Pourquoi nous aimons les femmes – Mircea Cărtărescu

Attention coup de cœur ! Toute la difficulté maintenant est de vous convaincre du génie de Mircea Cărtărescu. Je l’ai découvert grâce à Sandrine et à son rendez-vous roumain autour de l’émission « L’Europe des écrivains » ; je ne la remercierai jamais assez pour cette magnifique découverte. Mircea Cărtărescu est semble-t-il d’avantage connu pour sa trilogie de science fiction Orbitor. Toutefois, pressée par le calendrier télévisuel, j’ai préféré opter pour le court recueil d’une vingtaine de nouvelles Pourquoi nous aimons les femmes et grand bien m’en fit !

Ces vingt portraits de femmes sont stupéfiants de justesse. Décrite à travers les yeux d’un homme de passage, d’un amant, d’un mari, d’un enfant, d’un adolescent ou encore d’un amoureux éconduit, la femme est dégraffée de toutes ses coutures pour ne laisser entrevoir d’elle-même que les émotions qu’elle suscite auprès du narrateur. Dès les premières lignes, l’auteur prend ses lectrices à partie et instaure aussitôt une intimité qu’il maintiendra tout au long du recueil. Je suis séduite et surprise de ces anecdotes toujours inattendues, lucides, non idéalisées, masculines, tendres et triviales à la fois, ou frisant l’érotisme. Saisie, je me suis vue relire dans la foulée l’une des nouvelles, ma préférée, – De l’intimité – éberluée par l’improbable et magnifique transition qui amène l’auteur à débuter son récit dans le quartier rouge d’Amsterdam pour le conclure par l’une des plus belles déclarations d’amour qu’il soit à sa femme. Sa maîtrise littéraire est incontestable, sa capacité à transmettre les émotions les plus fines et les plus justes est sans mesure.

Je vous laisse goûter le style admirablement traduit par Laure Hinckel avec le début de la première nouvelle La jeune noire :

« Je prie les lectrices distinguées de ce livre de ne pas me taxer de pédanterie, quand bien même je commencerais par une citation. Quand j’étais adolescent, j’avais la stupide habitude de les enchaîner, ce qui me valut, au lycée Cantemir, une réputation plutôt triste. Mes collègues s’amenaient à l’école avec des magnétos de dix kilos, passaient de la musique et dansaient en cours de français… Le petit jeune homme timbré qui nous tenait lieu de prof rassemblait les filles autour de lui et les mettait au courant de toutes les grossièretés en français… Deux types feuilletaient des revues pornos au fond de la classe… J’étais le seul, moi qui vivaient en compagnie des livres, à me prendre par la main et à balancer au tableau une citation de Camus, ou de T. S. Eliot, qui arrivait comme un cheveu sur la soupe dans l’atmosphère de débauche qui régnait dans notre classe poussiéreuse et délabrée. Assises sur le bureau du prof, jambes croisées si haut qu’on voyait leurs cuisses sous la chasuble retroussée, les filles ne se fatiguaient même pas à grimacer ou à pouffer de rire de manière méprisantes. Elles étaient habituées. »

Je ne peux qu’encenser ce trop court et délicieux recueil et vous inviter à le lire à votre tour – homme ou femme, il vous ravira autant que moi je l’espère. Pour ma part, je me régale par avance de la lecture d’Orbitor qui viendra bien à propos remplir ma ligne « trilogie » du challenge Variétés. 😉


Pourquoi nous aimons les femmes – Mircea Cărtărescu, traduit du roumain par Laure Hinckel
Denoël et d’ailleurs, 2008
Première publication en roumain : De ce iubim femeile, Humanitas, 2004


Challenge et rendez-vous concernés
(cliquez sur les images pour les détails)

 

15 réflexions au sujet de « Pourquoi nous aimons les femmes – Mircea Cărtărescu »

  1. Sandrine

    Je suis contente que nous ayons (à nouveau) choisi le même livre car je peux directement confronter mon avis au tien. J’ai apprécié ma lecture aussi mais mon angle était visiblement totalement différent du tien : j’ai traqué l’écrivain et la façon dont lui se met en scène, dans ce qu’il dit des femmes. Et très franchement, je ne pense pas qu’il soit naturel et surtout pas que les anecdotes rapportées soient « non idéalisées » : le narrateur est bien trop naïf pour ça (ce que n’est certainement pas l’auteur), ça sent l’éloge de l’éternel féminin et à mes yeux, il en fait parfois un peu trop.
    Ceci dit, ça fait plaisir d’être caressée dans le sens du poil 🙂

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    1. Moglug Auteur de l’article

      Ahaha ! Je suis vénale ! J’aime être caressée dans le sens du poil 😉
      Je n’ai pas trop aimé la dernière nouvelle dont le titre est également celui du recueil. Tout de même, l’image de la femme n’est pas idéale dans toutes les nouvelles, du coup j’ai trouvé que l’ensemble formait un tout cohérent de « l’éternel féminin » – il est bien présent, difficile de le nier.
      C’est un bel angle d’approche cette traque de l’écrivain ! Moi, je suis souvent très « premier degré » dans mes lectures, et dans la vie aussi d’ailleurs. 😉
      J’aime aussi beaucoup confronter nos avis sur un même livre. 🙂
      Je vais aller lire ta chronique de ce pas.:D

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  2. Mina

    J’ai profité de ta lecture et de celle de Sandrine pour comparer vos avis, vous suscitez la curiosité ! Ton approche et ton coup de coeur m’ont convaincue, tandis que la naïveté mise en scène (chez Sandrine) m’intéresse par référence à d’autres personnages du même type. Je serais en tout cas plus tentée que par la trilogie.
    ps : j’ai vu que le prochain invité était la Belgique, as-tu déjà choisi l’auteur que tu liras ?

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    1. Moglug Auteur de l’article

      A quels autres personnages est-ce que tu penses, je pourrais être aussi tentée !
      Pour la Belgique, j’ai choisi de lire La vérité sur Marie de Jean-Philippe Toussaint. J’avais déjà lu les deux premiers volets de la tétralogie l’an dernier, j’ai voulu continuer sur ma lancée. Le livre est pas mal, et l’auteur a du style, mais je suis restée très distante. 😦
      Quel auteur m’aurais-tu conseillé en priorité parmi les quatre proposés : Tom Lanoye, Caroline Lamarche, David van Reybrouck et Jean-Philippe Toussaint ?

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      1. Mina

        Je ne sais pas si tu seras tentée, je pensais en particulier à Meilcour, dans Les égarements du cœur et de l’esprit de Crébillon fils : il est certainement différent de ce narrateur, par l’époque notamment, mais j’avais apprécié le regard de l’adulte sur le jeune homme qu’il avait été. Je pensais globalement à ce type de roman d’initiation, dans lequel un narrateur revient sur son passé, avec une certaine ironie.
        Avais-tu rédigé des articles sur tes lectures précédentes de Toussaint ? J’irai voir. J’ai lu Faire l’amour, mais suis complètement passée à côté : je n’ai rien trouvé de particulier au style de l’auteur et je crois que je n’étais pas loin de m’ennuyer à périr. Du coup, je n’ai pas poursuivi avec lui.
        J’ai le projet de lire Tom Lanoye, grâce à Anne qui a lu et apprécié plusieurs de ses livres. C’est peut-être lui que je t’aurais conseillé, mais un peu à l’aveugle. Je ne connais même pas de nom David van Reybrouck.
        J’ai lu Caroline Lamarche par contre, « Mira » (un texte en trois parties, dont il me reste l’étrangeté surtout) et « Le jour du chien » (son premier roman, que j’ai lu comme un recueil de nouvelles : autour d’un fat divers (un chien sur l’autoroute), elle s’attarde successivement sur plusieurs automobilistes, sur leur vie, sur une émotion). Il me semble qu’elle a consacré un roman au viol ou à un sujet traumatisant comme celui-là. J’apprécie son écriture, mais elle déploie parfois des univers assez particuliers, que je ne conseillerais peut-être pas (notamment Mira).

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        1. Moglug Auteur de l’article

          Non, je n’ai rien écrit sur Toussaint : à l’époque je n’étais plus très présente sur le blog. Pour les autres auteurs belges, j’essaierai de me faire une idée en lisant les différentes chroniques la semaine prochaine. Pour Crébillon fils, je ne sais pas… j’ai du mal à sauter le pas des auteurs du XVIIIe siècle malgré toutes tes chroniques plutôt alléchantes…

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          1. Mina

            Je serai attentive moi aussi aux chroniques de la semaine prochaine, je suis curieuse des retours de lecture sur Caroline Lamarche notamment.
            Pour Crébillon fils, je n’espérais pas te convaincre aujourd’hui, et ce n’est pas forcément avec lui que j’essayerais de te faire entrer dans le XVIIIe siècle (c’est trop risqué, même si je l’aime énormément) ; si mes chroniques sont alléchantes, tout n’est pas perdu… 😉

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            1. Moglug Auteur de l’article

              Rien n’est perdu je te rassure ! Henri d’Ofterdingen de Novalis me fait de l’œil du coin de l’étagère depuis plus d’un an, et puis la curiosité et la friponnerie finiront bien par me pousser à ouvrir l’un ou l’autre romans libertins dont tu nous parles régulièrement. 😉

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  3. mademoisellezo

    Intéressant d’avoir vos 2 points de vue. Le format de nouvelle ne me posant pas de problèmes, je pense que je vais le lire car vos billets éveillent ma curiosité. Pour ma part, pour la Belgique, je vais choisir Tom Lanoye car j’ai déjà lu 2 ouvrages de cet auteur et j’ai beaucoup aimé. Rendez-vous mercredi prochain.

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