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Soie – Alessandro Baricco & Rébecca Dautremer

ob_3fba28_soieCher Destinataire,

J’ai quelques très beaux livres dans mes étagères, les deux premiers opus des éditions Tishina en font partie. Je te parlais du premier Le soleil des Scorta ici. A l’occasion d’une rencontre avec le dessinateur Benjamin Bachelier et l’éditeur de Tishina à la librairie Vivement Dimanche, j’en avais profité pour acheter Soie revisité par Rébecca Dautremer. Je l’ai lu il y a quelques mois, il est magnifique évidemment. Les éditeurs de Tishina prennent toujours soin de sélectionner des textes qui les ont marqué, ils recherchent ensuite un dessinateur qu’ils apprécient et lui donnent carte blanche pour adapter le texte à leurs envies. S’en suit un très gros travail d’éditorialisation, de choix du papier, des couleurs, d’impression. Le produit final, aussi bien pour Soie que pour Le soleil des Scorta est toujours remarquable.

Pour en revenir à Soie, ce roman raconte l’histoire d’Hervé Joncour, il vit dans le sud de la France avec sa femme Hélène Joncour, et pour gagner sa vie il cultive les vers à soie dont il ramène les œufs du Japon. Nous sommes dans la deuxième moitié du XIXème siècle. Le voyage qu’il entreprend chaque année dure plusieurs mois, et chaque voyage est l’occasion d’étranges rencontres avec le vendeur d’œufs et la femme qui l’accompagne. Je ne sais pas, cher Destinataire, si tu as déjà lu un roman d’Alessandro Baricco. Son écriture est très particulière : par exemple, j’avais lu Océan mer sur les conseils de mon amie Cyve, c’était la première fois que je lisais un roman aussi halluciné, déconnecté de la réalité, dans mon souvenir il est comme flottant hors du temps humain. Soie est un peu plus réaliste, mais j’y retrouve cette distance : le protagoniste observe sa vie, il vit des aventures remarquables pour son époque et ne semble pas s’en soucier, il est parfois surpris ou intrigué, mais se pose finalement toujours en observateur. Je trouve l’effet produit extrêmement apaisant.

soie-film-5328Je me demande tout de même comment j’aurais vécu ce livre, si je ne l’avais pas lu à travers l’interprétation de Rébecca Dautremer. Son empreinte est si forte ! Rien que la couverture avec l’homme japonais tatoué nous entraîne déjà très loin du sud de la France, je crois que si j’avais lu ce roman « seule », le Japon ne m’aurait pas autant marqué. Et puis je me demande comment j’aurais compris Hélène, est-ce que je me serais identifiée à elle ? Est-ce que j’aurais essayé de la comprendre ? Je l’ai sentie tellement secondaire, soumise et discrète, dans le dessin de Dautremer, contrairement au film réalisé en 2007 par François Girard, que j’ai vu dans la foulée et dans lequel elle tient le premier rôle, belle et affirmée, face à un Hervé Joncour beaucoup plus effacé. L’association du coup de crayon de Rébecca Dautremer et de la plume d’Alessandro Baricco apporte également une touche érotique à l’ensemble qui n’est pas non plus pour me déplaire. Je ne me souviens pas que cette dimension ait été aussi présente dans le film – mais je ne me souviens jamais des films. Décidément, si j’ai adoré ce récit, cette lecture illustrée m’interroge bien d’avantage sur les différentes interprétations possibles.

Je me dis aussi, qu’il faudra que je lise les autres romans d’Alessandro Baricco, quel auteur étonnant ! L’as-tu déjà lu ?

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Soie – Alessandro Baricco et Rébecca Dautremer, traduit de l’italien par Françoise Brun
Tishina, 2012
Première traduction française : Albin Michel, 1997
Première publication : Seta, 1996


Challenges concernés 

Challenge Multi-défis 2016 : Un livre avec une usurpation d’identité

Le bleu est une couleur chaude – Julie Maroh

J’avoue mon crime. J’ai vu le film La vie d’Adèle, sur les conseils d’un ami, avant de lire le roman graphique. Les deux parlent de la même histoire mais sont assez différents : l’adaptation filmographique est très libre. Rapidement, ils racontent la vie d’une adolescente, Adèle dans le film, Clémentine dans le roman, qui tombe amoureuse d’une étudiante en art, Emma. Puis, on suit l’évolution du couple pendant une dizaine d’années.

Le film, tout d’abord, dure 3h. Petit miracle, j’ai tenu jusqu’au bout ! Habituellement, je dors au bout de 50 min, habituée que je suis – j’ai honte – aux séries américaines. Passées les 20 premières minutes – où j’avais l’impression de regarder un remake d’Hartley cœurs à vif – , j’ai plutôt bien adhéré, même très bien, puisque je n’ai plus vu le temps passer. Ce qui est intéressant dans le film – au-delà des scènes érotiques qui auraient largement pu être raccourcies – c’est la manière dont Adèle construit son identité de jeune femme. Elle est sans cesse tiraillée entre ses amis et sa petite amie dont l’âge et les centres d’intérêts divergent. Elle fait le grand écart ensuite entre le monde d’Emma, un monde d’artistes peintres un peu caricatural, et ses préoccupations propres, peut-être plus simples : lire et devenir institutrice. Sans cesse, elle cherche un équilibre entre une part d’elle-même, son amour pour Emma avec sa marginalité revendiquée, et sa volonté d’avoir une vie « normale » – si tant est que cela ait un sens.

Dans le roman, la question de l’identité est abordée mais de manière beaucoup plus succincte. Les scènes érotiques prennent une place beaucoup moins importantes. Les amis de Clémentine (Adèle dans le film) semblent beaucoup moins sortis d’une série des années 90 et l’univers d’Emma n’est presque pas dépeint. En revanche, si on gagne en naturel sur ces points, on retrouve d’autres stéréotypes : est-ce que tous les parents découvrant l’homosexualité de leur enfant le mettent réellement à la porte ? Les scènes amoureuses relèvent des plus beaux clichés de n’importe quel roman d’amour, ce qui a pour effet bénéfique de mettre en avant l’histoire d’amour plutôt que le caractère homosexuel de la relation. Mais on peut s’interroger : s’il s’agissait d’un couple hétérosexuel, l’histoire aurait-elle encore un intérêt ? Quoiqu’il en soit, j’ai beaucoup aimé le dessin et les jeux de couleur, et je me suis malgré tout, et un peu contre ma volonté, largement laissée embarquer dans cette belle histoire d’amour – c’est mon côté romantique !

Le film et le roman se complètent assez bien et ne nous disent pas la même chose. Les deux soulèvent leurs propres questions, et malgré les bémols cités plus haut, je me suis complètement laisser envahir par l’univers de Julie Maroh.

J’ai déjà repéré Skandalon, son deuxième roman graphique. Affaire à lire… et à découvrir sur le site de l’auteur !

Pour d’autres avis sur la question, je vous conseille Contre champs pour les retours médiatiques et pour la comparaison entre le film et le roman. Côté blogs de lecture, les chroniques sont nombreuses, en voici plusieurs pêchées au hasard sur Babelio : Les livres d’Eve, Bouquins de poches en poches, Marque-pages, buvard, post-it & cie, Gwordia et D’une berge à l’autre.