Archives pour la catégorie Romans

La ville fond – Quentin Leclerc

Livre O.V.N.I. de la rentrée littéraire 2017, La ville fond est à lire si vous ne vous laissez pas facilement séduire, si vous aimez conserver une marge de liberté, si vous n’avez pas l’esprit trop réaliste, si vous aimez être déstabilisé, si vous aspirez à un ailleurs juste de l’autre côté de la forêt, si vous détestez les avions et les T.G.V., si vos besoins sont très concrets, si vous avez l’esprit enclin à la métaphore, si vous entretenez un rapport particulier avec l’absurde, si vous cherchez une direction….

Inclassable sous des airs de récit post-apocalyptique, La ville fond invite le lecteur à suivre Bram, veuf un peu benêt, dans son habituelle expédition en ville pour acheter ses médicaments à la pharmacie. Mais aujourd’hui, le bus est en panne. Et les jours se suivent sans que le bus ne reprenne son itinéraire habituel. En effet, il semblerait que la ville fond et que toute l’organisation urbaine et péri-urbaine en soit perturbée. Et Bram n’a qu’une seule idée en tête, aller à la pharmacie acheter ses médicaments. Son obstination sereine l’entraîne dans un étrange périple qui donne à penser non-seulement sur nos modes de déplacement et de vie de plus en plus rapides, mais encore, les rencontres et événements auxquels Bram est confronté sont autant de portes ouvertes pour l’imagination du lecteur… à chacun d’y lire les métaphores qu’il voudra et toutes seront justifiées. La ville fond est un roman à plusieurs niveaux de lecture, sous de faux airs kafkaïens la question du sens des actes et de ce qui fonde l’humain y est omniprésente.

Libre à chaque lecteur d’y suivre sa route…


La ville fond – Quentin Leclerc
Editions de l’Ogre, 2017, 200 p.


 

La porte – Magda Szabó

51a-ehadv6l-_sx210_Connaissez-vous Emerence ?

Domestique de métier, elle a servi pendant près de 20 ans un couple d’universitaires sans enfant. D’abord froide, têtue et secrète, son comportement perturbe l’épouse – la narratrice – , et elle ne doit de conserver son poste qu’à l’efficacité et à la perfection redoutable de son travail.

Au fil des ans, une relation se noue entre les deux femmes. A travers les mots de sa narratrice, Magda Szabó retrace les non-dits, les frontières de l’intimité repoussées millimètres par millimètres, l’indicible d’une grande amitié mais aussi l’indicible d’une grande honte.

La porte m’a fait penser en bien des points à certains livres de Marlen Haushofer : Dans la mansarde, et surtout Nous avons tué Stella. On y retrouve la confession d’une femme des années 50 ou 60 vivant la plupart du temps seule chez elle pendant que le reste de la famille – l’époux et/ou les enfants – vaquent à l’extérieur. La porte se déroule dans un quasi huis clos entre la maison de la narratrice et le seuil d’Emerence ; de même les héroïnes de Marlen Haushofer sont prisonnières de leur foyer avec pour rares distractions l’intrusion d’une domestique – femme de ménage ou jeune fille au pair.

Toutefois, le style de Magda Szabó s’écarte de celui de Marlen Haushofer par l’usage de dialogues incisifs et plein d’humour échangés entre les deux principales protagonistes. Les personnages secondaires qui gravitent autour d’Emerence apportent aussi leur lot d’émotions et sans que leurs portraits ne soit aussi précis que celui d’Emerence, chacun d’entre eux marque une personnalité ambivalente jamais caricaturale et toujours touchante.

Si La porte est un roman d’une extrême sensibilité, dur, fascinant et juste, il est tout autant drôle, riche et déroutant que peut l’être Emerence.

♣♣♣

Extraits :

« Elle était un exemple pour tout le monde, elle aidait chacun, la poche de son tablier amidonné livrait des bonbons enveloppés dans du papier, des mouchoirs de toile immaculée qui s’envolaient en bruissant comme des colombes, elle était la reine de la neige, la sécurité, la première cerise de l’été, la première châtaigne sortant de sa bogue à l’automne, les citrouilles resplendissantes l’hiver, au printemps le premier bourgeons de la haie : Emerence était pure, invulnérable, elle était le meilleur de nous-mêmes, celle que nous aurions aimé être. »

♣♣♣

« – Emerence, repris-je, si cela avait été l’inverse, vous m’auriez laissé mourir ?
– Bien sûr, répondit-elle sèchement.
Ses larmes avaient cessé de couler.
– Et vous ne le regretteriez pas ?
– Non. […]Qu’est-ce que ça sait, un mort, qu’est-ce que ça voit, qu’est-ce que ça ressent ? Vous vous imaginez qu’on vous attend là-haut, et que Viola ira aussi quand il mourra, et que tout sera comme maintenant, que vous retrouverez l’appartement, que les anges emporteront votre machine à écrire et l’écritoire de votre grand-père, et que tout continuera ? Ce que vous pouvez être bête ! Quand on est mort, on se fiche de tout, un mort, c’est zéro. Comment pouvez-vous ne pas comprendre ? Vous êtes pourtant assez vieille. »


La porte – Magda Szabó
traduit du hongrois par Chantal Philippe
Le livre de poche, 2017, 347 p.
Première publication française : Viviane Hamy, 2003
Première publication : Az Ajtó, 1987


Elle, par bonheur, et toujours nue – Guy Goffette

513xdt33qsl-_sx210_C’est au cours d’un mois belge que j’ai eu connaissance pour la première fois des écrits de Guy Goffette. Dans la foulée et en accordant toute ma confiance à l’une ou l’autre blogueuse – Anne, Mina, Florence, lesquelles encore ? – j’ai acheté ce court livre que je n’ai lu qu’aujourd’hui, un véritable délice de lecture comme j’en ai connu peu ces derniers mois, à vous faire monter les larmes aux yeux !

Elle, c’est Marthe, l’épouse du peintre Pierre Bonnard, et surtout sa muse. Guy Goffette prend soin ici de débuter son roman par une lettre d’excuse à l’artiste :

« Pardonnez-moi, Pierre, mais Marthe fut à moi tout de suite. Comme un champ de blé mûr quand l’orage menace, et je me suis jeté dedans, roulé, vautré, pareil à un jeune chien. ».

Et c’est un roman d’amour qui s’en suit, une véritable déclaration à celle, toujours nue, que l’on retrouve dans de nombreux tableaux de l’artiste, une déclaration au peintre lui-même qui a su sublimer la grincheuse et neurasthénique Marthe, oscillant pour l’éternité entre muse et femme. Guy Goffette peint un nouveau tableau – littéraire cette fois – représentant le couple Bonnard de leur rencontre à leurs derniers jours, et ce bijou de poésie et d’érotisme est à vous ravir le cœur…


Elle, par bonheur, et toujours nue – Guy Goffette
Gallimard, 1998, 158 p.


 

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Enfant-pluie – Marc Graciano

enfant-pluieUn joli conte initiatique comme je les aime pour une collection « Merveilleux » des éditions Corti qui porte bien son nom. On y suit l’histoire d’Enfant-pluie, né dans une tribu préhistorique, et dont le destin s’avérera rapidement être hors du commun. Celle-qui-sait-les-herbes l’a fait naître au monde une première fois et l’entraîne et l’accompagne dans un voyage hors de sa vallée natale vers …
Rien de plus, rien de moins.
Enfant-pluie raconte son histoire dans un récit linéaire au style presque simple. En quelques phrases j’étais à ses côtés dans l’abri sous roche où vit son peuple, sur la route dans les pas de la vieille chamane, fascinée par les peintures rupestres dont les motifs de Laurent Graciano émaillent les pages du charmant livret bleu que je tiens entre les mains. Je ne l’ai finalement pas refermé avant d’en avoir lu la dernière ligne.

Enfant-pluie se savoure d’une traite avec douceur et délice. A le lire, j’y ai gagné une certaine forme de sérénité. Rien de plus, rien de moins.


Enfant-pluie – Marc Graciano
illustrations de Laurent Graciano
Editions Corti, 2017, 96 p.


 

Quinzinzinzili – Régis Messac

arbrevengeur18-2007Je cherchais un livre atypique, de quoi fuir la morosité ambiante. Quelque chose qui me réveille, me permette de passer à l’étape suivante. Une fois de plus, L’Esprit Livre a parlé : « Un post-apo, t’en lis jamais ça te changera », argument ultime pour faire faillir mon têtu froncement de nez. Et me voilà délicieusement assise en terrasse à feuilleter ce bel ouvrage au titre improbable. Pari gagné ! Quinzinzinzili, c’est le mot inventé par une horde d’enfants livrés à eux-mêmes dans un monde dévasté. Quinzinzinzili, c’est le titre donné au récit du seul survivant adulte à cette deuxième guerre mondiale qui n’avait pas encore eue lieu. Je contextualise : le roman dont je vous parle a été publié en 1935 par un certain Régis Messac, universitaire à Glasgow puis Montréal et instituteur français, prédicateur s’il en est du désastre nazi. Quinzinzinzili est hallucinant de modernité par le style employé. En témoigne l’incipit :

Moi, Gérard Dumaurier…
Ayant écrit ces lignes, je doute de leur réalité. Je doute de la réalité de l’être qu’ils désignent : moi-même. Est-ce que j’existe ? Suis-je autre chose qu’un rêve, ou plutôt un cauchemar ? L’explication la plus raisonnable que je puisse trouver à mes pensées, c’est que je suis fou.

Les premières pages du récit de Gérard Dumaurier sont le prétexte d’un état des lieux politique incroyable proche de celui que l’on observera quelques années plus tard en Europe. Désespérément proche aussi de celui que l’on observe à nouveau aujourd’hui dans le monde. Rapidement, la catastrophe apocalyptique se produit, et Gérard Dumaurier se retrouve seul avec une douzaine de mouflets, rescapés au fond d’une grotte. Aucune émotion, aucune empathie à l’égard des enfants ne transparaît des propos du narrateur. Gérard Dumaurier observe et décrit froidement… une micro-société se reconstitue, le premier meurtre, le premier viol, la redécouverte du feu, un nouveau langage, une nouvelle religion. Quinzinzinzili m’a fascinée. Ce roman pose en filigrane toute la question de ce qu’est ou pas notre humanité, il la renouvelle… au lecteur d’y répondre.


Quinzinzinzili – Régis Messac
L’Arbre Vengeur, 2011, 199 p.
Première publication: La fenêtre ouverte, collection « Les Hypermondes », 1935


 

Dizzy – Claire Veys

dizzyLe mois belge arrive à son terme et ma participation cette année a été certes limitée, mais de qualité. Inauguré avec Stefan Platteau, je le clos avec un court livre qui me tient particulièrement à cœur.

Peut-on croiser les destins des membres d’une même famille ? C’est là toute la question que me pose ce roman. Dizzy raconte l’histoire de rencontres plusieurs fois renouvelées  au cours des ans entre une mère, un fils, une petite-fille et ceux, autour, qui les observent et aiment dans leur totalité, pour ce qu’ils sont. Dizzy c’est aussi une ambiance forte d’alcool, de fumée, de blues, de coups et de gueule de bois, et surtout de tendresse… Chaque chapitre réduit à quelques pages impose sa dose de sensibilité et de bienveillance – à l’image de l’auteur qui sera présente au Festival du livre de Charleroi la semaine prochaine 😉

Dizzy, c’est aussi – ne l’oublions pas – un bel hommage à Blaise Cendrars dont les vers viennent émailler ou inspirer le récit.

Je recommande – à découvrir !

Il y avait cette photo. Elle n’était pas si vieille – à peine une vingtaine d’année, toute une vie pour elle. Accroché à cette photo, derrière, un vieux polaroid. La gamine aux cheveux courts, un peu plus âgée – cinq ou six ans, est à genoux sur un tabouret de piano, la main posée sur le clavier, droite et concentrée. A ses côtés, l’homme est assis, courbé, sur l’imposant instrument. La photo est mauvaise, la pièce enfumée. L’enfant tient l’homme par le cou, sa petite main, ses doigts potelés. A bien y regarder, sur ce vieux cliché, on pourrait presque voir les notes voler. Cette nuit-là, elle se souvient, elles les a vues, les notes, elle les as vu voler.


Dizzy – Claire Veys
Editions 100, 2016, 91 p.
Le site de l’auteur : https://cyves.wordpress.com


Shakti – Stefan Platteau

61qgazz1efl-_sx195_Le mois belge s’ouvre aujourd’hui sur les blogs et j’en profite pour mettre à l’honneur le récit d’un auteur belge que j’apprécie tout-bien-comme-il-faut parce qu’il me donne le goût des littératures de l’imaginaire.

Shakti, c’est le deuxième volet d’une trilogie intitulée Les sentiers des astres. Je n’avais pas pris le temps de vous parler ici de Manesh, le premier volume, et pourtant j’avais adoré m’y plonger et (re-)découvrir les joies de la fantasie – comme on dit en français. Pour résumer très succinctement, on y suivait les aventures d’un certain Manesh, demi-dieu laissé pour mort sur une branche à la dérive sur un vaste fleuve qui pourrait être l’Amazone s’il n’était situé dans un grand nord mythologique. Sauvé des eaux par la joyeuse équipe du barde Fintan Calathyn, Manesh les accompagne dorénavant à bord de leur gabarre dans leur quête du Roi-Diseur.

L’histoire suit son court dans Shakti, les matelots ont débarqué et fuit tant bien que mal à travers une forêt enchantée. Lorsque la nuit tombe et que tout s’apaise, l’heure est propice aux récits de vie. La belle et mystérieuse Shakti, à bord de la gabarre depuis les débuts de l’aventure sur ordre du capitaine et accompagnée de sa toute jeune fille, se livre enfin et dévoile à ses auditeurs son adolescence naïve et mouvementée, ses erreurs, son fardeau…

Stefan Platteau fascine d’abord par son style, riche, élaboré, délicieux pour l’esprit ; ensuite par son imagination débordante, sa capacité à mixer les mythologies du monde entier pour recréer un univers qui lui appartient et dans lequel le lecteur se fond volontiers. Manesh invite à l’empathie, Shakti agace par sa jeunesse insolente. La femme fatale, la courtisane que l’on croyait peut-être prostituée redevient petite fille, adolescente écervelée, ou chamane à la sagesse rudement acquise. Stefan Platteau se joue des clichés, trompe les blasés, construit ses personnages étape par étape, leur donne non seulement une vie et des émotions mais surtout une évolution propre à chacun d’eux.

Chaque tome des Sentiers des astres semble être une amorce pour un monde tellement tellement plus étendu qu’il est difficile de croire que tout tiendra en une trilogie – dont les volumes parallèles commencent d’ailleurs à être publiés avant l’heure avec Le dévoreur que je lirai peut-être… mais après !

En refermant Shakti, j’en redemandais encore et maudissait cette tendance liée aux publications de fantasie à pondre des récits en plusieurs volumes, à faire attendre le lecteur, à tout laisser en suspens jusqu’à l’année prochaine ou celle d’après. Je ne devrais jamais commencer un livre sans m’assurer que tous les volumes ne soient déjà sortis ! Je peste et finalement, vous l’aurez compris, j’adore !

Rien de tel que les premières lignes en guise de mise en bouche…

Le dit de Fintan Calathyn – 1

Seizième nuit

Lichen, humus et bois mort.
J’en ai plein le ventre, les chausses et les genoux. Collés à ma peau, incrustés dans mes pores. Écrasés dans mes fibres.
La pluie d’hiver a lessivé la terre. Le tapis forestier sous mes coudes exhale sa pourriture d’écorce et d’aiguilles ; la mousse regorge d’une humidité froide qui se faufile sous ma chemise lorsque je me presse contre elle, en amant appliqué.
Nous rampons.
Moi et mes deux compagnons de raid, nous tortillons des reins pour nous fondre dans les racines du Vyanthryr. Nous nous faisons plus plats que couleuvres ; à force nous finirons par devenir limon.


Les sentiers des astres II : Shakti – Stefan Platteau
Les Moutons électriques, 2016, 345 p.


Faillir être flingué – Céline Minard

faillir-etre-flingueDans la foulée du Grand jeu et suite à la proposition de lecture commune d’Ingannmic, j’ouvre Faillir être flingué qui m’attend depuis des mois, voire même un peu plus…

Cette deuxième rencontre avec Céline Minard ne s’apparente en rien à la première. Si je devais rapprocher Faillir être flingué d’une autre de mes lectures récentes, je pencherais d’avantage vers Le sillage de l’oubli pour l’ambiance western évidemment, mais aussi pour ses protagonistes nombreux aux personnalités bien trempées et finement développées. Les histoires individuelles s’entrelacent ici les unes dans les autres pour trouver leur cohérence dans le jeu final et je suis bien en peine de vous résumer l’ensemble.

J’ai du mal à exprimer mon ressenti de lecture. Faillir être flingué nécessite une certaine concentration que je n’avais pas ces jours-ci et j’ai le sentiment d’être passé à côté de l’essentiel de la narration. Toutefois, je me suis laissée embarquer plus d’une fois par le récit, les dialogues, le style de l’auteur riche, précis et hyper-visuel. J’aurais volontiers profité de cette fiction confortablement installée dans un fauteuil de cinéma. Les paysages y seraient grandioses à embrasser, le cliquetis des gâchettes accentuerait le suspense, les hordes de chevaux déborderaient l’écran – Valentyne c’est pour toi 😉 – et Sally serait d’autant plus séduisante derrière son comptoir. J’ai ri sincèrement en imaginant ces bourrus cowboys dans leur bain d’eau chaude, j’ai tremblé lorsque la lame froide d’un rasoir a glissé sur ma joue… Je regrette simplement de ne pas avoir eu suffisamment de temps longs et calmes de lecture pour apprécier ce roman à sa juste valeur.


Faillir être flingué – Céline Minard
Editions Payot & Rivages Poche, 2015, 313 p.
Première publication : Editions Payot & Rivages, 2013


 

Dans la mansarde – Marlen Haushofer

cvt_dans-la-mansarde_3985Si ma mémoire est bonne, Dans la mansarde est le quatrième titre que je lis de Marlen Haushofer après Le mur invisible – une de mes lectures-phares, La cinquième année qui prenait la forme d’un recueil de nouvelles, et Nous avons tué Stella, un court roman proche de la nouvelle dans lequel le lecteur suit les pensées d’une mère de famille trompée par son mari avec Stella, leur baby-sitter.
Chaque narrateur de Marlen Haushofer est un personnage féminin, très isolé intérieurement.

Dans la mansarde ne fait pas exception à cette règle. On y suit le quotidien d’une quinquagénaire mère au foyer dont les enfants sont adolescents voire adultes et vivent leurs vies de leur côté. Le récit s’oriente principalement sur la vie de couple et l’entretien de la maison, entrecoupé de souvenirs soulevés par l’arrivée impromptue dans la boîte aux lettres d’extraits de journaux intimes de jeunesse de la narratrice, que cette dernière s’empresse de dissimuler dans un tiroir de meuble de la mansarde, sa pièce maîtresse, son atelier où elle vient régulièrement dessiner des oiseaux.
Le récit s’étire sur une semaine, le temps que chaque extrait de journal soit envoyé, lu et aussitôt détruit.

J’ai adoré Le mur invisible, j’avais la sensation qu’il se dégageait une certaine sérénité de ce livre. A contrario, Dans la mansarde m’a considérablement angoissée et plusieurs jours après l’avoir terminée, cette lecture m’évoque encore un sentiment de malaise. Le style magnétique du Mur invisible n’a pas opéré avec Dans la mansarde – les deux livres ont été traduits par des personnes différentes. Dans Le mur invisible, le détachement émotionnel de la narratrice peut être perçu comme une force qui lui permet de survivre dans un milieu hostile, exempt de toutes relations humaines. La narratrice de Dans la mansarde présente ce même trait de caractère alors qu’elle est entourée de sa famille et de ses amis. Elle observe sa vie, son entourage, ses proches, avec un détachement quasi pathologique. Elle exprime régulièrement son absence de sentiments – ni haine, ni amour – son acceptation d’un ennui certain, cette routine incessamment répétée. La narratrice expulse sa rage sous-jacente dans les tâches ménagères de la maison qu’elle ne déléguerait à personne d’autre, quand bien même son mari lui proposerait d’embaucher un femme de ménage.
Toutefois, le discours lisse et presque monotone entraîne progressivement, suite à la lecture des souvenirs reçus par voie postale – on ne sait et ne saura jamais comment – , une discrète évolution dans la psyché de la narratrice.

Dans la mansarde – Marlen Haushofer
roman traduit de l’allemand par Miguel Couffon
Actes Sud , 1987, 226 p.
Première publication : Die Mansarde, Claassen Verlag GmbH, 1969


Challenges concernés

 

Le poids de la neige – Christian Guay-Poliquin

9782924519295_originalNous sommes dans un village isolé, dans une région froide. L’électricité a été coupé depuis plusieurs mois pour des raisons inconnues et l’hiver est là. Le narrateur a été grièvement blessé dans un accident de voiture dans lequel il a perdu son père. Il est confié au bon soin de Matthias, un bonhomme parfois acariâtre qui ne pense qu’à quitter la vieille maison qu’il squatte pour rejoindre sa femme mourante à l’hospice. S’il n’était le poids de la neige, la pénurie d’essence, les kilomètres à parcourir dans un désert glacé…

Ce récit lent mais extrêmement magnétique m’a fortement fait penser au Mur invisible de Marlen Haushofer (encore !) : isolement, milieu montagneux, mode de vie rudimentaire, catastrophe indéfinie, point de vue interne du narrateur à la première personne, séparation des proches, attente, espérance bousculée. S’y ajoute quelques rares relations humaines qui viennent intensifier et questionner l’ensemble. Lentement, les liens entre les différents protagonistes se tissent, se resserrent, se desserrent au gré du quotidien précaire. Il ne se passe en acte presque rien d’important et pourtant en refermant l’ouvrage tout est dit. Le poids de la neige est un passage, une étape, un deuil achevé, un nouvel élan…
Un livre à lire, en somme. Et un auteur à suivre (pour peu qu’il s’exporte en France).

Les premières lignes pour le plaisir :

1. Le labyrinthe

Regarde. C’est un lieu plus vaste que toute vie humaine. Celui qui tente de fuir est condamné à revenir sur ses pas. Celui qui pense avancer en ligne droite trace de grands cercles concentriques. Ici, tout échappe à l’emprise des mains et du regard. Ici, l’oubli du monde extérieur est plus fort que toute mémoire. Regarde encore. Ce labyrinthe est sans issue. Il s’étend partout où se posent nos yeux. Regarde mieux. Aucun monstre, aucune bête affamée ne hante ces dédales. Mais on est pris au piège. Soit on attend que les jours et les nuits aient raison de nous. Soit on se fabrique des ailes et on s’évade par les airs.


Le poids de la neige – Christian Guay-Poliquin
La peuplade, 2016, 296 p.


Challenges concernés

Challenge multi-défis 2016 : Un livre d’un auteur québécois