Les théologiens de « la mort de Dieu » – Jourdain Bishop

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En lisant Julien Riès, j’ai pris connaissance du mouvement théologique de « la mort de Dieu ». La formule intrigue. Comme tout le monde, je connais la phrase de Nietzsche – sans avoir lu Nietzsche – mais je n’imaginais pas que des théologiens puissent la reprendre à leur compte.

Après quelques déboires, je réussis à me procurer ce volume de Jourdain Bishop cité comme référence par Julien Riès.

Cet essai, publié en 1967, a pour vocation de synthétiser les idées de ces fameux théologiens de « la mort de Dieu », mouvement particulièrement vivace au lendemain de la seconde guerre mondiale et dans les années 60. Plus que « la mort de Dieu » théorisée par Nietzsche, il s’agit surtout de penser l’évolution du christianisme dans le contexte de sécularisation grandissant. Plutôt que d’admettre que Dieu est mort – ce dont on ne pourrait pas être informé puisqu’il s’agit de Dieu, tout de même ! – la question se focalise autour de la mort de Dieu dans le cœur de l’homme et dans nos sociétés dites « occidentales », à savoir l’Europe et l’Amérique du Nord. Par sécularisation, il faut entendre à la fois le symptôme très visible des églises qui se vident (plutôt en Europe), mais aussi et surtout l’habitude plutôt américaine d’aller à la messe, de dire son bénédicité avant le repas, de faire-tout-bien-comme-il-faut mais d’être finalement, au quotidien, plus enclin à juger son prochain qu’à l’aimer. La religion est mise à l’écart de la société, et quand elle en fait encore partie, c’est d’avantage dans la forme que dans le fond. L’idée récurrente de ces théologiens tourne donc autour de la revalorisation du fond, des valeurs transmises et vécues, quitte à bousculer sérieusement la forme, raide et désuète.

L’organisation de l’essai est assez simple. Chaque chapitre présente l’un de ces théologiens, ses théories et le contexte dans lequel il les a élaboré :

  • Dietrich Bonhoeffer (1906-1945), précurseur en la matière, pasteur luthérien, résistant au nazisme, auteur notamment de Akt und Sein (1930) sur l’acte et l’être et la notion d’engagement, fondatrice de sa pensée et de celle de nombreux théologiens américains par la suite. Il a également écrit Résistance et soumission (Lettres et notes de captivité) alors qu’il était prisonnier en Allemagne. Ces lettres ont rencontré une grande popularité dans les milieux concernés et ont ouvert de nouvelles voies sur les rapports entre l’Eglise et le monde.

  • Gabriel Vahanian (1927-2012), théologien protestant et français, est une référence incontournable sur la question avec la publication en 1961 de The death of God, traduit en français en 1962 sous le titre La mort de Dieu, ouvrage dans lequel il critique la vision de Dieu dans la société américaine des années 50.

  • John A. T. Robinson (1919-1983) était un évêque anglican. Jourdain Bishop qualifie ses textes de « mélange indigeste » mais il le retient pour son ouvrage Honest to God (1963) traduit en français sous le titre – qui laisse à désirer – Dieu sans Dieu. J. Bishop renonce à la critique de l’ouvrage, particulièrement ambiguë, et renvoie à d’autres travaux plus complets. Il insiste surtout pour dénoncer ceux qui auraient vu en J. A.T. Robinson un athée. Honest to God a tout de même été vendu à plus d’un million d’exemplaire, en particulier dans les milieux athées. Enfin un débat ouvert…

  • Paul van Buren (1924-1998) était un théologien américain. Il reste dans la continuité de D. Bonhoeffer et tente à son tour de répondre à la question : « comment prêcher l’évangile à l’homme sécularisé ? » à travers son livre The secular meaning of the Gospel.

  • William Hamilton – inconnu sur Wikipedia – est retenu ici pour son ouvrage The new essence of christianity publié en 1961. Sans être partisan du « réductionnisme » – à savoir ne conserver des Evangiles que les éléments acceptables dans un monde sécularisé – il n’est pas non plus partisan d’un conservatisme absolu. Il se place également dans la lignée de Bonhoeffer en refusant la « religiosité » d’un dieu « bouche-trou » qui n’interviendrait que lorsque la science atteint ses limites.

  • J. J. Altizer (1927-….) , beaucoup plus radical, est l’auteur de L’Evangile de l’athéisme chrétien. Et, je cite J. Bishop, « il voit dans la mort de Dieu un événement à célébrer, un événement joyeux, évangélique, que seuls les chrétiens peuvent annoncer ». Parole de théologien ! (personnellement, il me fait un peu peur celui-là…)

  • Harvey Cox (1929-…), théologien et universitaire américain, est connu pour avoir publié en 1965 The Secular City, alors diffusé à plus de 250 000 exemplaires. Moins radical que les œuvres d’Altizer, cet ouvrage, initialement destiné à un public estudiantin, analyse « les structures de l’Eglise, le langage de la foi, les images et les symboles qui expriment l’engagement chrétien et la réponse du chrétien aux problèmes posés par la vie de l’américain » des années 60. J’apprends en écrivant cet article que H. Cox est revenu sur ses propos depuis la publication des Théologiens de la « mort de Dieu » puisqu’il a publié en 1994 un livre intitulé Retour de Dieu et en 2009, The future of faith. Dans ces deux ouvrages, il analyse le renouveau du pentecôtisme et son influence sur les sociétés.

Pensé pour être simple d’accès, Les théologiens de « la mort de Dieu » nécessite toutefois des pré-requis en théologie catholique et protestante que je n’ai pas.

J’en retiens tout de même une grande surprise : les institutions chrétiennes que je percevais comme monolithiques ne le sont pas tant que ça – elles hébergent en leur sein, de bien surprenants penseurs ! – ; et j’admire la très grande liberté avec laquelle ces théologiens se sont emparés de la question de la sécularisation. Ils ne rejettent pas cette nouvelle façon d’envisager nos sociétés, ils l’acceptent et l’approuvent même, s’en servent pour repenser les textes, les actualiser. Certains ont envisagé de les démythologiser pour les rendre plus acceptables, d’autres ont envisagé de favoriser les valeurs chrétiennes et l’engagement par les actes plutôt que par le discours, d’où la mouvance des prêtres ouvriers. Certains ont pensé « réduire » les Évangiles à leurs messages fondamentaux. Sans parler de l’annonce de la « nouvelle » bonne nouvelle : la mort de dieu comme événement festif ! Au final, tous s’interrogent sur la manière de parler de Dieu au XXème siècle, faut-il seulement en parler comme tel ? Peut-on concevoir un « christianisme sans religiosité » ?

Évidemment, cet essai de Jourdain Bishop est largement dépassé. On ne se pose plus la question aujourd’hui de penser Dieu à l’heure de la sécularisation. Bien au contraire, Le désenchantement du monde de Marcel Gauchet publié en 1985, à propos du recul des croyances religieuses, a laissé place en 2004 à Un monde désenchanté ? par le même auteur. D’autres ouvrages sur le réenchantement du monde ont été publié depuis 2001 par Jean Staune, Bernard Stiegler ou encore Michel Maffesoli. Autant de références à étudier pour une vision un peu plus sociologique ou philosophique, et un peu moins théologique de la question spirituelle au XXIème siècle.

Quant aux travaux de Monsieur Bishop, ils restent utiles et nécessaires, sur le plan historique, pour ne pas oublier ces théories qui ont ébranlé en leur temps les églises chrétiennes.

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