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Rêver l’obscur : femmes, magie et politique – Starhawk

Starhawk est une militante américaine contemporaine, féministe, écologiste, pacifiste et altermondialiste. Au premier abord, sa personnalité m’a semblé plutôt farfelue, je dois bien l’admettre. Une « sorcière néo-païenne » nous dit Cambourakis sur la quatrième de couverture de Rêver l’obscur, sérieusement ? Quoiqu’il en soit, la dame fait preuve d’un engagement politique tel qu’il serait malvenu de ne pas s’attarder un petit peu sur ses écrits.
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Rêver l’obscur : femmes, magie et politique rassemble les idées principales de l’autrice dans un format que j’ai trouvé pour ma part assez déstabilisant et éloigné des écrits académiques traditionnels. On y parle de divinités, de magie, de pouvoir-sur et de pouvoir-du-dedans, de rituels à réinventer, de peur à exorciser et de futur à créer. Sous ces faux airs de science-fiction ou de récits fantastiques, les propos de Starhawk sont pourtant rationnels et fondés sur une véritable expérience pratique des rassemblements de militants. Publié pour la première fois en 1982, bien avant la vague de publications sur le développement personnel que nous connaissons actuellement, Starhawk théorise la communication au sein de petits groupes d’humains. Elle observe les manières dont chacun prend la parole et apporte des conseils pour réguler les prises de paroles de façon bienveillante dans le but de faire avancer un groupe dans son ensemble, de faire émerger de nouvelles idées politiques et d’organiser leur mise en pratique. Cette gestion du groupe passe notamment par l’organisation de rituels précisément détaillés par Starhawk.

La magie et la circulation de l’énergie sont mis au centre de la pensée et de la pratique de Starhawk. Les rituels ont notamment pour but de capter l’énergie reliée à la Terre. Pour définir cette énergie, Starhawk s’appuient sur les traditions chinoise (ch’i), indienne (prana) ou encore hawaïenne (mana). La magie, quant à elle, est décrite très rationnellement comme le pouvoir résultant de la vérité, la sincérité, le dire-vrai, le bon usage du langage. La formulation des peurs est présentée comme le meilleur moyen d’en venir à bout, et surtout la formulation des rêves est la première étape nécessaire à leurs réalisations. Qui n’ose pas rêver un monde meilleur n’obtiendra rien de meilleur. D’où l’intérêt par exemple d’une science-fiction qui mettrait à l’honneur des héroïnes puissantes et indépendantes, ou de manière générale qui proposerait d’autres modèles de société.

Je suis souvent restée perplexe en lisant les écrits de Starhawk, j’ai plus souvent encore été surprise et intriguée. Ce livre m’a rendu plus curieuse, plus militante, plus confiante aussi. Rêver l’obscur m’a surtout incitée à m’engager personnellement dans la réflexion, à me faire ma propre opinion, à engager une action après l’autre pour faire évoluer les mentalités et notre société, petit pas par petit pas, et de petit groupe en petit groupe, une idée entrainant l’autre…


Rêver l’obscur : femmes, magie et politique – Starhawk
traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Morbic
Cambourakis, 2015, 380 p.

Titre original : Dreaming the dark. Magic, sex & politics, 1982


Les lettres – Hadewijch d’Anvers

Quelle lubie a bien pu m’inciter à commander cette édition suisse des correspondances de Hadewijch d’Anvers, mystique flamande du XIIIème siècle ? Momentanément intriguée par le mouvement des béguines, je souhaitais en savoir plus sur ces femmes célibataires qui, sans former de vœux perpétuels, appartenaient à une communauté religieuse laïque et vivaient pieusement en obéissant à une règle monastique. Occasionnellement condamnées pour « fausse piété » et brûlées vives, l’institution catholique les autorisera quelques décennies plus tard à poursuivre l’exercice de leur foi… (les voies du Seigneur sont impénétrables – et celle de l’Histoire des plus improbables). Plutôt que de m’en tenir à une simple biographie ou autre ouvrage historique, j’entreprends de retourner à la source en lisant les textes de Hadewijch d’Anvers – traduit, le texte, mais si j’avais pu lire le moyen-néerlandais, Dieu seul sait si je n’aurais pas entrepris la V.O. – … et grand mal m’en pris. Il semble que je n’ai rien compris.

Au bas de ces lettres datées de 1220 à 1240 d’apparence douces et naïves, débordantes d’amour et de morale, se nichent les commentaires d’un certain Paul-Marie Bernard qui s’échine à faire comprendre au lecteur que s’il a cru comprendre la phrase, il se méprend totalement sur ses capacités intellectuelles. Si j’ai cru acquérir un recueil de correspondances, je me suis totalement fourvoyée sur l’objet que je tiens entre mes mains, il s’agit bien plutôt d’un commentaire théologique extrêmement ardu des lettres de la gente dame. Chaque lettre est introduite par un court résumé du traducteur et commentateur qui nous informe de ce qu’il faut comprendre de ce qui va suivre. Le procédé est, à dire vrai, assez désagréable. Le vocabulaire utilisé par Hadewijch d’Anvers est pourtant relativement simple et fluide et peut sembler assez général – les idées dispensées ayant peut-être été largement véhiculées et vulgarisées par les huit siècles d’histoire catholique qui les portent jusqu’à nous. Ces lettres m’auraient presque parues belles – quoique un peu ennuyeuses – si les notes de bas de page, souvent plus longues que les lettres, n’en faisaient pas un traité hermétique au commun des mortels.

J’en ressors avec une curiosité non rassasiée sur les béguines, et un écœurement notoire qui ne m’incite pas à creuser la question… et pourtant, quelque chose me dit que ces femmes avaient beaucoup à transmettre.


Les lettres : la perle de l’école rhéno-flamande – Hadewijch d’Anvers
traduites et présentées par Paul-Marie Bernard
Editions du Sarment, 2002


La clôture des merveilles – Lorette Nobécourt

Je prends mes lectures dans le désordre. Après avoir chroniqué Alexis Jenni, je continue dans l’ambiance religieuse avec La clôture des merveilles.

J’ai découvert ce court roman juste après ma lecture de Moby Dick. Suite à plusieurs lectures infructueuses, Lorette Nobécourt semblait être la seule capable de capter mon attention plus de cinq minutes. Le style littéraire n’a pourtant strictement rien à voir avec celui de Melville – quel auteur pourrait-il s’en vanter ? – mais il me permet de sortir de mon « deuil littéraire post-chef-d’oeuvre » – ce qui est énorme ! Simple et fluide, l’écriture introspective de Lorette Nobécourt est parfaitement adaptée à cette vie romancée de H., celle dont on se souviendra sous le nom de Hildegarde de Bingen. De simple moniale, cette dernière deviendra l’une des âmes les plus influentes des siècles suivants. Insoumise et obstinée, elle fondera deux abbayes, s’adonnera à la littérature et restera dans nos mémoires comme l’une des plus grandes mystiques de la chrétienté.

Dans La clôture des merveilles, Lorette Nobécourt ne s’attache pas tant au récit historique et biographique de Hildegarde – bien qu’il soit très présent tout au long du roman – mais bien d’avantage à l’évolution spirituelle, aux émotions, voire aux relations quasi-amoureuses tant elles sont profondes, de H., simple nonne, femme. L’auteur en profite pour saupoudrer son propos d’écrits poétiques et des apports spirituels de sa protagoniste sur la notion de viridité notammenténergie intérieure perpétuellement renouvelée grâce à l’intervention de l’Esprit et comparable à celle qui fait croître les plantes.

Pour ma part, si le personnage de Hildegarde de Bingen m’interpelle, c’est bien l’écriture de l’auteur qui me séduit d’avantage ici. Je découvre Lorette Nobécourt avec La clôture des merveilles et je ne compte pas en rester là. J’espère revenir vers vous très prochainement pour vous parler d’un autre de ses romans, Patagonie intérieure.

Pour ceux d’entre vous qui souhaiteraient explorer l’écriture introspective, sachez que Lorette Nobécourt organise régulièrement des ateliers dans la Drôme – ambiance paradisiaque garantie !
Vous trouverez des précisions sur son site : http://lorettenobecourt.com/

Le prophète – Khalil Gibran #2

Dans un précédent commentaire à propos de la lecture audio de Mal de pierres de Milena Agus, Mina me demandait si mes impressions extrêmement positives étaient d’avantage liées à la deuxième lecture, en l’occurrence par l’écoute, du texte ; ou si elles étaient dues au talent de l’actrice et à son choix d’interprétation.

Avec Le prophète, je peux amorcer un début de réponse. J’ai découvert ce texte par écrit il y a quelques années, j’avais été très enthousiasmée et vous en faisais part ici. Je ne l’exprimais pas mais je prends conscience aujourd’hui de l’univers physique du paysage d’Orphalèse que j’imaginais volontiers situé dans une plaine désertique à proximité de la mer. Le prophète à la sortie de la ville, tourné vers le peuple, dos à la plage et au port haranguait la foule de ses sages préceptes.

Dans cette version lue, publiée par Audiolib et interprétée par Michaël Lonsdale, je perds complètement cet espace de liberté, aéré, séché par le soleil, cette perspective que je m’étais créée entre désert et océan. La voix de l’acteur trainante dans son micro, allongeant légèrement – mais déjà beaucoup trop – la dernière syllabe des phrases, l’appui trop prononcé sur le « -dit » des début de parapraphes « il répondit  » m’agace au plus haut point et me renvoie l’image d’une église trop sombre, à l’espace contraint, dans laquelle un vieux prêtre viendrait sermonner ses ouailles. Je suis bien loin de cette ville orientale, rêvée et sableuse, où le regard se libère vers l’horizon lointain.

Je suis d’autant plus dérangée par cette interprétation que Le prophète justement se voudrait ne dépendre d’aucune religion. Ce texte, profondément humaniste, nous parle d’un Dieu qui n’appartient à personne ; et cette voix toute chrétienne semble me le kidnapper, l’instrumentaliser pour une cause qui n’est pas la sienne.

J’ai bien conscience que ce n’était probablement pas le but de Michaël Lonsdale, ni celui des éditeurs, mais de toute évidence, l’interprétation a largement influencé mon écoute et ma compréhension jusqu’à la transformer complètement. Je n’arrête pas là pour autant mes expériences de lectures auditives, elles viennent compléter mes temps de lecture plus classique à des moments où je ne suis pas en mesure, techniquement, de tenir un livre entre les mains.

Victor Hugo et Dieu – Emmanuel Godo

Je me plais parfois à dire que j’ai commencé à lire en 2013. Si je veux être exacte, j’ai plutôt re-commencé à lire en abondance début 2013 en ouvrant L’homme qui rit de Victor Hugo. Je n’ai pas chroniqué ce roman ici parce qu’il m’est très difficile de formuler décemment son caractère monumental. Je crois que je n’exagèrerais pas si je vous disais que je l’ai vécu comme une révélation. Depuis L’homme qui rit, les écrits de Victor Hugo tiennent place de fil rouge dans mes lectures et dans ma vie : Han d’Islande, Les contemplations, L’année terrible et aujourd’hui La légende des siècles se sont succédé tour à tour sur ma table de chevet ou dans mon sac à main.

J’ai pris connaissance de l’essai d’Emmanuel Godo grâce aux notes de bas de page de Religions : les mots pour en parler. L’auteur le citait en exemple d’un travail de recherche sur l’homo poeticus. J’ai consciencieusement noté la référence pour y revenir au moment opportun. Dans son livre, Emmanuel Godo nous propose de retracer l’évolution spirituelle de Victor Hugo à partir, essentiellement, de son œuvre littéraire, particulièrement prolifique sur la question religieuse. Il met ainsi de côté l’homme politique pour se focaliser sur un aspect peut-être moins connu du grand homme : sa relation à Dieu.

Victor Hugo et Dieu : bibliographie d’une âme est un essai de 250 pages, pas trop long et très accessible. Il n’est pas nécessaire d’être agrégé de lettres modernes pour le comprendre. Truffé de citations de Victor Hugo, c’est un vrai plaisir à lire, invitant à découvrir d’avantage encore l’auteur concerné. L’ouvrage est divisé en 11 chapitres correspondant chacun à une étape de la vie de Victor Hugo, présentée dans l’ordre chronologique. Chaque période possédant ses caractéristiques spirituelles propres.

Né en 1802 à Besançon, on apprend que Victor Hugo n’a reçu aucune éducation religieuse, il n’était pas baptisé. Vers 1819, il admet être passé « du royalisme voltairien de sa mère au royalisme chrétien de Chateaubriand ». Mais ce rapprochement du christianisme, fortement lié à ces penchants politiques, ne durera qu’un temps. De 1825 à 1830, Hugo se détache progressivement de l’Église, alors que sa foi s’affermit. Il écrira notamment dans un poème intitulé Tas de pierre :

« Au fond, Dieu veut que l’homme désobéisse. Désobéir, c’est chercher».

Face à l’institution ecclésiale, Victor Hugo prend le parti de Dieu, et avec Dieu celui du peuple – fil rouge de son œuvre littéraire, autant que politique. Le 4 septembre 1843, V. Hugo perd sa fille, Léopoldine. Cette tragédie ouvre alors dans sa vie ce que Maurice Levaillant appelle la crise mystique de Victor Hugo. Emmanuel Godo parle d’exil métaphysique. La souffrance devient un moyen de connaissance pour Victor Hugo : puisque sa fille appartient à l’invisible, le poète consacrera dorénavant sa vie à définir cet invisible. Il faudra plus de 10 ans avant que Victor Hugo ne puisse formuler ce drame en poème, il publiera les Contemplations en 1856. Dans l’intervalle, en 1851, Bonaparte fait son coup d’état et Hugo doit s’exiler physiquement à Bruxelles, puis sur l’ile de Jersey. Commence alors la période des tables tournantes : Hugo s’adonne au spiritisme. Les compte-rendus des Tables sont publiés, on les trouve encore aujourd’hui en édition de poche. Quoique l’on pense de ces activités, il faut retenir que Victor Hugo, lui, y croit : il dialogue ainsi avec sa fille, le Christ, Alexandre le Grand, Dante, Galilée, Shakespeare, etc. Ces expériences prennent fin lorsque l’un des membres du groupe est interné. Pendant ses 19 années d’exil, la foi de Victor Hugo se concrétise à travers certaines de ses plus grandes œuvres : Les Contemplations, La légende des siècles, Les misérables, L’Homme qui rit, etc.

Emmanuel Godo consacre plusieurs pages magnifiques à L’homme qui rit. Il va jusqu’à écrire, discrètement, en note de bas de page :

« Chaos Vaincu est le titre du drame présenté par Ursus [l’un des personnages principaux de L’homme qui rit] et pourrait servir de sous-titre au roman tant la victoire sur le chaos y est centrale : victoire – espérée – de l’esprit sur la matière, des mots sur l’informe, du sens sur la fatalité de l’absurde. »

Comprendra qui voudra mais pour ma part, c’est bien comme cela que j’ai reçu L’homme qui rit : une victoire du sens sur l’absurde. Et merci monsieur Godo d’avoir su le nommer ! Parce que mis à part balbutier « y’a un truc dans ce roman », je n’aurais jamais pu le formuler moi-même…

Pour en revenir à notre histoire, Victor Hugo rentre en France en 1870, c’est la défaite contre la Prusse, puis la Commune. Il publiera l’année suivante L’Année terrible où il retrace les événements des mois précédents. La spiritualité hugolienne est inséparable de ses actes et de ses choix politiques, il montre un soutien indéfectible au peuple qui le lui rend comme il peut, idolâtrant d’avantage l’homme social et politique que l’écrivain inspiré.

En permanence tourné vers le Christ ou vers Dieu – qu’il nomme également de son nom laïc : le Progrès – Hugo a foi avant tout en l’homme et ne reviendra jamais vers l’Église et ses dogmes. Pour résumer la singularité de la démarche de Victor Hugo, Emmanuel Godo écrit :

« C’est un croyant profond et sincère qui refuse les sacrements d’une Eglise en laquelle il ne reconnaît pas les principes spirituels et moraux sur lesquels il a fondé sa vie et non un athée. »

Victor Hugo meurt le 22 mai 1885. Maupassant écrit qu’ « il attendait la mort sans crainte, avec sérénité ». Ses dernières volontés étaient d’être enterré auprès des siens, au lieu de quoi il reposera au Panthéon et ses funérailles laïques feront date dans l’histoire de France. Emile Augier déclare ce jour-là, au nom de l’Académie Française :

« Ce n’est pas à des funérailles que nous assistons, c’est à un sacre. »

Pour tout vous dire, j’avais un peu peur en m’attaquant à l’essai d’Emmanuel Godo. Je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre. Finalement, j’y ai pris beaucoup de plaisir, j’ai appris beaucoup de choses, et surtout j’ai eu envie de continuer à lire encore et encore Victor Hugo, à m’intéresser d’avantage à ce personnage, monstre sacré s’il en est, à comprendre sa démarche singulière fondée sur la liberté, les actes, la quête spirituelle, la beauté aussi, la raison surtout, le social – au sens fort du terme – et la foi bien évidemment. J’ai également épluché la bibliographie en fin d’ouvrage – petit bonheur qui ouvre toujours de nouvelles portes. Outre d’autres essais sur Victor Hugo, je suis curieuse de ces quelques références sur le romantisme et l’histoire de la pensée au XIXème siècle.

Affaire à suivre…

[Cet article a été publié, a posteriori, dans le cadre du Challenge romantique de ClaudiaLucia]

Le Prophète – Khalil Gibran

Le Prophète – Khalil Gibran

J’ai découvert ce petit ouvrage par hasard, le week-end dernier, sur le présentoir à l’entrée d’une petite librairie ésotérique du quartier Saint Jean à Lyon. Pour quelques euros à peine, j’empochais 3 petites merveilles : La Création du monde et le Temps de Saint Augustin, L’esprit de l’aïkido de Kisshômaru Ueshiba et Le Prophète de Khalil Gibran. Le soir même, chaudement recroquevillée au fond de mon canapé, j’ouvrais Le Prophète. Je ne me suis arrêtée que pour allée dormir. Au réveil, un café à la main, je reprenais avidement la lecture de ce petit ouvrage, et le terminais avant midi. Autant dire que je me suis totalement immergée dans les propos de ce prophète, dégustant chaque vers, et m’émerveillant à la fin de chaque chapitre ;  ne m’arrêtant que pour mieux savourer les dernières lignes.

Le Prophète se lit très facilement et rapidement. Les phrases courtes et synthétiques vont directement à l’Essentiel. Le prophète s’apprête à quitter sa terre d’accueil pour rentrer dans son pays. Avant qu’il ne parte, les habitants  d’Orphalèse viennent le questionner sur tout ce qui constitue la vie. Ainsi, chacun leur tour il l’interroge sur l’amour, le mariage, les enfants, le don, le boire et le manger, le travail, la joie et la peine, les maisons, les habits, l’achat et la vente, le crime et le châtiment, les lois, la liberté, la raison et la passion, la souffrance, la connaissance de soi, l’enseignement, l’amitié, le verbe, le temps, le bien et le mal, la prière, le plaisir, la beauté, la religion, et la mort. Les réponses sont limpides sans jamais être simplistes. Les mots utilisés sont incroyablement justes, comme s’ils témoignaient d’une certaine Vérité.

Je ne peux pas vous citer d’extrait ici, je suis incapable de choisir un passage plutôt qu’un autre. Le texte est librement accessible en ligne ici.

Yi King – Richard Wilhelm (trad.)

Le Yi King

Le Yi King ou Le livre des transformations est un des ouvrages fondateurs de la philosophie chinoise. Certains vous diront qu’il s’agit d’un livre divinatoire…qui prédit l’avenir. Je ne dirais pas cela. A mon sens, il faut voir le Yi King comme un manuel de sagesse amélioré. Vous posez une question, lancez 6 fois les pièces et lisez la réponse : un avis sur une situation donnée à un moment donné. A vous de le suivre ou pas, de l’accepter ou pas. Le lancé de pièces qui tombent sur pile ou face vous permet de déterminer des chiffres qui correspondent eux-mêmes à des traits pleins ou divisés. La combinaison de ces 6 traits correspond à l’un des 64 hexagrammes du Yi King. Chaque hexagramme est chargé d’un message qui lui est propre. Wikipédia est une source fiable et neutre pour mieux comprendre ce qu’est le Yi King.

Un exemple d'hexagramme

C’est un ami qui m’a recommandé ce livre. D’abord sceptique, j’avoue m’être rapidement laissée embarquer dans la subtilité de la pensée chinoise. Certains vous diront que les textes sont tellement obscurs que l’on y voit la réponse que l’on veut…Peut-être mais je n’en suis pas certaine. D’autres vous diront qu’il s’agit d’une affabulation guère plus crédible que l’horoscope de votre journal quotidien…Alors là je proteste ! Que vous croyiez ou pas à ses enseignements, n’oubliez pas que le Yi King est un texte ancien à la base du confucianisme. Et pour cette simple raison, pour son caractère historique, il mérite qu’on lui prête attention, ne serait-ce que pour mieux appréhender la philosophie chinoise. Et puis il y a aussi le plaisir de lire et la beauté du texte :

« Lorsque l’eau s’est écoulée vers le bas, le lac se dessèche et se tarit. Tel est le destin. C’est l’image du sort adverse dans la vie humaine. A de telles époques, il n’y a rien d’autres à faire que d’assumer son destin et de demeurer fidèle à soi-même. C’est la couche la plus profonde de l’être personnel qui est ici visée, car elle seule est au-dessus de toute destinée extérieure »

Un autre critère  qui me fait aimer ce livre est l’amitié entre Richard Wilhelm, le traducteur, et Carl Gustav Jung (encore lui). Vous connaissez mon admiration pour ce dernier. Jung a également contribué à la diffusion du Yi King en Occident et s’est beaucoup intéressé à ce livre. Il écrit d’ailleurs à ce propos :

« Je sais que je n’aurais pas osé, dans le passé, m’exprimer de façon aussi explicite en une matière aussi incertaine. Je prends ce risque parce que je suis maintenant dans ma huitième décennie et que les opinions changeantes des hommes ne m’impressionnent plus : les pensées des vieux maîtres ont pour moi plus de valeur que les préjugés philosophiques de l’esprit occidental. »

Il y voit notamment une représentation concrète du phénomène de synchronicité. Je me méfie toujours un peu de ces ouvrages qui prétendent plus ou moins vous ouvrir les portes de votre subconscient…Les dérives sectaires sont si faciles. Les écrits de Jung sur le Yi King, je pense au Commentaire sur le mystère de la fleur d’or essentiellement, me rassure sur la confiance que je peux y accorder.

Toutefois Carl  Gustav Jung vous prévient :

«D’un bout à l’autre de l’ouvrage, le Yi King insiste sur la connaissance de soi. La méthode suivant laquelle ce résultat doit être obtenu ouvre la voie à toutes sortes d’abus, et elle n’est donc pas faite pour des esprits frivoles ou manquants de maturité ; elle n’est pas non plus destinée aux intellectualistes et aux rationalistes. Elle ne convient qu’à des gens de pensée et de réflexion qui aiment à méditer sur ce qu’ils font et sur ce qui leur arrive, tendance qu’il ne faut pas confondre avec la rumination morbide de l’hypocondriaque.»

Albert Einstein et la religiosité cosmique

J’aimerais partager ici un extrait de Comment je vois le monde qui reflète particulièrement bien la sagesse d’Albert Einstein et qui exprime ce qui différencie les grands hommes du commun des mortels.

« Celui qui ne connait la recherche scientifique que par les effets pratiques arrive aisément à avoir une conception absolument inadéquate de l’état d’esprit de ces hommes qui , entourés de contemporains sceptiques, ont montré la voie à ceux qui, imbus de leurs idées, se sont ensuite répandus, dans la suite des siècles, à travers tous les pays du monde. Il n’y a que celui qui a consacré sa vie à des buts analogues qui peut se représenter d’une façon vivante ce qui a animé ces hommes, ce qui leur a donné la force de rester fidèles à leur objectif en dépit d’insuccès sans nombre. C’est la religiosité cosmique qui prodigue de pareilles forces. Ce n’est pas sans raison  qu’un auteur contemporain a dit qu’à notre époque vouée en général au matérialisme les savants sérieux sont les seuls hommes qui soient profondément religieux. »

Voilà peut-être qui fera hurler certains athées mais je ne peux m’empêcher d’approuver ces mots. Et j’ai envie de souligner ce passage « ce qui a animé ces hommes ». Le verbe est particulièrement bien choisi : ce qui leur a donné vie…Ce qu’Einstein appelle la religiosité cosmique est à distinguer de la religion telle qu’on l’entend habituellement. La religiosité cosmique doit être comprise comme la contemplation de la structure de l’univers, et comme ce qui relie l’homme à la nature et aux autres hommes (cf. sur ce point Wikipedia et cet article du physicien contemporain Michel Paty).

Michel Paty écrit notamment à propos d’Einstein :

« Einstein concevait sa propre démarche dans son travail scientifique comme une recherche personnelle et une quête, dont l’objet était la connaissance de la nature, de ce monde dont nous faisons partie, en vue de la vérité. Cette recherche prenait pour lui les voies de la physique, mais c’était le chemin vers l’objectif entrevu qui comptait avant tout, davantage sans doute que les résultats proprement dits, toujours insatisfaisants et provisoires, toujours à remettre en chantier. Il aimait citer ce mot de Lessing : “La recherche de la vérité vaut mieux que sa possession”. »

Nous avions déjà noté cet attrait pour la vérité dans ses lettres adressées à Sigmund Freud. Je le mentionnais ici.

La vérité comme religion, c’est un peu ma vision de cette religiosité cosmique finalement…et je trouve cette approche extrêmement intéressante.

Et vous ? Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Psychologie du yoga de la Kundalini – C. G. Jung – 2

Mandala de Shiva/Shakti

Voilà quelques jours que j’ai terminé ce livre. Je l’ai laissé reposer un peu…J’ai écrit quelques articles sur certains thèmes abordés notamment les cakra et le serpent. Pour un livre que j’avais du mal à aborder, finalement, j’en ai retiré pas mal de choses. J’ai eu le plaisir d’en apprendre un peu plus sur Shiva et Shakti, dignes représentations déifiés du linga et de la yoni plus anciens. J’admire cette capacité qu’a eu l’hindouisme de transformer au fil des siècles des concepts riches et complexes en divinités incontournables de son panthéon. Et j’apprécie particulièrement l’image du mandala de Shiva/Shakti développé par Jung. Shiva est le point central, le bindu, la puissance créatrice latente. Il n’est pas visible mais sa puissance est bien présente, sous-jacente. La Shakti évolue autour de lui sous la forme d’une roue, ou d’un cakra, pour reprendre les thématiques déjà abordées. Elle est l’énergie créatrice visible et matérielle…mais elle n’est qu’illusion pour les hommes, un jeu du dieu…Cette illusion est aussi nommée Maya. C.G. Jung présente Maya comme un voile tissé de nos expériences passées. De là, il part du principe que les enfants qui n’ont pas encore de passé sont particulièrement sensibles à l’inconscient collectif, thématique essentielle de la psychologie jungienne. Par conséquent, les premiers rêves des enfants présentent souvent les archétypes de l’inconscient collectif que Jung compare aux samskara, aux cycles des réincarnations, aux vies antérieures si vous préférez. Sur ce point, il écrit ces très jolies phrases :

« A vrai dire, les petits enfants sont très vieux ; ce n’est que par la suite qu’ils deviennent plus jeunes. En fait, c’est à l’âge mûr que nous sommes les plus jeunes, précisément à l’époque où nous avons – complètement ou presque – perdu le contact avec l’inconscient collectif, avec les samskara. Et nous vieillissons à nouveau lorsque nous nous remémorons ces samskara avec les années qui passent. »

La comparaison de C.G. Jung sur l’approche de la vie spirituelle en Orient et en Occident a également attiré mon attention. La pensée occidentale explique le monde en général en commençant par l’inférieur pour aller vers le supérieur, on s’appuie d’abord sur la compréhension de l’atome pour expliquer les cellules puis la vie dans son ensemble. L’occidental part de l’inconscient profond pour expliquer des maux actuels de l’individu par exemple et dirige ensuite seulement sa pensée vers l’inconscient collectif. Pour l’Indien, c’est tout l’inverse, au commencement, il y a le brahman, l’Etre suprême et supérieur. Ensuite, il s’intéresse à l’homme, et le soi profond en dernier lieu est une révélation. Ce mode de fonctionnement est totalement impensable en Occident. Sur ce point, Jung écrit à juste titre :

« Imaginez que nous commencions à expliquer le monde sous l’angle du sahasrara et lisions en guise d’introduction à notre conférence ces paroles du Védanta : « Au commencement, ce monde n’était autre que le brahman ; puisque le brahman se trouvait seul, il n’était pas déployé. Ne connaissant que lui-même, il sut : « Je suis le brahman ». Et il devint l’univers. » On nous prendrait sans doute pour des fous, ou l’on penserait à tout le moins que nous tenons une réunion destinée à ranimer la foi. Ainsi, dans la mesure où nous sommes sages et où nous vivons dans la réalité, nous commençons toujours, lorsque nous voulons décrire quelque chose, par les phénomènes de la banalité quotidienne, par la dimension pratique et concrète ».

Evidemment, c’est cette approche scientifique qui fait que Jung est reconnu comme tel en Occident et non comme un mystique de plus qui voudrait diffuser sa foi. Toutefois, je ne peux m’empêcher de penser : si aborder la vie en commençant par ses aspects subtils c’est être fou, alors tous les indiens qui fonctionnent de cette manière sont-il également fous ?? Je ne peux pas m’empêcher de me questionner sur la folie…Evidemment, en tant que Française, je partage le point de vue de C.G. Jung et j’ai besoin de concret pour établir une vérité. J’aime toutefois laisser la porte ouverte à toutes ces vérités qui n’en sont peut-être pas…et pourtant…

Pour conclure cet article, je voudrais citer ces quelques phrases de C.G. Jung sur la nécessité de garder ses distances, en tant qu’occidental, par rapport aux pratiques yogiques notamment. Je les trouve assez révélatrices sur la richesse de la culture indienne…Voici les mots de C.  G. Jung :

« Vous ne devez jamais oublier que l’Inde est un pays très particulier. L’homme primitif a vécu là-bas depuis des temps immémoriaux et s’est développé dans une parfaite continuité. Nous n’avons pas évolué, nous, dans la continuité. Au contraire, nous avons été coupé de nos racines. En outre, les indiens forment une race très différente. Ils sont aryens, certes, mais ils ont aussi subi l’influence des aborigènes dravidiens. C’est pourquoi l’on trouve quelques éléments chtoniens très anciens dans le yoga tantrique. Aussi devons nous admettre que cette philosophie yogique particulière est étrangère à notre sang même, et toute chose dont nous ferons ici l’expérience apparaîtra sous un jour entièrement différent. Nous ne devons jamais prendre ces éléments au pied de la lettre. Ce serait là une terrible erreur, car il s’agit pour nous de processus artificiels. »

Le serpent à travers les mythes

Dans Psychologie du Yoga de la Kundalini, C. G. Jung fait plusieurs fois référence au serpent dans la mythologie. Tout d’abord dans la mythologie tantrique :  le yoga de la Kundalini est aussi appelé yoga de la Shakti.  Shakti-Kundalini est une déesse, c’est elle que l’on représente comme une serpente lovée autour du centre, de l’oeuf primordial, le joyau. La Shakti est l’énergie créatrice du dieu, celle qui « détient le pouvoir », « qui est capable ». Elle créé le voile de l’illusion qui enferme les mortels dans l ‘erreur et l’ignorance et les rend prisonniers de leur désir. Certains courants tantriques liés à Shakti ont pour vocation de libérer l’homme de l’ignorance par l’accomplissement de ses désirs : la libération s’acquiert en atteignant le paroxysme du plaisir… en simplifiant à l’extrême !

Mais Jung ne s’arrête pas là. Pour lui, la Kundalini est également semblable à Soter, le serpent sauveur des gnostiques, le serpent tentateur de la Bible qui offrit la pomme à Eve. Les gnostiques considèrent que le monde matériel est imparfait. Il faut s’en libérer, ou plutôt libérer son âme d’essence divine, de ce monde inférieur pour atteindre l’être suprême par la Connaissance, la gnose. On comprend mieux le rapprochement avec les religions indiennes qui ont également pour objectif la libération de l’âme et du cycle des réincarnations pour atteindre l’Etre Suprême, Brahman, ou encore le nirvana, la félicité suprême ou l’anéantissement total. Pour les gnostiques, le serpent Soter est un sauveur puisqu’il offre à Eve à travers la pomme, la Connaissance, la gnose libératrice qui permettra au mortel de se libérer de ce monde matériel. Pour en savoir plus sur le gnosticisme, le mieux pour commencer est encore d’avoir recours à Wikipédia.

Ouroboros

Toujours dans la mythologie chrétienne, C.G. Jung aborde la question du serpent solaire et du serpent du zodiaque. Je n’ai pas trouvé d’informations supplémentaires sur ces deux notions (apparemment Google n’a pas réponse à tout). Il s’agit, toujours selon Jung de représentations de la métamorphose de la puissance créatrice : la course du soleil est comparé  au cycle de la vie. Quant au serpent, il correspond à la Kundalini qui monte et descend au rythme des évolutions de l’individu. Je ne peux pas m’empêcher de penser ici à l’ouroboros, ce serpent qui se mord la queue et représente ainsi le cycle éternel de la nature.

Quetzalcoatl, le serpent à plumes

Au cours de ces allusions aux serpents, C.G. Jung mentionne également l’une de ses patientes qui rêvait régulièrement d’un indien… Une nuit, l’indien se transforma en serpent à plumes. Ce rêve et la confession qui s’ensuivit auprès de son thérapeute lui permis d’achever sa thérapie. Pour C.G. Jung, il est évident que le serpent à plumes des rêves de sa patiente n’est autre que Quetzalcoatl, le dieu aztèques, également reconnu par les peuples mayas, toltèques, olmèques et mixtèques. Il s’agit du dieu rédempteur des indiens d’Amériques, symbole de la mort et de la résurrection mais également inventeur des livres et du calendrier, donc de la Connaissance. Selon Jung, le serpent à plume Quetzalcoatl incarne l’esprit de l’inconscient dans la psyché de l’américain.

La puissance du serpent d’Arthur Avalon

Pour conclure sur le sujet, je mentionnerai un ouvrage de référence cité deux fois par Jung dans Psychologie du Yoga de la Kundalini. Il s’agit de la Puissance du serpent de John Woodroffe, également connu sous le nom d’Arthur Avalon, l’un des premiers orientalistes britanniques qui a largement contribué à la diffusion de la philosophie hindoue et des pratiques yogiques en Occident, notamment par ses traductions du sanskrit. L’ouvrage traite essentiellement des pratiques tantriques liées au yoga de la kundalini tout en laissant de côté les théories farfelues sur la sexualité tantrique et autres sujets à la mode. L’auteur étant spécialiste en la matière, l’ouvrage est réputé pour diffuser une connaissance véridique du tantrisme. Je suis curieuse d’en savoir plus…

[NB : J’ai déniché ce petit récapitulatif. Il provient d’un site présentant les différents éléments d’un jeu de rôle…Rien de bien fiable a priori mais le panorama dressé sur les serpents est tout de même intéressant : il reprend les éléments cités plus haut et en intègre de nouveaux, à commencer par la Vouivre proposée par Herr V en commentaire. Tous les serpents présentés ici ne sont pas assimilés à la Connaissance; et je m’interroge toujours sur l’escarboucle que la vouivre porte sur le front…Mis à part la valeur financière inestimable de ce joyau, quels sont réellement ses pouvoirs ? Peut-on parler de pierre philosophale ?  De Saint-Graal ? J’ai vu sur Wikipédia, que l’escarboucle pouvait transformer le fer en or… Est-ce qu’il y aurait un rapport avec l’alchimie ?]