. Elle observe sa vie, son entourage, ses proches, avec un détachement quasi pathologique. Elle exprime régulièrement son absence de sentiments – ni haine, ni amour – son acceptation d’un ennui certain, cette routine incessamment répétée. La narratrice expulse sa rage sous-jacente dans les tâches ménagères de la maison qu’elle ne déléguerait à personne d’autre, quand bien même son mari lui proposerait d’embaucher un femme de ménage.
Toutefois, le discours lisse et presque monotone entraîne progressivement, suite à la lecture des souvenirs reçus par voie postale – on ne sait et ne saura jamais comment – , une discrète évolution dans la psyché de la narratrice.

Dans la mansarde – Marlen Haushofer
roman traduit de l’allemand par Miguel Couffon
Actes Sud , 1987, 226 p.
Première publication : Die Mansarde, Claassen Verlag GmbH, 1969


Challenges concernés

 

Boussole – Mathias Enard

boussoleJ’ai terminé Boussole depuis des mois déjà sans prendre le temps de rédiger ce billet. Pourtant ce n’est pas faute d’avoir été relancée, par Mina notamment, et à plusieurs reprises.

Pour tout vous avouer, mon impression sur le Goncourt 2015 est plutôt mitigée. Je découvre dans la foulée l’écriture de Mathias Enard et si j’ai apprécié ma lecture, je ne me sens pas pour autant portée par l’envie de lire les autres romans de l’auteur.

Boussole est un livre érudit, je ne vous apprends rien. Les références sur l’orient et l’orientalisme foisonnent. Dans un premier temps, j’ai voulu les noter pour y revenir plus tard mais j’ai vite compris que l’entreprise était totalement vaine. Elles sont beaucoup trop nombreuses, avec une moyenne de cinq références par page… j’ai cru que j’allais m’arrêter de lire pour recopier le livre !

Une bibliographie en fin d’ouvrage n’aurait pas été du luxe : elle aurait sans doute libéré ma lecture de nombreuses prises de notes et m’aurait permis d’approfondir plus aisément les thématiques qui m’intéressent le plus. Par necessité d’avancer dans le roman, j’ai finalemment lâché prise et accepté l’étourdissante érudition de l’auteur pour m’attacher à la narration… Ainsi vint la chute. L’histoire d’amour entre les deux protagonistes m’a totalement laissée de marbre. Le personnage du narrateur m’est apparu fade et sans profondeur ; son grand amour déçu, Sarah, lointaine et idéalisée, m’est restée totalement étrangère.

Si j’ai eu le sentiment d’apprendre avec plaisir des milliers de choses sur l’Orient, quelques mois plus tard pourtant il ne me reste quasiment rien de ma lecture tant chaque accroche historique ou artistique est survolée, à peine amorcée, allusive… Je reste finalement sur ma faim. J’ai presque envie de comparer de manière peut-être un peu douteuse ce roman à une énorme barbe à papa tentante, prometteuse, délicieuse par bouchée… et finalement étouffante de trop de sucre sans pour autant remplir l’estomac.


Boussole – Mathias Enard
Actes Sud, 2015, 378 p.


Challenges concernés

Challenge Multi-défis 2016 :  un livre qui a gagné un prix littéraire

Trouée dans les nuages – Chi Li

cvt_trouee-dans-les-nuages_945Je rencontre l’auteur chinoise Chi Li pour la deuxième fois avec son roman Trouée dans les nuages. Entre thé savoureux et duvet douillet, l’angoisse monte en huis clos et ma tasse refroidit bien vite. Je suis en Chine, témoin invisible d’un couple qui se délite entre les murs de son appartement. Les nuits sombres s’enchaînent et sont le lieu de règlements de comptes macabres. Les jours ordinaires défilent à l’extérieur pour ces employés modèles d’un centre de recherche. La fluidité du style et l’extrême sensibilité de Chi Li marquent le récit à l’image des Sentinelles des blés, s’y ajoute un fort sens du suspense que je n’avais pas pressenti chez l’auteur. Je sors du roman étouffée par la pression psychologique imposée par les deux protagonistes, assommée de cette silencieuse violence qui s’épanche insidieusement chaque soir lorsque les portes de la vie publique se referment.

Quatre ans avant Les sentinelles des blés, Chi Li met déjà l’accent sur les vies intimes derrière les façades sociales ; elle joue avec le doute, fissure les évidences ; elle pointe du doigt le réel interne des esprits et son empreinte dramatique sur le monde extérieur – lequel monde interprète ces marques à sa guise comme des conséquences factuelles issues d’un quelconque désordre économique. C’est sans compter la douleur et la bassesse des hommes, ou leur grandeur.

« Au début tout était calme, paisible, serein, comme au premier jour. Leur vie et leur façon d’être évoquaient ces feuilles d’un vert tendre et luisant dont les nervures transparaissaient sous le soleil de midi. Ils n’étaient pas de ces gens flous qui ne laissent où ils passent que des bribes de vie confuses et finissent par tout embrouiller autour d’eux, les hommes, l’existence et l’histoire.
Jin Xiang et Zeng Shanmei étaient des feuilles vertes sous le soleil : tous leurs collègues de l’Institut de recherche métallurgiques partageaient cette certitude, convaincus qu’ils étaient de pouvoir distinguer jusqu’à leur moindre capillaire. »


Trouée dans les nuages – Chi Li
traduit du chinois par Isabelle Rabut et Shao Baoqing
Actes Sud, 1999, 115 p.
Première publication : Yun po chu, Huacheng, 1997


Challenge concerné

Challenge Multi-défis 2016 : un livre du « bout du monde »

Le toit de tôle rouge – Nirmal Verma

Conseillé par mon amie Marine, j’ai eu un peu de mal à dénicher ce livre de Nirmal Verma, auteur indien s’exprimant en hindi, et finalement trop peu traduit en français.
Immédiatement, je suis agréablement surprise par le style à la fois descriptif et introspectif de l’auteur, puis par les thématiques abordées : point de violence, point de militantisme féministe, ni d’ambiance Bollywood ou de bidonvilles…Clichés trop récurrents à mon goût de la littérature indienne.

L’histoire se déroule dans un village de montagne du nord de l’Inde, résidence d’été de travailleurs urbains. L’hiver, il y fait froid. On y suit les jeux d’enfants de Kaya et de son frère cadet Tchoté. Progressivement, le récit se focalise sur la fillette et sur les étapes qui la mèneront à l’âge adulte. Lent et contemplatif, ce roman me rappelle, dans un tout autre contexte, ceux de Marlen Haushofer. Il laisse transparaître avec justesse et sensibilité la mutation intérieure de l’enfant vers la femme, confrontée à la découverte de l’altérité, du deuil, de la maternité, de la naissance, du rapport au père, du départ – le sien et ceux de ses proches -, de l’amour, de la vieillesse, de l’affirmation de soi…

Une très belle découverte en somme et un auteur que je n’ai pas fini de lire. 😉


Le toit de tôle rouge – Nirmal Verma et Gill Gagan
Traduit du hindi par Annie Montaut et François Auffret
Actes Sud, 2004, 272 p.


L’espèce fabulatrice – Nancy Huston

Je découvre Nancy Huston avec cet « essai » – j’ose à peine utiliser ce mot – que me prête un ami. Je m’excuse par avance, ma critique risque d’être fort peu élogieuse.

Nancy Huston tente de démontrer ici que l’être humain est avant tout un être de fiction. Il a besoin de fabuler pour mieux supporter sa condition. Je grossis, à très gros trait
Je divise pour ma part l’ouvrage en deux parties. Dans la première, l’auteur expose en quoi l’être humain est voué au néant, apologie de l’absurde et indirectement de l’athéisme – quelques millénaires de philosophie, théologie et autres sciences humaines passent à l’as pour ne retenir que le discours mortifère de notre siècle sartrien. Ajoutez-y quelques touches d’humour (vraiment ? ) sur les paysans berrichons – l’auteur canadienne voulait sans doute faire étalage de sa culture en citant nos contrées reculées, elle en oublie certainement que le « paysan berrichon » n’est pas une fiction et n’a pas besoin de se laisser insulter par son éminence d’outre-mer. – et Nancy Huston aura achevé de m’énerver. J’avoue que j’ai du mal avec le second degré dans les « essais » – en admettant qu’il s’agisse bien de second degré. En bref, si je n’avais pas eu plusieurs heures de train devant moi – pour me rendre dans le Berry justement – il est très probable que je n’aurais jamais terminé ce bouquin.

J’aurais eu tord, la seconde moitié redresse la barre en faisant l’apologie de la littérature et de la capacité imaginale de l’être humain – capacité rédemptrice bien évidemment. Si la première n’avait pas été si mauvaise j’y aurais presque cru, j’y aurais même pris plaisir. Mais les douches écossaises en littérature, très peu pour moi. On ne m’y reprendra pas !

Challenge concerné
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Oeuvre poétique – Alejandra Pizarnik

Après Textes d’Ombre, je continue la lecture de cette poétesse argentine en empruntant à la bibliothèque ce volume épuisé chez Actes Sud. L’objet livre tout d’abord attire l’attention par le rose de sa couverture et sa forme allongée. Je suis forcée de noter tout de même qu’il n’atteint pas physiquement la qualité des publications d’Ypsilon. Ce premier constat est l’occasion de remarquer le travail des typographes et éditeurs et l’impact qu’il a sur la lecture d’un texte poétique. Le livre d’Actes Sud étant plus dense et moins aéré, je perds en confort de lecture et m’attarde moins sur les mêmes mots qui m’avaient bouleversés chez Ypsilon.

La traduction ensuite, ici Silvia Baron Supervielle er Claude Couffon se partage les huit recueils composant l’édition. Je ne m’attarderai pas sur ce point, si ce n’est que quoique ponctuellement différente, la traduction est très globalement similaire, pour un même poème, à celle d’Étienne Dobenesque pour Textes d’Ombre. Je constate également qu’Oeuvre poétique, contrairement à ce que son titre laissait présager n’est pas tout à fait exhaustif. Plusieurs textes inédits ont été intégré dans l’édition d’Ypsilon que je ne retrouve pas ici. Les éditeurs n’ont pas non plus fait les mêmes choix dans l’ordonnancement des poèmes.

Parlons poésie maintenant. Une fois encore, les vers d’Alejandra Pizarnik me saisissent. J’ouvre le livre au hasard :

un trou dans la nuit
soudain envahi par un ange

Et c’est bien ainsi que j’aime lire Pizarnik, au hasard des pages, m’emplir des vers, des mots. Du temps suspendu, du temps triste, de l’espace sauvé. Chaque ligne est une surprise, une course arrêtée dans mon quotidien, et chaque fois la même émotion. Presque systématique.

Quelqu’un mesure en sanglotant
l’étendue de l’aube.
Quelqu’un poignarde l’oreiller
en quête de son impossible
place de repos.

A trop lire Alejandra Pizarnik, je suis facilement envahie par une profonde mélancolie, triste et parfois désespérée. A lire quatre vers de manière impromptue, je m’attache d’avantage aux espaces ouverts. Je suis rassérénée.

Tous les recueils n’ont pas la même tonalité, le rapport à l’Autre, s’il est toujours présent n’est jamais autant développé que dans Textes d’Ombre. Le vide, l’impossible, l’inaccessible, le « presque là » sont autant de notions récurrentes et justement dites. L’exil, la mort, les fleurs, le vent. A tout lire d’affilée, j’en perd l’empreinte propre à chaque recueil.

Voilà qui m’incite à posséder ces vers et à retourner en librairie, puisqu’il me faudra bientôt rendre ce livre emprunté et épuisé. J’ai hâte de relire ces poèmes cette fois soigneusement composés et imprimés, séparément, par Ypsilon.

Challenges concernés
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Challenge Poésie 2014-2015

L’art d’être Hugo – Pascal Durand

J’ai déniché ce court essai alors que je flânais au rayon Poésie de la bibliothèque de la Part-Dieu, comme souvent, lorsqu’il me prend l’envie de lire Victor Hugo.

Avec L’art d’être Hugo : lecture d’une poésie siècle, Pascal Durand, professeur de philosophie et de lettres à l’université de Liège, nous propose de relire la vie du grand auteur au prisme de ses œuvres poétiques, dans un style parfois ampoulé, il faut bien l’admettre.

L’essai ne m’a pas vraiment emballé, mais – et c’est là l’essentiel – il m’a permis de mieux me repérer dans la chronologie des publications de Victor Hugo et de constater que les quelques recueils du poète que j’ai lu ont été rédigés dans la deuxième partie de sa vie. Peut-être parce que ce sont les plus réputés, ou les plus aboutis, les mieux réussis, que sais-je ? Il semblerait que j’ai un faible pour cette période. En effet, j’ai lu les deux premiers romans de Victor Hugo Bug-Jargal et Han d’Islande, mais ceux-ci ne m’ont pas autant impressionnée que L’homme qui rit, écrit à la fin de sa vie.

Si j’ai ressenti un certain plaisir à retrouver La légende des siècles, les Contemplations ou encore L’année terrible dans les lignes de Pascal Durand, j’ai également pris conscience de mes nombreuses lacunes à combler quant aux premiers écrits poétiques de l’auteur. Je pense tout particulièrement aux Orientales et Feuilles d’automne, et ces recueils ne sont pas les seuls. Bien qu’un peu déçue par les premiers romans de Victor Hugo, cet essai m’incite à tenter ses premiers poèmes.

 Sur le plan pratique, j’ai naturellement eu envie de retourner aux textes originaux pour comprendre ce à quoi faisait référence Pascal Durand, et j’ai été frustrée de constater que le système de citation de l’essai (par n° de page dans l’édition mentionnée) ne me permettait pas de retrouver les passages concernés dans mes propres ouvrages de Victor Hugo. Une référence au titre des poèmes aurait été préférable.

Une lecture mitigée, en somme, mais qui ne m’enlève pas le goût de la littérature hugolienne. En revanche, je conseille cet essai aux grands lecteurs de Victor Hugo qui sauront, mieux que moi, y trouver leurs repères.

Cette chronique est rédigée dans le cadre du Challenge Victor Hugo, du Challenge romantique et du Challenge XIXème.