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Pourquoi j’ai quitté l’Ordre… et comment il m’a quitté – François Bœspflug

cvt_pourquoi-jai-quitte-lordre-et-comment-il-ma-qui_9899C’est par la publication de ce livre que j’ai appris que François Bœspflug, dominicain et professeur d’histoire de l’art reconnu – et presque vénéré en ce qui me concerne – a quitté l’Ordre dominicain. Renier son engagement ? Et quid alors de sa foi ? Ses écrits, son parcours, son engagement étaient jusqu’alors parmi les rares qui me faisaient dire qu’il y avait peut-être une réponse au non-sens, au néant, dans la foi catholique, ou dans la foi-tout-court, dans la recherche du sacré. Sa vision de la spiritualité m’invitait à croire en autre chose qu’à l’absurde. Il est à noter que l’acceptation de l’absurde me soigne ces temps-ci de bien des névroses, plus qu’une quelconque quête d’un dieu toujours absent. Mais alors, si François Bœspflug lui même renonce, n’existe-t-il réellement plus rien à croire ? Si d’autres senseis me déçoivent tout autant par leur humanité et leurs erreurs, quelle quête me reste-t-il à suivre ? Puisque tout meurt.

En lisant François Bœspflug, je cherche des réponses. Et j’en trouve une certainement dans l’extrême sincérité et liberté d’expression dont il fait preuve. Il paraît que la Vérité est un élément fondamental permettant l’accès à la transcendance. Ces mots ne sont pas de moi. Mais certainement la Vérité me libère du poids des convenances et des mensonges – qui pèsent et creusent constamment ce néant.

L’ouvrage est divisé en trois parties répondant à trois questions : Pourquoi quitter la vie religieuse ? Pourquoi quitter le ministère sacerdotal ? Être ou ne pas être théologien ? Ces trois questions sont l’occasion de retracer la vie de l’auteur et les différentes étapes qui l’ont amené à revêtir – ou pas – l’habit dominicain puis celui de professeur, dans les premières années de son investiture. Et puis surtout, les décennies qui se sont lentement écoulées pour aboutir au « défroquage » et au mariage. Le mariage, s’il est décisif pour ce qu’il officialise la sortie de l’Ordre qu’aucun rituel ne venait souligner, n’est pas la cause première de cette décision importante. L’éloignement de l’Ordre a été progressif et à double-sens, voilà ce que ce livre s’efforce d’évoquer.

Surtout François Bœspflug exprime ici avec précision et nuance, comme toujours, ce vers quoi il aimerait voir l’Eglise évoluer, il appelle de ses vœux une transformation de l’institution ecclésiale, une ouverture aux problématiques contemporaines, notamment à propos du mariage des prêtres et de l’homosexualité dans les milieux monacaux, et d’avantage de sincérité et de liberté de parole surtout.

Je crois en la liberté d’une parole sincère et nuancée, et je suis convaincue qu’aussi douloureuse soit-elle, son pouvoir est immense et peut contribuer à améliorer l’état du monde par une certaine forme de lucidité et par une amélioration des relations humaines.


Pourquoi j’ai quitté l’Ordre… et comment il m’a quitté – François Bœspflug
J. C. Béhar, 2016, 124 p.


Retour à Reims – Didier Eribon

retour_a_reims_livreLa dédicace d’En finir avec Eddy Bellegueule me faisait découvrir le nom de Didier Eribon. Depuis, Retour à Reims m’a été conseillé à plusieurs reprises par des personnes très différentes et généralement au goût assez sûr. Moi qui espérait prendre mes distances avec l’amertume d’Edouard Louis, j’en suis tout de même venue à lire son mentor. Sociologue renommé, homosexuel, et issu des classes ouvrières, le parcours de Didier Eribon fait effectivement écho à celui du jeune romancier.

Retour à Reims est une autobiographie sous forme d’essai mêlée d’éléments sociologiques. Il permet à son auteur de revenir sur son enfance et son parcours universitaire. Si en tant que sociologue, Didier Eribon s’est largement penché sur la question homosexuelle, celle des classes populaires est bien d’avantage au cœur de ce livre. Il y retrace les différentes étapes de sa vie, son propre transfert de classe et la manière dont il a été perçu par son entourage, la manière aussi dont il s’est distancié de sa famille. Son identité homosexuelle est abordée comme étant une des clés de son évolution intellectuelle et culturelle. A plusieurs reprises, il fait état du « mur de verre » auquel il a dû se heurter – et auquel toute personne faisant l’expérience d’un changement de groupe social se heurte – parce qu’il n’avait pas les codes de ce nouveau milieu. Il met en avant la manière dont les goûts sont modelés par l’environnement social : comment un fils d’ouvrier jugera presque systématiquement ridicule la représentation d’un opéra, summum du raffinement dans d’autres milieux. Avec recul et justesse, il revient sur son propre comportement, proche du snobisme, au début de sa vie étudiante lorsque, par exemple, il ne pouvait pas comprendre que ses camarades issus de classes aisées s’intéressent au football, sport largement répandu et apprécié dans les milieux ouvriers.

La force de Retour à Reims s’exprime dans l’absence de jugement, Didier Eribon – en bon scientifique – se contente d’observer à la fois ses propres réactions et celles de son entourage. Il constate l’existence de frontières psychologiques entre les différentes milieux sociaux et culturels, et par ce simple constat il fait à mon sens œuvre de résistance en invitant le lecteur à la réflexion. Loin de toute naïveté, Didier Eribon n’enjolive pas à posteriori le milieu dont il est issu, il en reconnaît les incohérences, notamment politiques – du vote communiste à la montée de l’extrême-droite – et endosse la casquette du sociologue pour développer ces questions. Il travaille ainsi à décrire les mécanismes de domination de classes et leur influence sur l’individu et sur le groupe auquel il appartient.

Retour à Reims est indéniablement un livre utile à tous – quelque soit la classe dont il est issu – , il m’invite surtout à creuser cette question du passage d’un environnement social à un autre, la manière dont les codes sont brisés ou intégrés, à comprendre plus largement la nature de ce fameux « mur de verre » entre soi et les autres. Notamment, je m’interroge sur cette transformation qu’ont connu les femmes du XXème siècle, de mère au foyer à travailleuse indépendante. Si l’identité sexuelle a pu impacter l’évolution culturelle et sociale de Didier Eribon, quid de l’identité sexuée dans d’autres milieux sociaux ?


Retour à Reim – Didier Eribon
Flammarion, 2010, 248 p.
Première publication : Fayard, 2009


Challenges concernés

Challenge multi-défis 2016 : un livre dont le titre comporte un nom de lieu

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En finir avec Eddy Bellegueule – Edouard Louis

Mon libraire m’avait conseillé En finir avec Eddy Bellegueule au moment de sa sortie, je l’avais noté dans un coin de ma tête avec l’intention éventuelle d’y revenir plus tard. Les vacances familiales auront été l’occasion idéale. Surprise de le retrouver au supermarché du coin, je le recommandais à ma sœur qui s’est empressée de l’acheter, et de le dévorer (jusqu’au bout… fait suffisamment rare pour être noté), le refilant dans la foulée à ma mère qui n’en a fait qu’une bouchée. Devant un tel enthousiasme, j’ajoutais mon marque-page aux deux précédents, m’en saisissant dès que l’ouvrage était abandonné sur un fauteuil ou sur le coin d’une table.

Dans ce roman autobiographique, Edouard Louis nous rapporte son enfance picarde et ses premiers émois homosexuels dans un contexte intellectuel et économique foncièrement misérable. Dans un style extrêmement fluide sans être simpliste, avec un art maitrisé de la description des violences physiques et morales subies, l’auteur emporte le lecteur dans les méandres de sa jeunesse sans lui offrir, jamais, la moindre bouffée d’oxygène. Etouffé dans un milieu populaire où l’affection ne semble s’exprimer que par les coups ou la bêtise, En finir avec Eddy Bellegueule s’apparente à un roman catharsis, une revanche prise sur un destin qui semblait condamné par avance.
Je l’ai lu quasiment d’une traite, hésitant entre le dégoût et le malaise devant ce portrait familial sans concession, ne pouvant qu’acquiescer, constater la véracité des faits relatés, prise à témoin d’un récit que je ne peux pas imaginer fictif tant certains détails sont criants de déjà-vu. Il ne fait décidémennt pas bon être « différent » dans certaines de nos campagnes…

L’incipit me mettait pourtant au parfum : « De mon enfance je n’ai aucun souvenir heureux. »
Tout au long de ces 204 pages, je n’ai pu qu’espérer, désirer ardemment l’ébauche d’un signe de tendresse de la part du narrateur envers sa famille, ou de l’un des membres de l’entourage envers Eddy. Attente vaine. J’ai tourné la dernière page du roman il y a plus de dix jours, et je garde encore cette terrible amertume au fond de la gorge. N’y-a-t-il définitivement rien à sauver de l’enfance d’Eddy Bellegueule ?


En finir avec Eddy Bellegueule – Edouard Louis
Editions du Seuil, 2014, 204 p.


Challenges concernés
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Eros en son absence – Sandrine Willems

J’ai d’abord découvert l’actrice, Sandrine Willems, dans son interprétation pour Audiolib de Mal de pierres de Milena Agus, j’avais adoré cette re-lecture et je vous en parlais ici. A l’occasion de cet article, Mina s’est empressée de me faire remarquer pour mon plus grand bonheur que Sandrine Willems est aussi écrivain. Sur ses conseils, j’ai emprunté Eros en son absence à la bibliothèque du quartier.

Une aventure érotique sur fond de musique de Bach, a priori de beaux ingrédients pour me séduire. De fait, les premières pages d’Eros en son absence sont délicieuses, l’auteur joue avec les métaphores sur l’instrument du violoniste, tout en finesse et fluidité. L’aventure perd toutefois de son charme, à mon sens, lorsque notre protagoniste, une jeune trentenaire en mal de vivre…

Sélectionnez le texte ci-dessous si vous n’avez pas peur que je vous dévoile l’intrigue

…s’éprend d’une critique musicale de l’âge de sa mère. Homosexualité frisant l’inceste au programme… L’écriture de Sandrine Willems a beau rester attrayante, le sujet l’est de moins en moins, à moins que l’amour ne reprenne le dessus.

Une lecture en demi-teinte pour moi, mais une auteur à découvrir encore, sur d’autres thèmes, très probablement. Une littérature érotique aussi, qui malgré ces bémols et l’ambiguïté du sujet, n’est ni obscène ni vulgaire, mais nécessite un peu de recul.

Un grand merci à Mina pour ce conseil hors de mes sentiers battus.

Le bleu est une couleur chaude – Julie Maroh

J’avoue mon crime. J’ai vu le film La vie d’Adèle, sur les conseils d’un ami, avant de lire le roman graphique. Les deux parlent de la même histoire mais sont assez différents : l’adaptation filmographique est très libre. Rapidement, ils racontent la vie d’une adolescente, Adèle dans le film, Clémentine dans le roman, qui tombe amoureuse d’une étudiante en art, Emma. Puis, on suit l’évolution du couple pendant une dizaine d’années.

Le film, tout d’abord, dure 3h. Petit miracle, j’ai tenu jusqu’au bout ! Habituellement, je dors au bout de 50 min, habituée que je suis – j’ai honte – aux séries américaines. Passées les 20 premières minutes – où j’avais l’impression de regarder un remake d’Hartley cœurs à vif – , j’ai plutôt bien adhéré, même très bien, puisque je n’ai plus vu le temps passer. Ce qui est intéressant dans le film – au-delà des scènes érotiques qui auraient largement pu être raccourcies – c’est la manière dont Adèle construit son identité de jeune femme. Elle est sans cesse tiraillée entre ses amis et sa petite amie dont l’âge et les centres d’intérêts divergent. Elle fait le grand écart ensuite entre le monde d’Emma, un monde d’artistes peintres un peu caricatural, et ses préoccupations propres, peut-être plus simples : lire et devenir institutrice. Sans cesse, elle cherche un équilibre entre une part d’elle-même, son amour pour Emma avec sa marginalité revendiquée, et sa volonté d’avoir une vie « normale » – si tant est que cela ait un sens.

Dans le roman, la question de l’identité est abordée mais de manière beaucoup plus succincte. Les scènes érotiques prennent une place beaucoup moins importantes. Les amis de Clémentine (Adèle dans le film) semblent beaucoup moins sortis d’une série des années 90 et l’univers d’Emma n’est presque pas dépeint. En revanche, si on gagne en naturel sur ces points, on retrouve d’autres stéréotypes : est-ce que tous les parents découvrant l’homosexualité de leur enfant le mettent réellement à la porte ? Les scènes amoureuses relèvent des plus beaux clichés de n’importe quel roman d’amour, ce qui a pour effet bénéfique de mettre en avant l’histoire d’amour plutôt que le caractère homosexuel de la relation. Mais on peut s’interroger : s’il s’agissait d’un couple hétérosexuel, l’histoire aurait-elle encore un intérêt ? Quoiqu’il en soit, j’ai beaucoup aimé le dessin et les jeux de couleur, et je me suis malgré tout, et un peu contre ma volonté, largement laissée embarquer dans cette belle histoire d’amour – c’est mon côté romantique !

Le film et le roman se complètent assez bien et ne nous disent pas la même chose. Les deux soulèvent leurs propres questions, et malgré les bémols cités plus haut, je me suis complètement laisser envahir par l’univers de Julie Maroh.

J’ai déjà repéré Skandalon, son deuxième roman graphique. Affaire à lire… et à découvrir sur le site de l’auteur !

Pour d’autres avis sur la question, je vous conseille Contre champs pour les retours médiatiques et pour la comparaison entre le film et le roman. Côté blogs de lecture, les chroniques sont nombreuses, en voici plusieurs pêchées au hasard sur Babelio : Les livres d’Eve, Bouquins de poches en poches, Marque-pages, buvard, post-it & cie, Gwordia et D’une berge à l’autre.