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La ville fond – Quentin Leclerc

Livre O.V.N.I. de la rentrée littéraire 2017, La ville fond est à lire si vous ne vous laissez pas facilement séduire, si vous aimez conserver une marge de liberté, si vous n’avez pas l’esprit trop réaliste, si vous aimez être déstabilisé, si vous aspirez à un ailleurs juste de l’autre côté de la forêt, si vous détestez les avions et les T.G.V., si vos besoins sont très concrets, si vous avez l’esprit enclin à la métaphore, si vous entretenez un rapport particulier avec l’absurde, si vous cherchez une direction….

Inclassable sous des airs de récit post-apocalyptique, La ville fond invite le lecteur à suivre Bram, veuf un peu benêt, dans son habituelle expédition en ville pour acheter ses médicaments à la pharmacie. Mais aujourd’hui, le bus est en panne. Et les jours se suivent sans que le bus ne reprenne son itinéraire habituel. En effet, il semblerait que la ville fond et que toute l’organisation urbaine et péri-urbaine en soit perturbée. Et Bram n’a qu’une seule idée en tête, aller à la pharmacie acheter ses médicaments. Son obstination sereine l’entraîne dans un étrange périple qui donne à penser non-seulement sur nos modes de déplacement et de vie de plus en plus rapides, mais encore, les rencontres et événements auxquels Bram est confronté sont autant de portes ouvertes pour l’imagination du lecteur… à chacun d’y lire les métaphores qu’il voudra et toutes seront justifiées. La ville fond est un roman à plusieurs niveaux de lecture, sous de faux airs kafkaïens la question du sens des actes et de ce qui fonde l’humain y est omniprésente.

Libre à chaque lecteur d’y suivre sa route…


La ville fond – Quentin Leclerc
Editions de l’Ogre, 2017, 200 p.


 

La Horde du Contrevent – Alain Damasio

« Chef d’œuvre porté par un bouche-à-oreille rare » et pour cause, mon ami m’en parle comme l’un des livres les plus marquants qu’il ait lu. Je l’ai offert deux fois depuis que je l’ai terminé en décembre dernier. Je me rappelle le moment où j’ai ouvert la première page  :

« A la cinquième salve, l’onde de choc fractura le fémur d’enceinte et le vent sabla cru le village à travers les jointures béantes du granit. Sous mon casque, le son atroce du roc poncé perce, mes dents vibrent – je plie contre Pietro, des aiguilles de quartz crissent sur mon masque de contre. A terre, dans la ruelle qui nous couvre, deux vieillards tardifs qui clouaient un volet ont été criblés ; plus loin au carrefour, je cherche en vain la poignée de mômes qui crânaient front nu en braillant des défis que personne, pas même nous, ne peut à cette puissance, et sous cette viscosité d’air, relever. »

J’espère que je ne vous ai pas perdu. A la lecture de ces premières lignes, sincèrement j’ai eu peur. La Horde du Contrevent ne se lit pas à la légère, j’ai attendu d’être chez moi pour le reprendre avec calme et concentration. A l’heure où je redécouvre ce texte pour vous le transmettre, je dépasse la première vague d’incompréhension, je vois la scène, j’accroche aux syllabes, agressives comme des lames de couteau contre une table en verre, poétiques et musicales. Si je m’écoute, je vous abandonne au milieu de cet article et reprend la marche avec la Horde, physiquement.

Livre OVNI par excellence, il faut du temps pour en intégrer toute la portée. J’attends depuis des semaine de trouver les mots pour vous en parler. J’ai lu La Horde du Contrevent comme on monte sur un ring de boxe. Avec Alain Damasio, la lecture devient une activité physique addictive. Outre la langue, réinventée et perfectionnée à chaque ligne, les vingt-trois membres de la trente-quatrième horde nous sont décrits avec un tel réalisme qu’ils en deviennent humains. A chaque paragraphe, le narrateur – toujours l’un de membres du groupe – change et nous propose un regard différent sur chaque étape du voyage et sur la personnalité complexe et fouillée de chacun de ses compagnons. En plus d’une marche absurde ou sensée – selon les circonstances, le personnage ou la météo – consistant à partir de l’Extrême-Aval pour remonter à pied, nécessairement, jusqu’à l’Extrême-Amont d’un monde ravagé par les vents, Alain Damasio nous propose indirectement une profonde réflexion sur l’Autre – et par conséquent un peu sur soi -, sur le but à atteindre – qu’est-ce que l’Extrême-Amont finalement ? -, il développe toute une science et un alphabet fait de ponctuation autour des vents et de leurs descriptions, il fait preuve d’une maîtrise et d’une capacité à jouer avec la langue française absolument surprenante, il offre au lecteur – à moi en tout cas ! – une métaphore magnifique du combat contre ses propres démons, libre à chacun de les nommer. La Horde du Contrevent est aussi un roman très actuel qui nous amène à réfléchir sur nos sociétés hyper robotisées et numérisées – pour ne pas dire hyper assistées… Il nous rappelle à l’ordre des valeurs fondamentales nécessaires à toute Horde digne de ce nom, et loin des discours pré-établis il souligne toute l’ambiguïté et la difficulté de s’y tenir.

Bref, tout cela fait beaucoup pour un seul livre. Quand je l’ai eu terminé, plusieurs jours de « deuil » m’ont été nécessaires avant de pouvoir apprécier, à nouveau, d’autres lectures qui me semblaient alors bien fades… La Horde du Contrevent d’Alain Damasio, auteur lyonnais par ailleurs ;), fait glorieusement partie de mes coups de cœur 2014, et je suis convaincue qu’une deuxième lecture ne ferait que mettre en lumière de nouveaux aspects que je n’ai pas perçus. Ce roman hors norme me travaillera au corps encore longtemps…

Et vous, l’avez-vous lu ? Qu’en avez-vous pensé ? A-t-il laissé des traces ?