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La Sainte Ignorance – Olivier Roy

c_la-sainte-ignorance_6740Le 11 septembre 2001, j’étais lycéenne et assistais à un cours de français. En sortant de la salle pour me rendre à l’internat, j’ai croisé l’une de mes compagnes de dortoir qui m’a dit : « t’as vu les infos ? ». Ce soir là, la salle de télévision de l’internat était pleine.

Le mercredi 7 janvier 2015, au matin, dans le tram qui m’amenait au travail, j’ouvrais les premières pages de La Sainte Ignorance : le temps de la religion sans culture d’Olivier Roy, sans me douter un seul instant de l’étrange écho que j’allais rencontrer, dans les heures qui suivaient, entre cette lecture et l’actualité.

Publié en 2008, cette analyse d’Olivier Roy, chercheur et politologue au CNRS, spécialiste de l’islam, a pour vocation d’étudier les relations entre religion et culture. Si les deux ont été intrinsèquement liées au cours du temps, elles ont aujourd’hui une forte tendance à se dissocier complètement au gré de la mondialisation et de la laïcisation. Loin d’entraîner une disparition du religieux, ce processus engendre une autonomisation des religions de plus en plus déconnectées de la culture ambiante.
Dans son essai, Olivier Roy expose et développe sa théorie, en réfutant explicitement les propos d’un certain Samuel Huntington, concernant le choc des civilisations :

« Les conversions sont une clé pour comprendre ce qui se passe, mais leur inéluctable banalisation sera aussi le signe que les religions désormais vivent leur vie au-delà des cultures, et que le fameux clash/dialogue des civilisations, qui supposent un lien permanent et réciproque entre culture et religieux, est un fantasme improductif. »

Illustrant son discours d’une multitude d’exemples choisis dans toutes les religions, et finalement très peu dans l’islam – mais le lecteur pourra faire lui-même le parallèle s’il le souhaite, ou pas – , il met en exergue une infinité de situations toutes très différentes les unes des autres : opposition, syncrétisme, ancrage territorial ou au contraire export d’un concept religieux dans une autre société, appropriation ou non de ce concept, sa transformation, son évolution jusqu’à la perte même de l’idée initiale – il cite l’exemple des églises protestantes dans les communautés noires américaines qui n’accueillent pas, dans un premier temps, les blancs, alors que l’un des objectifs du christianisme est paradoxalement l’universalisme. Toute l’ambiguïté de la culture juive et de la religion juive est également observée au microscope, et sans jugement subjectif évidemment. Pour mener à bien son étude, il s’appuie sur cinq types de relations possibles et appliquées différemment selon les contextes :

  • la déculturation : consistant à éradiquer le paganisme
  • l’acculturation : consistant à adapter une religion à la culture dominante
  • l’inculturation : consistant à installer une religion dans une culture donnée
  • l’exculturation : le processus selon lequel on acquiert sa propre culture

« Il s’agit plutôt, à partir d’un certain nombre de cas, de voir comment les relations entre religion et culture se recomposent aujourd’hui et ce que cela veut dire pour notre compréhension du phénomène religieux. »

Olivier Roy pointe finalement le danger de la montée des fondamentalismes de tout bord provoquée notamment par cette méconnaissance du fait religieux de plus en plus flagrante dans nos sociétés contemporaines, et par ce repli du religieux dans une bulle sacrée déconnectée de toute nuance nécessaire et propre à la condition humaine :

« Interdire l’usage ironique, voire blasphématoire, d’un paradigme religieux, revient à l’exclure du champs de la culture pour le situer dans le seul champs du sacré. Il est alors le bien de la seule communauté des croyants, qui demande à être reconnue comme telle. Ce n’est plus la culture qui fonde l’identité, c’est la seule foi. »

Cette dernière phrase résonne étrangement et tristement aujourd’hui. A juste titre, Olivier Roy a pu s’exprimer dans de nombreux médias ces dernières semaines. J’ai pu le relire notamment dans Le 1 hebdo du 21 janvier 2015 où il synthétise rapidement ces idées quant à cette notion de Sainte Ignorance.

Pour conclure, je tiens à préciser que cet essai est accessible à tout curieux initié ou non à ces question, les concepts utilisés sont présentés en introduction ou début de chapitre, ce qui est un avantage non négligeable. La Sainte Ignorance : le temps des religions sans culture est, à mon sens, un essai très fin et nuancé, bien pensé, extrêmement riche par le nombre d’exemples proposés, et nécessaire à toute bonne réflexion sur la place accordée à la religion dans la culture d’aujourd’hui.

Le bleu est une couleur chaude – Julie Maroh

J’avoue mon crime. J’ai vu le film La vie d’Adèle, sur les conseils d’un ami, avant de lire le roman graphique. Les deux parlent de la même histoire mais sont assez différents : l’adaptation filmographique est très libre. Rapidement, ils racontent la vie d’une adolescente, Adèle dans le film, Clémentine dans le roman, qui tombe amoureuse d’une étudiante en art, Emma. Puis, on suit l’évolution du couple pendant une dizaine d’années.

Le film, tout d’abord, dure 3h. Petit miracle, j’ai tenu jusqu’au bout ! Habituellement, je dors au bout de 50 min, habituée que je suis – j’ai honte – aux séries américaines. Passées les 20 premières minutes – où j’avais l’impression de regarder un remake d’Hartley cœurs à vif – , j’ai plutôt bien adhéré, même très bien, puisque je n’ai plus vu le temps passer. Ce qui est intéressant dans le film – au-delà des scènes érotiques qui auraient largement pu être raccourcies – c’est la manière dont Adèle construit son identité de jeune femme. Elle est sans cesse tiraillée entre ses amis et sa petite amie dont l’âge et les centres d’intérêts divergent. Elle fait le grand écart ensuite entre le monde d’Emma, un monde d’artistes peintres un peu caricatural, et ses préoccupations propres, peut-être plus simples : lire et devenir institutrice. Sans cesse, elle cherche un équilibre entre une part d’elle-même, son amour pour Emma avec sa marginalité revendiquée, et sa volonté d’avoir une vie « normale » – si tant est que cela ait un sens.

Dans le roman, la question de l’identité est abordée mais de manière beaucoup plus succincte. Les scènes érotiques prennent une place beaucoup moins importantes. Les amis de Clémentine (Adèle dans le film) semblent beaucoup moins sortis d’une série des années 90 et l’univers d’Emma n’est presque pas dépeint. En revanche, si on gagne en naturel sur ces points, on retrouve d’autres stéréotypes : est-ce que tous les parents découvrant l’homosexualité de leur enfant le mettent réellement à la porte ? Les scènes amoureuses relèvent des plus beaux clichés de n’importe quel roman d’amour, ce qui a pour effet bénéfique de mettre en avant l’histoire d’amour plutôt que le caractère homosexuel de la relation. Mais on peut s’interroger : s’il s’agissait d’un couple hétérosexuel, l’histoire aurait-elle encore un intérêt ? Quoiqu’il en soit, j’ai beaucoup aimé le dessin et les jeux de couleur, et je me suis malgré tout, et un peu contre ma volonté, largement laissée embarquer dans cette belle histoire d’amour – c’est mon côté romantique !

Le film et le roman se complètent assez bien et ne nous disent pas la même chose. Les deux soulèvent leurs propres questions, et malgré les bémols cités plus haut, je me suis complètement laisser envahir par l’univers de Julie Maroh.

J’ai déjà repéré Skandalon, son deuxième roman graphique. Affaire à lire… et à découvrir sur le site de l’auteur !

Pour d’autres avis sur la question, je vous conseille Contre champs pour les retours médiatiques et pour la comparaison entre le film et le roman. Côté blogs de lecture, les chroniques sont nombreuses, en voici plusieurs pêchées au hasard sur Babelio : Les livres d’Eve, Bouquins de poches en poches, Marque-pages, buvard, post-it & cie, Gwordia et D’une berge à l’autre.