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Retour à Reims – Didier Eribon

retour_a_reims_livreLa dédicace d’En finir avec Eddy Bellegueule me faisait découvrir le nom de Didier Eribon. Depuis, Retour à Reims m’a été conseillé à plusieurs reprises par des personnes très différentes et généralement au goût assez sûr. Moi qui espérait prendre mes distances avec l’amertume d’Edouard Louis, j’en suis tout de même venue à lire son mentor. Sociologue renommé, homosexuel, et issu des classes ouvrières, le parcours de Didier Eribon fait effectivement écho à celui du jeune romancier.

Retour à Reims est une autobiographie sous forme d’essai mêlée d’éléments sociologiques. Il permet à son auteur de revenir sur son enfance et son parcours universitaire. Si en tant que sociologue, Didier Eribon s’est largement penché sur la question homosexuelle, celle des classes populaires est bien d’avantage au cœur de ce livre. Il y retrace les différentes étapes de sa vie, son propre transfert de classe et la manière dont il a été perçu par son entourage, la manière aussi dont il s’est distancié de sa famille. Son identité homosexuelle est abordée comme étant une des clés de son évolution intellectuelle et culturelle. A plusieurs reprises, il fait état du « mur de verre » auquel il a dû se heurter – et auquel toute personne faisant l’expérience d’un changement de groupe social se heurte – parce qu’il n’avait pas les codes de ce nouveau milieu. Il met en avant la manière dont les goûts sont modelés par l’environnement social : comment un fils d’ouvrier jugera presque systématiquement ridicule la représentation d’un opéra, summum du raffinement dans d’autres milieux. Avec recul et justesse, il revient sur son propre comportement, proche du snobisme, au début de sa vie étudiante lorsque, par exemple, il ne pouvait pas comprendre que ses camarades issus de classes aisées s’intéressent au football, sport largement répandu et apprécié dans les milieux ouvriers.

La force de Retour à Reims s’exprime dans l’absence de jugement, Didier Eribon – en bon scientifique – se contente d’observer à la fois ses propres réactions et celles de son entourage. Il constate l’existence de frontières psychologiques entre les différentes milieux sociaux et culturels, et par ce simple constat il fait à mon sens œuvre de résistance en invitant le lecteur à la réflexion. Loin de toute naïveté, Didier Eribon n’enjolive pas à posteriori le milieu dont il est issu, il en reconnaît les incohérences, notamment politiques – du vote communiste à la montée de l’extrême-droite – et endosse la casquette du sociologue pour développer ces questions. Il travaille ainsi à décrire les mécanismes de domination de classes et leur influence sur l’individu et sur le groupe auquel il appartient.

Retour à Reims est indéniablement un livre utile à tous – quelque soit la classe dont il est issu – , il m’invite surtout à creuser cette question du passage d’un environnement social à un autre, la manière dont les codes sont brisés ou intégrés, à comprendre plus largement la nature de ce fameux « mur de verre » entre soi et les autres. Notamment, je m’interroge sur cette transformation qu’ont connu les femmes du XXème siècle, de mère au foyer à travailleuse indépendante. Si l’identité sexuelle a pu impacter l’évolution culturelle et sociale de Didier Eribon, quid de l’identité sexuée dans d’autres milieux sociaux ?


Retour à Reim – Didier Eribon
Flammarion, 2010, 248 p.
Première publication : Fayard, 2009


Challenges concernés

Challenge multi-défis 2016 : un livre dont le titre comporte un nom de lieu

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Jonathan Livingston, le goéland – Richard Bach

castor0012-1998Il semblerait que ce petit livre conseillé par Cyve soit en réalité un classique de littérature jeunesse. Je n’en avais aucune idée avant de l’emprunter à la bibliothèque de mon quartier.

Ce drôle de conte aux allures mystiques nous relate l’histoire de Jonathan le goéland qui voulait voler pour le plaisir et non seulement pour chasser. Cette étrange lubie lui vaudra bientôt d’être mis au ban de la société…. pour son plus grand bien ! Enfin libre d’expérimenter loopings et piqués à grande vitesse, le jeune goéland passe maître dans son art qu’il ne développe croit-il que pour lui-même. Je ne vous en dis pas plus.

Jonathan Livingston, le goéland est un hymne à la liberté et à l’audace d’être soi, un témoignage de générosité sans borne, un récit initiatique comme je les aime en somme. Simple, accessible à tous, et non moins grand humainement. Une sorte de Vieil homme et la mer dans les airs, libéré du poids du monde, chargé d’amour et de courage, luttant envers et contre tous pour ce en quoi il croit. Ce en quoi il croît.

Un grand merci à Cyve – dont je vous recommande les Chroniques de la vie quotidienne – pour cette belle découverte !


Jonathan Livingston, le goéland – Richard Bach
traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Clostermann
illustration de Gérard Franquin
Castor Poche Flammarion, 1999,121 p.
Première traduction franaçaise : 1973, Flammarion
Première publication : Jonathan Livingston seagull, The Macmillan company, 1970


Challenges concernés

Challenge Multi-défis 2016 : un conte

Premières lignes… #5

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Longtemps, ce ne fut pour moi qu’un nom. Mes parents s’étaient installés dans ce village à une époque où je n’allais plus les voir. De temps à autre, au cours de mes voyages à l’étranger, je leur envoyais une carte postale, ultime effort pour maintenir un lien que je souhaitais le plus ténu possible. En écrivant leur adresse, je me demandais à quoi ressemblait l’endroit où ils habitaient. Je ne poussais jamais plus loin la curiosité. Lorsque je lui parlais au téléphone, une fois ou deux par trimestre, souvent moins, ma mère me demandait : « quand viens-tu nous voir ? » J’éludais, prétextant que j’étais très occupé, et lui promettait de venir bientôt. Mais je n’en avais pas l’intention. J’avais fui ma famille et n’éprouvais aucune envie de la retrouver.

Retour à Reims – Didier Eribon [incipit]

Un rendez-vous initié par Ma lecturothèque, suivi par Georges, La chambre rose et noire, Moka et Nadège.

Dieu, une enquête – D. Albera et K. Berthelot (dir.)

Cette synthèse de plus de 1000 pages a pour titre complet Dieu, une enquête : judaïsme, christianisme, islam : ce qui les distingue, ce qui les rapproche. Dirigée par Dionigi Albera, anthropologue au CNRS, et Katell Berthelot, historienne des idées également au CNRS, elle a été rédigé par pas moins de 18 contributeurs de France, d’Allemagne, de Norvège et d’Italie, tous experts dans leurs disciplines (sociologie, histoire, anthropologie, théologie, philologie, islamologie, études juives, etc.) et membres de grands instituts de recherche européens.

Le but avoué de cet ouvrage est mentionné dès les premières pages :

« Développer une réflexion de type universitaire mais accessible aux non-initiés, critique et non confessionnelle, sur ce que ces trois religions partagent et sur ce qui les différencie, voire les oppose. »

Il se divise en quatre parties foisonnantes d’informations :

  1. « La révélation » : a pour objet les textes fondateurs des trois monothéismes et revient sur l’histoire de leurs rédactions respectives et les questionnements qui en découlent. Le rapport des croyants à ces textes y est également abordé, ainsi que le rapport à la loi très différent selon chaque confession. Cette partie traite aussi de la constitution et du maintien au cours de l’histoire des différentes communautés, prosélytes ou pas, disposant ou non d’appuis politiques, etc.
  2. « Quel Dieu pour quelle humanité ? » : cette seconde partie retrace l’histoire du passage du polythéisme dominant au monothéisme. La question de l’unicité de Dieu est comprise différemment selon que l’on est musulman, chrétien ou juif. Elle aborde également les différents rites rythmant la vie d’un homme : naissance, baptême, mariage, rituel mortuaire, etc. Ces rites sont nombreux et variables, et témoignent d’une vision de l’humanité propre à chaque monothéisme. La femme n’est pas oubliée puisqu’un chapitre entier lui est dédié.
  3. « Quand croire, c’est agir » fait le point sur les pratiques des croyants, notamment alimentaires, le rapport à la prière, aux saints, et en général à la manière avec laquelle l’individu s’approprie sa religion.
  4. « Le rapport au monde », la dernière partie, est l’une des plus intéressantes à mes yeux puisqu’elle aborde l’inter-religieux, le rapport à l’autre, le semblable mais aussi l’étranger. Elle questionne aussi le rapport à l’espace, la terre sainte, et le rapport au temps et à l’éternité.

Étant donné l’amplitude des sujets traités, cette synthèse fait preuve d’une incroyable cohérence. Chaque chapitre reprend les fondamentaux de la thématique envisagée et les développent jusqu’à exposer des exemples extrêmement pointus, sur les pratiques alimentaires notamment. L’ensemble est extrêmement dense. J’ai fait le choix de lire cette synthèse du début jusqu’à la fin, au risque d’être noyée sous la masse d’informations… et c’est un peu ce qui s’est produit.

Toutefois, cette lecture m’a permis d’acquérir une vision d’ensemble des trois monothéismes sans risquer la caricature. Elle met en évidence la complexité et la multitude de nuances possibles entre les religions mais aussi au sein d’un même courant. Surtout j’ai pu constater à quel point rien n’est figé. Les religions évoluent considérablement au cours du temps, et s’influencent réciproquement en permanence et depuis toujours.

Petit plaisir personnel, j’ai eu la surprise aussi de découvrir que certains chapitres lus avec beaucoup d’attention et d’intérêt avait finalement été écrits par des professeurs que j’ai croisé sur les bancs de l’université il y a quelques années.

Cet ouvrage m’aide à prendre conscience de ce qui m’intéresse le plus sur ces questions religieuses. A priori, je prête plus d’attention à la sociologie qu’à l’histoire, aux individus qu’au masse, et à la manière dont l’individu s’approprie sa religion (ou celle du voisin) qu’aux rites et autres dogmes établis par une entité supérieure, qu’elle soit divine ou institutionnelle. Dieu, une enquête constitue une référence récente à destination des universitaires de tout bord, permettant de faire le point sur telle ou telle question religieuse et offrant de nombreuses pistes bibliographiques pour approfondir d’avantage le sujet souhaité.

Après une telle lecture, je vais faire une pause de quelques semaines sur les sciences religieuses, et je m’y remettrai le moment venu, avec une vision , je l’espère, plus large et à la fois plus précise sur ces thématiques.

Je conseille cette lecture à tous les passionnés des religions, habitués aux écrits universitaires, et surtout persévérants dans leurs lectures ; ainsi qu’aux étudiants et chercheurs, pas nécessairement spécialistes des religions, dont les recherches abordent indirectement les questions religieuses.

Pour les curieux qui souhaiteraient une lecture plus abordable, voici ma référence fétiche en la matière : Religions : les mots pour en parler de François Bœspflug, Thierry Legrand et Anne-Laure Zwilling.