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Les émeutes raciales de Chicago, juillet 1919 – Carl Sandburg

chicago-une-de-couvertureJ’ai découvert ce titre grâce au Forum Démocratie organisé par la BmL. Il reprend un texte publié en 1919 par Carl Sandburg, poète, historien et écrivain américain, dans la foulée d’émeutes raciales à Chicago qui ont causé la mort de 38 personnes (23 Noirs et 15 Blancs). Cependant, le propos ne relate pas les émeutes en tant que telles et c’est bien là toute sa force. L’auteur y consacre un court premier chapitre de trois pages et s’attache ensuite à expliciter le contexte immédiat de ces émeutes, puis le contexte social et historique, les migrations des Noirs du Sud vers Chicago pour répondre à l’appel de main d’oeuvre et fuir une situation que l’on pourrait qualifier d’apartheid, l’emploi industriel, les syndicats dans les usines et les abattoirs, etc. En seize courts chapitres, Carl Sandburg dresse le portrait d’une époque.

Son propos est renforcé par la préface et le travail d’édition d’Anamosa qu’il est bon de noter. La préface de Christophe Granger fait le point sur les émeutes elles-mêmes de manière chiffrée et factuelle et met en exergue la violence des débordements par rapport à une situation décrite par Carl Sandburg qui pourrait presque paraître « normale » à nous autres citoyens du XXIè siècle. L’éditeur appuie ce propos en publiant en fin d’ouvrage la liste des personnes décédées au cours des émeutes, le lieu et les conditions de chaque crime. Cette liste redonne toute son humanité au discours des historiens et nous rappelle en quelque sorte à notre devoir de mémoire. En début et fin d’ouvrage, les éditeurs ont également pris soin d’ajouter des photographies en noir et blanc et double-pages représentant les rues de Chicago et des Américains au début du XXè siècle. La couverture à bords rabattus achève de faire de ce livre un bel objet, agréable à tenir en main, à regarder et à lire. Je n’ai pas l’habitude d’un tel soin apporté aux publications en sciences humaines et je tenais à le préciser.

Pour revenir au texte, les propos de Carl Sandburg sont extrêmement abordables au lecteur non spécialiste de l’histoire américaine – sans être simplistes. L’auteur expose sans emphase des faits historiques et sociologiques sans s’étaler démesurément, chaque chapitre comporte une dizaine de pages. Et ces faits, (re-)découverts par le lecteur de 2017, font naturellement échos à la situation actuelle, aussi bien aux Etats-Unis qu’en France ou ailleurs en Europe, s’il n’était l’abominable et meurtrière conséquence des émeutes…
Sans aucun militantisme affiché, l’ouvrage a le mérite de pointer du doigt les choix politiques – ou l’absence de choix – en matière de ségrégation raciale, de paupérisation des milieux ouvrier et immigré, de flambée des prix immobiliers, de travail des femmes après la guerre…
Paradoxalement, Carl Sandburg met en exergue les avancées réalisées depuis les émeutes raciales de 1917 (entre 60 et 200 Noirs massacrés par une foule de Blancs entre mai et juillet). Les efforts menés au niveau des syndicats pour éviter autant que possible la ségrégation dans les usines auraient contribué à limiter les massacres de 1919.
Le dernier chapitre rédigé par Joël Spingarn, ami de C. Sandburg et premier compilateur et éditeur de ce livre, est consacré à la nécessité d’envisager la question raciale non plus à l’échelle d’une usine ou d’une ville mais à l’échelle nationale, voire fédérale. Il soulève l’importance d’une coordination des Etats – en l’occurrence américains – afin de lutter contre les multiples facteurs systématiquement à l’origine des émeutes et des crimes raciaux.

Nous sommes à la veille de 2019, les américains ont eu élu un président noir et re-publier ou lire Carl Sandburg relève toujours de l’acte militant et nécessaire.


Les émeutes raciales de Chicago, juillet 1919 – Carl Sandburg
Edition française dirigée, préfacée et annotée par Christophe Granger
Traduit de l’anglais (américain) par Morgane Saysana
Anamosa, 2016, 241 p.


Je vous écris de l’usine – Jean-Pierre Levaray

libertalia-jevousecrisdelusine-couv_web_rvbUne fois n’est pas coutume, je sors à nouveau de ma routine littéraire avec ce titre de Jean-Pierre Levaray. J’expérimente ce que l’on nomme l’écriture prolétarienne. Je vous écris de l’usine est une compilation de chroniques publiées par l’auteur dans le journal alternatif et indépendant CQFD. Ces récits mensuels de trois à quatre pages rapportent les anecdotes réelles vécues entre 2005 et 2015 par l’auteur, ouvrier syndicaliste CGT, au cours de ses journées à l’usine et lors de ses visites au siège de l’entreprise ou à des collègues ouvriers dans d’autres usines.

Ces chroniques m’ont fait l’effet d’une piqûre de rappel et d’une prise de conscience. Je n’étais pas totalement étrangère aux événements rapportés : délocalisation massive des usines françaises, pression exercée sur les ouvriers, accidents du travail parfois mortels, blagues potaches, petites traîtrises et solidarité, procès AZF, dégâts de l’amiante… J’ai surtout été surprise par la régularité des faits. Chaque mois Jean-Pierre Levaray relate au lecteur un événement nouveau dans un style court, incisif et rythmé. Il réveille la conscience militante du lecteur, lui dévoile certains rouages de l’administration des grandes industries, met en lumière les abus (nombreux !), l’instrumentalisation des personnes toujours, et bien d’autres choses parfois drôles et souvent révoltantes.

En période d’élections présidentielles, cette lecture est plus que bénéfique pour se remémorer, se re-motiver aussi et se rappeler ce que l’on pourrait attendre de nos politiques, prendre conscience des conséquences des choix économiques pris au sommet de la pyramide sociale sur les populations situées à la base de cette même pyramide. Se rappeler aussi que la condition ouvrière existe toujours en France – on en est là ! – qu’elle empire un peu plus chaque année – l’évolution sur 10 ans des chroniques de Jean-Pierre Levaray est criante de vérité – et qu’il est plus que temps de la (re-)prendre en compte politiquement.


Je vous écris de l’usine – Jean-Pierre Levaray
Libertalia, 2016, 368 p.