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Quinzinzinzili – Régis Messac

arbrevengeur18-2007Je cherchais un livre atypique, de quoi fuir la morosité ambiante. Quelque chose qui me réveille, me permette de passer à l’étape suivante. Une fois de plus, L’Esprit Livre a parlé : « Un post-apo, t’en lis jamais ça te changera », argument ultime pour faire faillir mon têtu froncement de nez. Et me voilà délicieusement assise en terrasse à feuilleter ce bel ouvrage au titre improbable. Pari gagné ! Quinzinzinzili, c’est le mot inventé par une horde d’enfants livrés à eux-mêmes dans un monde dévasté. Quinzinzinzili, c’est le titre donné au récit du seul survivant adulte à cette deuxième guerre mondiale qui n’avait pas encore eue lieu. Je contextualise : le roman dont je vous parle a été publié en 1935 par un certain Régis Messac, universitaire à Glasgow puis Montréal et instituteur français, prédicateur s’il en est du désastre nazi. Quinzinzinzili est hallucinant de modernité par le style employé. En témoigne l’incipit :

Moi, Gérard Dumaurier…
Ayant écrit ces lignes, je doute de leur réalité. Je doute de la réalité de l’être qu’ils désignent : moi-même. Est-ce que j’existe ? Suis-je autre chose qu’un rêve, ou plutôt un cauchemar ? L’explication la plus raisonnable que je puisse trouver à mes pensées, c’est que je suis fou.

Les premières pages du récit de Gérard Dumaurier sont le prétexte d’un état des lieux politique incroyable proche de celui que l’on observera quelques années plus tard en Europe. Désespérément proche aussi de celui que l’on observe à nouveau aujourd’hui dans le monde. Rapidement, la catastrophe apocalyptique se produit, et Gérard Dumaurier se retrouve seul avec une douzaine de mouflets, rescapés au fond d’une grotte. Aucune émotion, aucune empathie à l’égard des enfants ne transparaît des propos du narrateur. Gérard Dumaurier observe et décrit froidement… une micro-société se reconstitue, le premier meurtre, le premier viol, la redécouverte du feu, un nouveau langage, une nouvelle religion. Quinzinzinzili m’a fascinée. Ce roman pose en filigrane toute la question de ce qu’est ou pas notre humanité, il la renouvelle… au lecteur d’y répondre.


Quinzinzinzili – Régis Messac
L’Arbre Vengeur, 2011, 199 p.
Première publication: La fenêtre ouverte, collection « Les Hypermondes », 1935


 

Et tout ce qui reste est pour toi – Xu Xing

60128_couverture_hres_0C’est par un article sur le cinéma que j’en suis venue à découvrir Xu Xing. Réalisateur de films documentaires depuis une large décennie, l’artiste a préalablement fait ses preuves en tant qu’écrivain, à tel point qu’il serait considéré comme le « père spirituel » de la jeunesse chinoise, si j’en crois son éditeur français. L’autre argument – futile à l’extrême – en faveur de Xu Xing est la terrible lettre X du challenge ABC, défi relevé !

Et tout ce qui reste est pour toi se présente comme un récit de voyage improvisé de Pékin à Berlin en passant par le Tibet. L’occasion pour le narrateur fauché de multiplier les rencontres aussi improbables que fâcheuses, voire dangereuses. Malgré le grand sens de l’ironie de l’auteur qui m’a fait sourire plus d’une fois, je suis souvent restée assez distante. La forme du récit de voyage ne me convient pas toujours, et il est très difficile de la renouveler avec succès. Pourtant, les dernières pages redressent à mon sens largement l’ensemble. De récit de voyage non-initiatique, le roman prend la tournure d’une très belle histoire d’amitié et d’un témoignage à la fois sarcastique et réaliste de l’exil.

Ces quelques lignes devraient vous donner une idée du style et de l’ambiance du livre :

Tôt le lendemain, le jeune type qui ne décolérait pas est venu me trouver pour me demander d’un air embarrassé si je voulais bien écrire une lettre à l’intention de sa lointaine fiancée au Sichuan. En un tour de plume, m’inspirant d’un échange entre Kafka et Felice, je lui en ai rédigé une : « Tout va bien pour moi, j’ai seize enfants de huit femmes différentes. Trois sont aveugles, sept sont muets et six complètement sourds. Ils sont tous encore plus laids que moi, épouse vite quelqu’un d’autre ! Si tu y tiens, trouve-toi quelqu’un comme James Bond, ne m’attends pas, ne t’occupe pas de moi, j’ai bien peur de ne jamais revenir vivant. » Après quoi je me suis empressé de prendre congé, je n’allais pas attendre la réponse !

Si vous connaissez l’auteur, ses livres ou ses films, n’hésitez pas à partager votre point de vue par mail ou au bas de ce billet. 😉


Et tout ce qui reste est pour toi – Xu Xing
Traduit du chinois par Sylvie Gentil
Editions de l’Olivier, 2003, 217 p.
Titre original : Shengxia de dou shuyu ni, 2003


Challenges concernés 

Challenge Multi-Défis 2016 : un livre dont le titre ne comporte pas d’article

 

 

 

… Olivetti, Moulinex, Chaffoteaux et Maury – Quim Monzó

J’aurais également pu intitulé cet article « De ces livres que l’on trouve sur un banc », puisque c’est bien sur un banc de la Cité Internationale, un jour de « lâcher de livres » massif que j’ai trouvé ce livre. Ceux d’entre vous qui connaissent l’IFLA comprendront peut-être de quoi je parle (sinon ça n’a pas d’importance).

Pour un livre déniché par hasard, je dois admettre que je suis particulièrement bien tombée. Une fois débarrassée de son autocollant publicitaire, j’ai pu découvrir une belle couverture aux motifs colorés. « Motifs », c’est d’ailleurs le titre de la collection à laquelle appartient cette édition de … Olivetti, Moulinex, Chaffoteaux et Maury , datée de 1994 et publiée par le Serpent à plumes, maison d’édition regrettée pour la qualité de ses publications – dixit mon libraire ! La version originale et catalane date, quant à elle, de 1980.

J’ai donc la chance de tenir entre les mains un exemplaire d’un recueil de nouvelles de Quim Monzó qui n’est plus édité à ce jour. Par conséquent, c’est une occasion unique de découvrir cet auteur catalan !

Évidemment, je ne peux pas vous résumer le recueil… mais je peux essayer de vous donner envie de partir à sa recherche chez les bouquinistes, chez les libraires qui le vendraient encore, ou plus simplement peut-être en bibliothèque. J’ai adoré lire ces seize nouvelles : deux fois par jour, le matin et le soir dans le tram, une ou deux par trajet, un vrai petit bonheur pour entamer ou terminer sa journée.

Ce sont des nouvelles à chutes, l’auteur pose une ambiance, qui semble d’abord relativement banale, une scène de la vie quotidienne, qui devient vite décalée, pour finir sur une chute que l’on n’attend jamais, même au seizième épisode. Par décalée, j’entends… drôle, ironique, érotique, perverse, ou encore paranoïaque. Les protagonistes sont prisonniers d’eux-mêmes, d’une autre personne ou de leur monde, on ne sait jamais vraiment. La quatrième de couv’ fait référence à Kafka, c’est assez juste, mais un Kafka en couleur dans ce cas ! Jamais une nouvelle ne m’a laissé indifférente, elles m’ont toutes intriguée, fait sourire, déstabilisée, amusée. Une forme de complicité s’installe avec l’auteur : « Ah oui, là tu m’as bien eu ! ».

Enfin bref, un vrai petit bijou découvert (presque) par hasard sur un banc 🙂

Quim Monzó : si vous ne le connaissiez pas, retenez ce nom, j’y reviendrai probablement !