Archives du mot-clé Isabelle Rabut

Tu es une rivière – Chi Li

cvt_tu-es-une-riviere_3350Des trois romans de Chi Li que j’ai lu ces derniers mois, celui-ci est le plus ancien, publié pour la première fois en Chine en 1995, il a été traduit et diffusé en France en 2004 grâce aux éditions Actes Sud. Alors que Les sentinelles des blés et Trouée dans les nuages sont focalisés sur des périodes précises et charnières de la vie de leurs protagonistes, Tu es une rivière s’étend sur 25 ans et retrace le destin de tous les membres d’une famille à partir du décès prématuré du père à la veille de la Révolution Culturelle jusqu’à celui de la mère des années plus tard. On suit ainsi le destin de Lala mère célibataire de huit enfants aux ressources matérielles considérablement réduites. Fermement décidée à rester libre de ses choix, Lala refuse de se remarier et affronte au cours des ans la famine, la maladie, la folie de ses enfants, leur enrôlement au Parti ou leur départ pour les campagnes imposé par la Révolution qui gronde en permanence en arrière-plan.

Je m’attendais à lire un portrait de femme forte, fière quoique blessée par la vie, idéal peut-être aussi. C’était sans compter le sens de la nuance de Chi Li. Lala est une bien piètre mère dont les sursauts d’amour pour ses enfants sont trop rares pour être suffisants. Elle m’a semblé odieuse jusque dans ses moments de faiblesse, les difficiles relations qu’elle entretient avec sa fille aînée sont impitoyablement justifiées. En surfant sur Babelio, j’ai constaté que ce livre est tagué avec les mots-clés « douceur » et « compassion ». Si la douceur transparaît toujours dans le style de l’auteur malgré la noirceur des propos rapportés, j’ai bien du mal à discerner la compassion ici. Et pourtant, elle y est effectivement, marque indéfectible de Chi Li. Les rivalités au sein de la famille, les drames intimes sont dépeints avec autant de justesse et d’intensité que la cruauté des faits est décrite avec douceur et simplicité.

◊ Mes autres lectures de Chi Li sont recensées ici et l’incipit de Tu es une rivière est  ◊


Tu es une rivière – Chi Li
traduit du chinois par Angel Pino et Isabelle Rabut

Babel, 2006, 200 p.
Première traduction française : Actes Sud, 2004
Première publication : Ni shi yitiao hé, Jiangsu wenyi chubanshe, 1995


Challenge concerné

Challenge multi-défis 2016 : un récit historique asiatique

Trouée dans les nuages – Chi Li

cvt_trouee-dans-les-nuages_945Je rencontre l’auteur chinoise Chi Li pour la deuxième fois avec son roman Trouée dans les nuages. Entre thé savoureux et duvet douillet, l’angoisse monte en huis clos et ma tasse refroidit bien vite. Je suis en Chine, témoin invisible d’un couple qui se délite entre les murs de son appartement. Les nuits sombres s’enchaînent et sont le lieu de règlements de comptes macabres. Les jours ordinaires défilent à l’extérieur pour ces employés modèles d’un centre de recherche. La fluidité du style et l’extrême sensibilité de Chi Li marquent le récit à l’image des Sentinelles des blés, s’y ajoute un fort sens du suspense que je n’avais pas pressenti chez l’auteur. Je sors du roman étouffée par la pression psychologique imposée par les deux protagonistes, assommée de cette silencieuse violence qui s’épanche insidieusement chaque soir lorsque les portes de la vie publique se referment.

Quatre ans avant Les sentinelles des blés, Chi Li met déjà l’accent sur les vies intimes derrière les façades sociales ; elle joue avec le doute, fissure les évidences ; elle pointe du doigt le réel interne des esprits et son empreinte dramatique sur le monde extérieur – lequel monde interprète ces marques à sa guise comme des conséquences factuelles issues d’un quelconque désordre économique. C’est sans compter la douleur et la bassesse des hommes, ou leur grandeur.

« Au début tout était calme, paisible, serein, comme au premier jour. Leur vie et leur façon d’être évoquaient ces feuilles d’un vert tendre et luisant dont les nervures transparaissaient sous le soleil de midi. Ils n’étaient pas de ces gens flous qui ne laissent où ils passent que des bribes de vie confuses et finissent par tout embrouiller autour d’eux, les hommes, l’existence et l’histoire.
Jin Xiang et Zeng Shanmei étaient des feuilles vertes sous le soleil : tous leurs collègues de l’Institut de recherche métallurgiques partageaient cette certitude, convaincus qu’ils étaient de pouvoir distinguer jusqu’à leur moindre capillaire. »


Trouée dans les nuages – Chi Li
traduit du chinois par Isabelle Rabut et Shao Baoqing
Actes Sud, 1999, 115 p.
Première publication : Yun po chu, Huacheng, 1997


Challenge concerné

Challenge Multi-défis 2016 : un livre du « bout du monde »