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Rêver l’obscur : femmes, magie et politique – Starhawk

Starhawk est une militante américaine contemporaine, féministe, écologiste, pacifiste et altermondialiste. Au premier abord, sa personnalité m’a semblé plutôt farfelue, je dois bien l’admettre. Une « sorcière néo-païenne » nous dit Cambourakis sur la quatrième de couverture de Rêver l’obscur, sérieusement ? Quoiqu’il en soit, la dame fait preuve d’un engagement politique tel qu’il serait malvenu de ne pas s’attarder un petit peu sur ses écrits.
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Rêver l’obscur : femmes, magie et politique rassemble les idées principales de l’autrice dans un format que j’ai trouvé pour ma part assez déstabilisant et éloigné des écrits académiques traditionnels. On y parle de divinités, de magie, de pouvoir-sur et de pouvoir-du-dedans, de rituels à réinventer, de peur à exorciser et de futur à créer. Sous ces faux airs de science-fiction ou de récits fantastiques, les propos de Starhawk sont pourtant rationnels et fondés sur une véritable expérience pratique des rassemblements de militants. Publié pour la première fois en 1982, bien avant la vague de publications sur le développement personnel que nous connaissons actuellement, Starhawk théorise la communication au sein de petits groupes d’humains. Elle observe les manières dont chacun prend la parole et apporte des conseils pour réguler les prises de paroles de façon bienveillante dans le but de faire avancer un groupe dans son ensemble, de faire émerger de nouvelles idées politiques et d’organiser leur mise en pratique. Cette gestion du groupe passe notamment par l’organisation de rituels précisément détaillés par Starhawk.

La magie et la circulation de l’énergie sont mis au centre de la pensée et de la pratique de Starhawk. Les rituels ont notamment pour but de capter l’énergie reliée à la Terre. Pour définir cette énergie, Starhawk s’appuient sur les traditions chinoise (ch’i), indienne (prana) ou encore hawaïenne (mana). La magie, quant à elle, est décrite très rationnellement comme le pouvoir résultant de la vérité, la sincérité, le dire-vrai, le bon usage du langage. La formulation des peurs est présentée comme le meilleur moyen d’en venir à bout, et surtout la formulation des rêves est la première étape nécessaire à leurs réalisations. Qui n’ose pas rêver un monde meilleur n’obtiendra rien de meilleur. D’où l’intérêt par exemple d’une science-fiction qui mettrait à l’honneur des héroïnes puissantes et indépendantes, ou de manière générale qui proposerait d’autres modèles de société.

Je suis souvent restée perplexe en lisant les écrits de Starhawk, j’ai plus souvent encore été surprise et intriguée. Ce livre m’a rendu plus curieuse, plus militante, plus confiante aussi. Rêver l’obscur m’a surtout incitée à m’engager personnellement dans la réflexion, à me faire ma propre opinion, à engager une action après l’autre pour faire évoluer les mentalités et notre société, petit pas par petit pas, et de petit groupe en petit groupe, une idée entrainant l’autre…


Rêver l’obscur : femmes, magie et politique – Starhawk
traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Morbic
Cambourakis, 2015, 380 p.

Titre original : Dreaming the dark. Magic, sex & politics, 1982


Sur les ossements des morts – Olga Tokarczuk

9782369141150S’il fallait classer ce roman d’Olga Tokarczuk, le rayon polar lui conviendrait sans doute. Cependant Sur les ossements des morts fait partie de ces récits un peu touche-à-tout propice à amener le lecteur hors de sa zone de lecture habituelle, en l’occurrence à amener la récalcitrante au polar que je suis à la lecture d’un polar et, qui plus est, à l’apprécier.

Sur les ossements des morts se déroule dans la montagne polonaise, près de la frontière tchèque. Les hivers dans ce lieu sont particulièrement rigoureux, le réseau téléphonique aléatoire, les habitants saisonniers. Seuls Matonga, Grand-Pied et Janina Doucheyko, la narratrice, vivent à l’année dans ce hameau reculé. Une nuit, Matonga toque à la porte de Janina, inquiet pour leur voisin commun dont la lumière reste bien tardivement allumée, son chien hurlant désespérément. Le contexte de découverte d’un premier cadavre est posé. Les autres suivront…

Tout au long du roman, le lecteur suit les pensées de Janina Doucheyko, vieille dame solitaire, passionnée d’astrologie, gardienne des demeures voisines en l’absence de leurs propriétaires, convaincue que les animaux sont responsables des accidents meurtriers qui se succèdent dans la forêt. Ce défilé de pensées d’une femme isolée dans son chalet de montagne en Europe de l’Est me rappelle dans un premier temps Le mur invisible de Marlen Haushofer. Progressivement, les portraits de chaque narratrice se distinguent radicalement. Là où Marlen Haushofer dépeint une femme d’une extrême lucidité, le personnage d’Olga Tokarczuk navigue entre excentricité astrologique et bon sens montagnard, la frontière est floue entre lucidité et folie, jusqu’au dénouement de l’enquête. Alors que le lecteur s’attache de plus en plus à la personnalité de Janina, il comprend progressivement, par les conversations qu’elle entretient avec ses voisins, par certaines réactions de ces mêmes voisins que la narratrice n’explique pas, que l’image qu’elle renvoie d’elle-même ne correspond pas nécessairement à celle qu’elle a d’elle-même… Au delà du roman, ce jeu psychologique force la réflexion et invite à regarder les relations humaines avec un œil nouveau. J’adore !


Sur les ossements des morts – Olga Tokarczuk
Traduit du polonais par Margot Carlier

Libretto, 2014, 288 p.
Première publication : Prowadź. swój pług przez kości umarłych, Wydawnictwo Literackie, 2010
Première traduction en français : Les Editions Noir sur Blanc, 2010


Challenges concernés

Challenge Multi-défis 2016 : un livre d’un auteur européen non francophone

Sur la route du papier – Erik Orsenna

813yfd49ptlLe terme du challenge ABC approche à grand pas et comme l’an passé je fais le tour de mes étagères pour combler les lettres manquantes avec de nouvelles lectures ou des chroniques en retard. Sur la route du papier appartient à la deuxième catégorie. Je n’en suis pas à ma première lecture d’Orsenna, vous trouverez mon avis sur L’entreprise des Indes ici, j’avais également adoré Madame Bâ lu à la même période – que je pourrais rapprocher aujourd’hui de Confidences de Max Lobe par le personnage central de cette Mama africaine – sans n’avoir jamais pris le temps de vous en parler.

Dans un tout autre registre, Sur la route du papier s’écarte des récits de voyage traditionnels pour s’attarder d’avantage sur l’aspect documentaire de la question du papier, sur son origine, sa fabrication, son impact économique et écologique, la variété de forme qu’il peut prendre, etc. Le sous-titre du livre en dit long sur son contenu : Petit précis de mondialisation III. Je garde de cette lecture le souvenir d’une très grande densité d’informations et de chiffres. Si la construction de l’essai est assez pédagogique et ludique – on suit l’auteur dans les périples internationaux qui lui permettront de rebondire et de trouver les réponses à chaque nouvelle question – l’abondance de chiffres pourtant a fini par me lasser et me noyer : que de troncs d’arbres coupés, que de francs, euros et autres dollars investis, que de kilos d’emballages recyclés, que de kilomètres parcourus !

Pour autant, si l’occasion se présente, je ne négligerai pas les deux premiers volumes de cette série Voyage au pays du coton et L’avenir de l’eau. Les propos d’Erik Orsenna apportent effectivement au lecteur une vision claire et globale, et des exemples concrets de la mondialisation et de ses conséquences, sans jugement de valeur a priori, en soulevant les bonnes questions afin d’y répondre avec courage et précision : quel risque en effet pour un écrivain qui n’est pas adepte de la publication numérique de constater les conséquences de la production du papier utilisé dans la fabrication de chaque exemplaire de ses livres…


Sur la route du papier : petit précis de mondialisation III – Erik Orsenna
Le livre de poche, 2013, 334 p.
Première publication : Stock, 2012


Challenges concernés

Challenge Multi-défis 2016 : un tome d’une série

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