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Galpa – Marcel Cohen

galpaLivre rouge. Allongé. Logo des éditions Chandeigne estampillé en relief sur la couverture. Jusqu’à la texture des pages plus douce que celle de n’importe quel autre livre. Galpa aiguise les sens avant de nourrir l’esprit.

Galpa, c’est une ville d’Inde à l’atmosphère lourde, léthargique, que l’on découvre par les yeux d’un narrateur qui s’y voudrait étranger :

Pierres désenchantées. Pierres vouées aux lentes meurtrissures, comme des femmes oubliées. Il en est de Galpa comme de toutes les villes où nous ne ployons plus l’avenir à notre amour. Les pierres s’arrogent une liberté inquiétante. Elles éloignent d’elles les caresses, les rumeurs, avec une rage croissante à mesure que gagne le silence, et les cris même, quand il arrive qu’un enfant s’égare dans les maisons éteintes, elles les travaillent jusqu’à les rendre méconnaissables.

Galpa c’est aussi une ville où l’on trouve un palais délabré au plafond duquel s’étend une fissure digne de Damoclès :

Comment s’accommoder de la fissure ? Comment ruser avec elle ? C’est là tout mon problème. J’ai beau me dire que je suis étranger à Galpa, que l’Inde même ne m’est qu’un malaise passager, je ne parviens pas à me leurrer tout à fait. Qui peut dire qu’il n’est pas concerné par le travail des saisons, des pluies ? Qui n’a lu, au moins une fois, l’éternité à livre ouvert ?
La fissure est un cri dans le crépuscule. Si nous la quittons elle nous rattrape, si nous la fixons elle nous dévore. Je la ressens comme une angoisse au creux de l’estomac. Cette angoisse est récente. Elle me laisse pantois. Ce n’est pas tant la menace qu’elle laisse planer qui me frappe, mais mon incapacité à résoudre ce problème comme tous les autres.

Galpa, c’est une immense métaphore à lire et relire aussitôt.


Galpa – Marcel Cohen
Chandeigne, 1993, 97 p.
Première publication : Seuil, 1969


 

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Le promeneur d’Alep – Niroz Malek

61ne-lrk33l-_sx350_bo1204203200_Le promeneur d’Alep est un témoignage venu en droite ligne de Syrie. Sous forme de courtes anecdotes romancées de deux ou trois pages, l’auteur nous rapporte son quotidien, imaginaire ou ultra-réaliste selon les cas, d’habitant de la ville occupée d’Alep sous les traits d’un narrateur s’exprimant sans cesse à la première personne. Les vivants cotoient les morts dans la rue, au café, au téléphone… La fine ligne séparant les deux mondes s’estompant parfois tout à fait pour rendre compte d’un état d’esprit propre au survivant d’un monde en guerre.

Cette lecture m’a été particulière difficile et troublante, le roman laissant largement entrevoir la véracité d’une guerre très actuelle dont nous connaissons les retentissements jusque dans nos pays croyons-nous protégés. Il n’est pas d’écrits sanglants ou provocateurs dans la prose de Niroz Malek. L’oppression, si elle est parfois physique, est d’avantage psychologique ici. Le poids de la mort sur le quotidien y est magistralement dépeint. Le narrateur, le promeneur d’Alep, vit avec la mort, meurt un peu plus chaque jour, comment savoir… La fin n’est pas encore écrite, les tirs de mortiers cisaillent encore l’air, et la paix se fait inexorablement attendre. Il n’y a que l’ici et maintenant qui semblent compter : le passé est révolu et l’avenir n’existe peut-être pas.

Plusieurs librairies lyonnaises proposent à la vente ce court ouvrage des éditions Le serpent à plumes, à minima Le bal des ardents et Terre des livres. J’ai hésité avant de l’acheter : écrire sur une guerre qui n’est pas terminée, n’est-ce pas trop ambitieux, trop incertain ? Lire sur une guerre dont les échos résonnent trop proches de nos portes ne me sera-t-il pas trop difficile ? Je n’ai pas vraiment la réponse.

La perspective d’une lecture commune avec Maryline – qui nous fait l’honneur d’un bref retour sur la blogosphère à cette occasion – m’aura poussée à lire jusqu’au bout les anecdotes de Niroz Malek ; la volonté que la Syrie soit dignement représentée au challenge Lire le monde de Sandrine aussi. En effet, Niroz Malek s’attelle ici avec brio à un sujet ultra-sensible, avec humilité et simplicité, il réussit à rendre dans une langue éminemment fluide et poétique toute la douleur des pertes humaines et des perspectives cloisonnées.

Nous ne pouvons que remercier Le serpent à plumes et le traducteur Fawaz Hussain d’avoir permis au Promeneur d’Alep de marcher jusqu’à nous.


Le promeneur d’Alep – Niroz Malek
traduit de l’arabe (Syrie) par Fawaz Hussain
Le serpent à plumes, 2015, 157 p.
Première publication : Tahta sam’il harb, Stokholms Monsters / La société du Moulin, 2015


Challenges et non-challenge concernés

Challenge Multi-défis 2016 : un livre « âme sensible s’abstenir »