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Et tout ce qui reste est pour toi – Xu Xing

60128_couverture_hres_0C’est par un article sur le cinéma que j’en suis venue à découvrir Xu Xing. Réalisateur de films documentaires depuis une large décennie, l’artiste a préalablement fait ses preuves en tant qu’écrivain, à tel point qu’il serait considéré comme le « père spirituel » de la jeunesse chinoise, si j’en crois son éditeur français. L’autre argument – futile à l’extrême – en faveur de Xu Xing est la terrible lettre X du challenge ABC, défi relevé !

Et tout ce qui reste est pour toi se présente comme un récit de voyage improvisé de Pékin à Berlin en passant par le Tibet. L’occasion pour le narrateur fauché de multiplier les rencontres aussi improbables que fâcheuses, voire dangereuses. Malgré le grand sens de l’ironie de l’auteur qui m’a fait sourire plus d’une fois, je suis souvent restée assez distante. La forme du récit de voyage ne me convient pas toujours, et il est très difficile de la renouveler avec succès. Pourtant, les dernières pages redressent à mon sens largement l’ensemble. De récit de voyage non-initiatique, le roman prend la tournure d’une très belle histoire d’amitié et d’un témoignage à la fois sarcastique et réaliste de l’exil.

Ces quelques lignes devraient vous donner une idée du style et de l’ambiance du livre :

Tôt le lendemain, le jeune type qui ne décolérait pas est venu me trouver pour me demander d’un air embarrassé si je voulais bien écrire une lettre à l’intention de sa lointaine fiancée au Sichuan. En un tour de plume, m’inspirant d’un échange entre Kafka et Felice, je lui en ai rédigé une : « Tout va bien pour moi, j’ai seize enfants de huit femmes différentes. Trois sont aveugles, sept sont muets et six complètement sourds. Ils sont tous encore plus laids que moi, épouse vite quelqu’un d’autre ! Si tu y tiens, trouve-toi quelqu’un comme James Bond, ne m’attends pas, ne t’occupe pas de moi, j’ai bien peur de ne jamais revenir vivant. » Après quoi je me suis empressé de prendre congé, je n’allais pas attendre la réponse !

Si vous connaissez l’auteur, ses livres ou ses films, n’hésitez pas à partager votre point de vue par mail ou au bas de ce billet. 😉


Et tout ce qui reste est pour toi – Xu Xing
Traduit du chinois par Sylvie Gentil
Editions de l’Olivier, 2003, 217 p.
Titre original : Shengxia de dou shuyu ni, 2003


Challenges concernés 

Challenge Multi-Défis 2016 : un livre dont le titre ne comporte pas d’article

 

 

 

Orange Sanguine – Laure Morali

9782845622708Lors de la dernière édition du Printemps des poètes, j’ai eu la chance de rencontrer au café L’Antre autre, autour du thème de « L’insurrection poétique », trois femmes assez singulière : Samira Negrouche, Joséphine Bacon (je vous en reparlerai !) et Laure Morali, objet de ce billet.

Entre la présence rayonnante de Joséphine Bacon et la sensibilité à fleur de peau de Laure Morali, sur fond de culture canadienne, le duo de ces deux grandes amies, était particulièrement émouvant. Laure Morali est née à Lyon et a passé son enfance en Bretagne, mais vit à Montréal depuis près de 15 ans. Fille de « pieds noirs », sa poésie est imprégnée de l’exil, des souvenirs des différentes patries traversées, d’instantanés imagés faisant souvent appel aux douceurs de la nature : eau, mer, feuilles mortes, soleil… Les quatre saisons sont mises à l’honneur et rythme le recueil, chacun des huit chapitres étant coloré par l’une d’elle et proposant une ambiance propre : chaleur des intérieurs, paysages enneigés, détails de paysage ou bribes de souvenirs. Le poème se résume parfois à trois ou quatre vers, parfois une ou deux pages. L’ensemble est suivi d’un entretien entre l’auteur et l’éditeur permettant de mettre en écho la vie et les écrits de Laure Morali, de mettre en lumière les spécificités de son écriture de Laure Morali.

Crépitements
au creux de la main
je ferme mes doigts
sur un fruit invisible
sa pelure d’air
son jus de désir
vidé jusqu’aux pépins

lune à demi-pleine

La lecture de ces poèmes est surtout pour moi une découverte de la poésie contemporaine. Très ancrés dans les XXème et XXIème siècles par les objets décrits et les souvenirs ébauchés, ces vers me renvoient une certaine sérénité qui passe d’avantage par une compréhension intellectuelle, plus que musicale. Si les émotions de l’auteur transpirent à chaque page, elles passent d’avantage par ce qui est dit, par le sentiment du souvenir, par la sensation, l’odeur ou la saveur de ce qui est proposé et dont je connais personnellement et par ailleurs la consistance (le jus de l’orange sanguine, le café brûlant, les embruns,…) que par une force poétique qui serait d’avantage liée au rythme, ou à la surprise provoqué par l’assemblage ingénieux de mots inattendus. A vrai dire, je ne découvre rien que ce que je ne connais déjà, et qui est extérieur à moi. Je n’ouvre pas d’espaces intérieurs comme cela a pu être le cas à la lecture de Joséphine Bacon pour ne citer qu’elle. Cela dit, est-il bien nécessaire de comparer l’incomparable ? Les deux femmes se complètent mais ne transmettent pas le même message. Ces deux rencontres humaines ont été magnifiques.


Orange Sanguine – Laure Morali
La passe du vent, 2015, 115 p.
Première publication : Mémoire d’encrier, Montréal, 2014


Challenges concernés

Les neiges bleues – Piotr Bednarski

Exemple parfait du petit bonheur découvert grâce à la blogosphère littéraire, un premier billet avait été publié sur Tête de lecture en décembre dernier (Merci !), et un second un peu plus tard je crois – mais je ne sais plus où, mea culpa. Comme souvent, l’ouvrage était disponible à la bibliothèque de la Part-Dieu ( ❤ Lyon ❤ ) et je m’empressais de l’emprunter – avec sept autres bouquins dont Un goût de sel du même auteur.

Par chance, j’ai pu lire Les neiges bleues avant que la durée de prêt n’expire – Un goût de sel devra attendre encore un peu. Souvenirs d’enfance de l’auteur alors qu’il était exilé avec sa mère en Sibérie, son père déporté au goulag, Les neiges bleues retrace le quotidien de ces résistants polonais au régime soviétique pendant la seconde guerre mondiale, dans l’attente parfois du retour du père, avec la volonté aussi d’avancer. Piotr Bednarski nous propose une écriture saisissante de poésie, de Beauté (surnom de la mère) et de douceur, pour un sujet qui aurait pu être glacial.

Mon drame, dans l’immédiat, est que j’ai dû rendre ce livre à la bibliothèque et ne suis plus en mesure de vous en proposer un long extrait. Par chance, j’avais noté cette petite phrase qui vous accrochera peut-être, je l’espère :

« Or n’est-ce pas justement quand la mort est sur le seuil, quand elle fait déjà son nid en nous, à l’intérieur, que le désir de vivre s’exalte et que l’on devient capable d’abattre des montagnes, et de ressusciter d’entre les morts ? »

Il me semble qu’elle reflète assez bien l’esprit du livre : au milieu du froid, de l’absence, de la misère, de la douleur voire de l’aigreur ou du danger, il émane des Neiges bleues un espoir, une douce luminosité – comme un soleil d’hiver – qui nous tire vers l’avant, ou vers la vie.

Challenges concernés
(cliquez sur les images pour les détails)

  

101, rue Condorcet, Clamart – Simon-Pierre Hamelin

Lorsque Mina a chroniqué sa lecture de ce roman, il y a déjà plusieurs semaines, je me suis empressée d’aller l’emprunter à la bibliothèque du quartier dans la foulée. Une fiction inspirée de la vie de la poétesse russe Marina Tsvetaeva, celle-la même que j’ai découverte l’année dernière et que vous retrouverez dans la liste de mes coups de cœur 2014, cela ne pouvait que me plaire.

En moins de 100 pages, l’auteur nous relate un court épisode de la vie misérable que mène la famille Efron (époux de Marina Tsvetaeva) exilée en France suite à la révolution bolchévique, dans ce petit logement de la rue Condorcet à Clamart. Successivement, chaque chapitre nous présente le point de vue de la poétesse, de son fils, de sa fille, de son mari… et de l’huissier qui vient leur rendre une assez désagréable visite.

L’écriture est très fluide, lisse et assez belle, largement agrémentée, en particulier lorsque Marina Tsvetaeva est la narratrice du chapitre, d’expressions propres à cette dame que l’on retrouvera par ailleurs avec délice dans ses poèmes et correspondances. Toutefois, j’ai été déçue de ne pas trouver de variantes dans le style littéraire entre chacun des chapitres, en fonction des protagonistes dont les personnalités sont pourtant profondément différentes. Ce roman aurait pu être l’occasion d’un merveilleux jeu de langue et d’une très belle dévouverte littéraire. Malgré ce point noir, je me suis surprise à le conseiller à des personnes qui ne connaissent pas encore Marina Tsvetaeva, cette lecture peut être une manière de découvrir facilement et en douceur la poésie russe. Pour les autres, en revanche, ceux qui auraient déjà lu Vivre dans le feu, l’autobiographie de M. T., vous n’y trouverez qu’une pâle redite de cette vie cousue d’évenements malheureux et, privés vous serez de l’écriture flamboyante, accrocheuse, difficile et toute à la fois fascinante de Marina Tsvetaeva.

Il n’est pas si facile de flirter avec cette si grande dame…

Par ailleurs (exils) – Linda Lê

Comme souvent, j’ai découvert ce livre, édité chez Christian Bourgois, sur le présentoir des nouveautés littéraires de la bibliothèque de la Part-Dieu. La sobriété de la couverture blanche, et la typographie allongée des lettres rouges du titre et de l’auteur ont attiré mon attention. Je n’avais pas prévu d’emprunter quoi que ce soit ce jour-là : ma table de salon croule déjà sous les livres n’ayant pas trouvés leur place dans mes étagères. La quatrième de couverture aura eu raison de mes bonnes résolutions – que je n’ai jamais su tenir.

Linda Lê, romancière et critique littéraire française, nous propose ici un essai sur l’exil dans la littérature mondiale. Par ailleurs (exils) est composé de textes courts, d’une demi-page à quelques pages, chacun consacré à un auteur différent et au lien qu’il entretient avec l’ailleurs, avec autrui au sens large du terme. Ce lien prend des formes multiples : du personnage de roman émigrant de Joseph Conrad à l’exil politique de Marina Tsvetaeva, de l’auteur refusant d’écrire dans sa langue natale à l’exil intérieur d’un Franz Kafka, les exemples sont nombreux – plus d’une cinquantaine je pense, j’ai arrêté de noté après Michael Edwards qui faisait remarquer que jadis  étranger se  disait aubain, ce qui de fil en aiguille à donner aubaine. Je vous laisse lire le livre pour découvrir son cheminement.

Ma lecture n’a pas été régulière, tout d’abord emportée par cette foultitude d’informations, j’ai commencé à me lasser au milieu de l’essai pour retrouver un regain d’intérêt vers la fin lorsque Linda Lê s’attarde sur les quelques poètes russes dont j’ai connaissance. Cet essai, au style sec et précis, est extrêmement dense et justifie d’une culture littéraire titanesque que j’ai peine à suivre, et c’est là mon plus grand regret. Faute de pouvoir noter tous les auteurs cités – j’ai pensé me créer un challenge personnel à partir de cet ouvrage avant de capituler – j’ai retenu quelques noms que j’aimerais lire : notamment Alejandra Pizarnik, Benjamin Fondane, Thomas Bernhart et Anna Akhmatova qui me nargue depuis la lecture de sa biographie par Nadejda Mandelstam (un petit bijou publié aux éditions Le Bruit du temps).

Un bel essai, à relire certainement dans quelques années, avec d’avantages de plomb dans la tête.

Note ajoutée a posteriori : Je découvre par hasard cette émission de France Culture datant du 8 février 2015 sur l’ouvrage de Linda Lê incluant une lecture d’extraits de l’essai par Carole Bouquet, suivi d’un entretien remarquable avec l’auteur mené par Jean Birnbaum, responsable du Monde des livres.