Archives du mot-clé résistance

Confidences – Max Lobe

thumb-large_lobe_140x210_103Le livre à peine refermé, j’entends encore la voix espiègle de Ma Maliga me narrer son improbable histoire de femme libre et indépendante dans un pays en guerre. Certainement, je ne remercierai jamais assez Max Lobe d’avoir su rendre public sa démarche très personnelle du retour aux sources familiales. A travers l’histoire de cette vieille dame au franc-parler, il a su transmettre au lecteur curieux tout un pan oublié de l’histoire de son pays natal, à savoir l’indépendance du Cameroun. Il réussit brillamment à rendre drôle, humain et abordable le témoignage d’une vie marquée par des atrocités qui semblaient innommables.

Le récit alterne entre les monologues animés de Ma Maliga et les réflexions personnelles et plus sporadiques de l’auteur/narrateur sur sa quête identitaire entre la Suisse et le Cameroun. En quoi le narrateur se fait-il l’héritier des atrocités commises dans un pays où il a peu vécu, il y a longtemps, et qui n’en ai pas moins son pays natal ? Par quels biais l’histoire familiale se fait-elle histoire nationale et témoignage de la résistance politique et de la dignité humaine ? Le projet est ambitieux, mais c’est extrêmement finement, autour de quelques bouteilles d’alcool, en mêlant humour et souvenirs de vie quotidienne, dans une conversation entre une mère et un fils, que la transmission se fait avec humour et vitalité.

Confidences n’est pas sans rappeler, par sa thématique africaine et par certains épisodes rapportés, le roman de Boubacar Boris Diop, Murambi, le livre des ossements, à propos du génocide tutsi au Rwanda. Les deux auteurs ont opté pour des types de narration très différents, B. B. Diop est nettement plus grave dans son propos, tandis que M. Lobe manie l’humour avec subtilité sans jamais être cynique. Les deux sont excellents et nécessaires.

Pour conclure ce billet, je tiens à laisser la parole à Ma Maliga :

Mon fils Makon m’a dit que tu es venu de loin-loin. De très loin même. Il m’a dit que tu es venu du pays des Blancs là-bas où tu vis, seulement pour me voir. Il m’a dit que tu veux que je te parle de Um Nyobè. Est-ce que c’est la vraie vérité, ça ? Hum, vraiment ! Tu me fais honneur, ah mon fils. Ça me met beaucoup de joies dans le cœur qu’un jeune homme comme toi vienne d’aussi loin seulement pour me voir, moi Maliga. Le plus souvent, ceux qui partent chez vous là-bas, ils ne reviennent plus ici. Non oh ! Ils ne reviennent plus, eux. Ils calent là-bas. Je ne sais pas qui leur mange la tête comme ça jusqu’à ce qu’ils oublient tout, tout et tout, même le trou qui les a mis au monde. Est-ce que c’est comme cela qu’on se comporte ? Franchement, mon fils, tu me fais honneur. Que Nyambè te verse ta part de bénédictions. Qu’il t’en verse beaucoup-beaucoup ! Tu m’entends ? Qu’Il t’en verse même un fleuve, s’Il le peut.
Mon fils, bois un peu de ce bon matango. Ekiééé ! Pas si vite. Pourquoi est-ce que tu es pressé comme ça comme si tu avais la diarrhée ? Doucement ! Verses-en d’abord un peu par terre pour nos morts et nos ancêtres. Regarde. Fais comme moi. Comme ça. Voooilààà. Bien. Maintenant tu peux boire.

L’incipit est ici.


 Confidences suivi d’une lettre de d’Alain Mabanckou à l’auteur – Max Lobe
Zoé, 2016, 285 p.


Challenges concernés

Challenge Multi-défis 2016 : un livre d’un auteur africain

Shadi Ghadirian : rétrospective – S. Aznavourian & A. G. Etehadieh

51zwbxfat0l-_sx258_bo1204203200_Une fois n’est pas coutume, je vous parle aujourd’hui d’un livre d’art, de photographies de l’iranienne Shadi Ghadirian. La Bibliothèque municipale de Lyon a proposé une restrospective de cette artiste fin 2015. Pour être sincère, il me semble que je suis alors entrée dans la salle d’exposition de la bibliothèque pour la première fois, attirée d’abord par le montage vidéo installé dans le hall d’accueil et portant le titre évocateur d’Une trop bruyante solitudeJe découvrais étrangement dans le même temps le livre du même nom de l’auteur tchèque Bohumil Hrabal, accessoirement l’une de mes plus belles lectures de l’année passée. Le montage vidéo de Shadi Ghadirian, première expérience du genre pour cette photographe, invitait les lecteurs à entrer dans une pièce exigüe entourée de quatre murs sur lesquels étaient projetées des scènes de rue : une foule de passants vus de face, de profil (gauche et droite) et de dos. Imaginez la presqu’île de Lyon le premier jour des soldes, ou une sortie de métro de la Défense à Paris à l’heure de pointe (en un peu plus fluide tout de même) et vous aurez une idée des images diffusées. Clin d’oeil que je n’ai pu repérer que sur les indications de la commissaire d’exposition : une petite fille se faufile entre les passants, vagabondant de tous côtés, indépendamment du flot humain. Si l’étiquette de présentation indiquait que l’observateur était invité à suivre le mouvement et à se mettre en marche pour accompagner tous ces individus, mon ressenti relevait bien d’avantage de l’oppression, et induisait une volonté de résistance au flux, voire de fuite, plus qu’un sentiment naturel de mise en marche. M’est avis que l’auteur était bien consciente de l’effet provoqué, la commissaire d’exposition n’était pourtant pas en mesure de me confirmer que la photographe avait lu l’oeuvre de Bohumil Hrabal. Et c’est bien là toute la subtilité de l’exposition. Shadi Ghadirian est considérée comme une chef de file de la photographie iranienne, elle vit à Téhéran, a plusieurs fois été menacée de censure mais continue tout de même à exposer dans son pays et dans le monde entier. Toute son œuvre repose sur ce fil indicible au croisement de l’acceptable par le gouvernement iranien, et de la critique féministe – voire politique dans le cas d’Une trop bruyante solitude.

Chaque série de photos reproduites dans le catalogue d’exposition met en évidence cette ambiguïté, cette position de l’Iran et particulièrement de la femme iranienne à la croisée entre tradition et modernité d’abord, liberté et censure, réflexe protecteur et audace. Certains y verront une revendication féministe et politique très forte, j’y vois aussi la fragilité d’une mère, la beauté d’une culture iranienne très riche. L’oeuvre de Shadi Ghadirian ne se limite pas au féminisme, elle utilise à bon escient toute sorte d’objets du quotidien pour en faire une critique sociétale, de la guerre, du numérique, de la modernité, de la position de la femme dans cette modernité, etc.

Je vous parle peu de photographie sur ce blog. C’est un art que je découvre petit à petit, ponctuellement, au gré des trop rares expositions auxquelles j’assiste ou de catalogues que je découvre par hasard. J’espère toutefois y revenir plus régulièrement pour creuser ce drôle d’intérêt émergent.

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Shadi Ghadirian : rétrospective
Sylvie Aznavourian et Anahita Ghabaian Etehadieh (commissaires d’exposition)

Somogy, BmL, Silk Road Gallery, 2015, 96 p. (bilingue français-anglais)


Challenges concernés

Challenge Multidéfis 2016 : un livre d’art

Dieulefit ou le miracle du silence – Anne Vallaeys

Dieulefit est le nom d’un village de la Drôme – c’est aussi accessoirement le lieu de vie de Lorette Nobécourt 😉 . Aujourd’hui réputé pour ses paysages magnifiques, Dieulefit est aussi l’endroit qui a vu se dérouler l’un des plus beaux exemples de solidarité de la seconde guerre mondiale. Anne Vallaeys est allée sur place pour recueillir les témoignages des anciens du village et nous rapporter « le miracle du silence ». Sous l’impulsion de Marguerite Soubeyran, Catherine Crafft et Simone Monnier, l’école de Beauvallon dont elles sont directrices accueille progressivement de plus en plus d’enfants venus d’ailleurs. L’ensemble du village dans un accord tacite maintient le secret, la secrétaire de mairie commence à falsifier les papiers, le maire ferme les yeux. D’autres réfugiés se joignent incognito à la population qui double son effectif en l’espace de quatre ans. Malgré le rationnement et les contraintes de la guerre, chacun se tait, tous partagent.

Je ne peux que saluer l’entreprise d’Anne Vallaeys pour avoir permis de mettre en lumière cet épisode de notre histoire. J’ai toutefois fait l’erreur d’ouvrir ce livre comme on ouvre un roman, en quête de savoir mais aussi d’esthétique et d’émotions. Il faut d’avantage le considérer comme un témoignage : l’auteur nous rapporte à la première personne ses entretiens avec les villageois, qui se remémorent leurs souvenirs d’enfance. Je suis restée distante, confortablement installée dans mon XXIème siècle, admirative certes, appréciant de prendre connaissance de ces faits, mais finalement et malheureusement peu impliquée personnellement. Je recommande donc ce livre aux amateurs historiens curieux de la résistance française, de l’éducation – puisque l’école de Beauvallon a, depuis, largement porté ses fruits dans le domaine pédagogique – et de l’histoire locale de la Drôme. Pour les amoureux des lettres et des émotions fortes, il faudra peut-être passer votre chemin.

Je profite de ce court billet pour remercier l’équipe du webzine Un dernier livre avant la fin du monde grâce à qui j’ai gagné cet ouvrage.


Dieulefit ou le miracle du silence – Anne Vallaeys
Fayard, 2008, 264 p.


Challenges concernés
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Les neiges bleues – Piotr Bednarski

Exemple parfait du petit bonheur découvert grâce à la blogosphère littéraire, un premier billet avait été publié sur Tête de lecture en décembre dernier (Merci !), et un second un peu plus tard je crois – mais je ne sais plus où, mea culpa. Comme souvent, l’ouvrage était disponible à la bibliothèque de la Part-Dieu ( ❤ Lyon ❤ ) et je m’empressais de l’emprunter – avec sept autres bouquins dont Un goût de sel du même auteur.

Par chance, j’ai pu lire Les neiges bleues avant que la durée de prêt n’expire – Un goût de sel devra attendre encore un peu. Souvenirs d’enfance de l’auteur alors qu’il était exilé avec sa mère en Sibérie, son père déporté au goulag, Les neiges bleues retrace le quotidien de ces résistants polonais au régime soviétique pendant la seconde guerre mondiale, dans l’attente parfois du retour du père, avec la volonté aussi d’avancer. Piotr Bednarski nous propose une écriture saisissante de poésie, de Beauté (surnom de la mère) et de douceur, pour un sujet qui aurait pu être glacial.

Mon drame, dans l’immédiat, est que j’ai dû rendre ce livre à la bibliothèque et ne suis plus en mesure de vous en proposer un long extrait. Par chance, j’avais noté cette petite phrase qui vous accrochera peut-être, je l’espère :

« Or n’est-ce pas justement quand la mort est sur le seuil, quand elle fait déjà son nid en nous, à l’intérieur, que le désir de vivre s’exalte et que l’on devient capable d’abattre des montagnes, et de ressusciter d’entre les morts ? »

Il me semble qu’elle reflète assez bien l’esprit du livre : au milieu du froid, de l’absence, de la misère, de la douleur voire de l’aigreur ou du danger, il émane des Neiges bleues un espoir, une douce luminosité – comme un soleil d’hiver – qui nous tire vers l’avant, ou vers la vie.

Challenges concernés
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