Archives pour la catégorie Poésie
A thing of beauty is a Joy for ever
Je suis un gardeur de troupeaux.
IX
Je suis un gardeur de troupeaux.
Le troupeau ce sont mes pensées
et mes pensées sont toutes des sensations.
Je pense avec les yeux et avec les oreilles
et avec les mains et avec les pieds
et avec le nez et avec la bouche.
Pensez une fleur c’est la voir et la respirer
et manger un fruit c’est en savoir le sens.
C’est pourquoi lorsque par un jour de chaleur
je me sens triste d’en jouir à ce point,
et couche de tout mon long dans l’herbe,
et ferme mes yeux brûlants,
je sens tout mon corps couché dans la réalité,
je sais la vérité et je suis heureux.
Le gardien de troupeaux, Fernando Pessoa
Merci Hélèna.
J’ai récemment participé à une chaîne poétique qui me permet de recevoir des poèmes envoyés (la plupart du temps) par des inconnus. J’ai choisi de vous les partager ici.
Vague, perdue au fond des sables monotones…
Ville morte
Vague, perdue au fond des sables monotones,
La ville d’autrefois, sans tours et sans remparts,
Dort le sommeil dernier des vieilles Babylones,
Sous le suaire blanc de ses marbres épars.
Jadis elle régnait ; sur ses murailles fortes
La Victoire étendait ses deux ailes de fer.
Tous les peuples d’Asie assiégeaient ses cent portes ;
Et ses grands escaliers descendaient vers la mer…
Vide à présent, et pour jamais silencieuse,
Pierre à pierre, elle meurt, sous la lune pieuse,
Auprès de son vieux fleuve ainsi qu’elle épuisé,
Et, seul, un éléphant de bronze, en ces désastres,
Droit encore au sommet d’un portique brisé,
Lève tragiquement sa trompe vers les astres.
Albert Samain, Au jardin de l’infante
Merci Maude.
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Mon cher petit garçon…
Mon cher petit garçon,
T’écrire ces quatre mots me bouleverse. Ils rendent si réel l’homme que tu es, en cet aujourd’hui qui est le tien, quand, dans celui qui est le mien, tu n’es encore qu’un enfant.
Cette lettre je l’adresse donc à l’homme que tu n’es pas encore pour moi, mais que tu es devenu puisque te voilà en train de la lire. Tu l’auras trouvée sans doute par hasard sur cette clé où je consigne en secret les trésors de ton enfance. J’ignore l’âge que tu as, j’ignore ce qu’est devenu le monde, j’ignore même si ces clefs fonctionnent encore mais j’ai espoir que, la découvrant, tu trouveras un moyen de l’ouvrir.
Et par la magie de l’écriture, voici que cette lettre devient la fine paroi qui nous relie, et entre l’aujourd’hui où je t’écris – où tu commences à déchiffrer les phrases, où tu as peur dans le noir, où tu crois à la magie – et celui où tu me lis, chaque mot de ma lettre a gardé sa présence ; si à l’instant j’écris je t’aime, voilà qu’à ton tour, des années plus tard, tu lis je t’aime. Et que t’écrire d’autre que je t’aime, alors que nous vivons ce que nous vivons en ce confinement dont tu n’as peut-être plus qu’un vague souvenir ? Quoi dire de plus urgent que l’amour ?
En ces journées étranges où rode une mort invisible et où le monde va vers son ravin, un ravin qui semble être l’héritage laissés aux gens de ta génération, un père, plus que de raison, s’inquiète pour son fils. Je te regarde. Tu dessines un escargot. Tu lèves la tête et tu me souris. « Qu’est-ce qu’il y a papa ? » Rien mon garçon.
Je ne sauverai pas le monde. Mais j’ai beau ne pas le sauver, je peux du moins te désapprendre la peur. T’aider à ne pas hésiter le jour où il te faudra choisir entre avoir du courage ou avoir une machine à laver. T’apprendre surtout pourquoi il ne faudra jamais prononcer les mots de Cain et, toujours, rester le gardien de ton frère. Quitte à tout perdre. J’ignore d’où tu me lis, ni de quel temps, temps de paix ou temps de guerre, temps des humains ou temps des machines, j’espère simplement que ton présent est meilleur que le mien. Nous nous enterrons vivants en nous privant des gestes de l’ivresse : embrassades, accolades, partage et nul ne peut sécher les larmes d’un ami.
Mais si ton temps est pire que celui de ton enfance, si, en ce moment où tu me lis, tu es dans la crainte à ton tour, je voudrais par cette lettre te donner un peu de ce courage dont parfois j’ai manqué et, repensant à ce que nous nous sommes si souvent racontés, tu te souviennes que c’est la bonté qui est la normalité du monde car la bonté est courageuse, la bonté est généreuse et jamais elle ne consent à être comme une embusquée, qui, à l’arrière vit grâce aux sang des autres. Nul ne peut expliquer la grandeur de ceux qui font la richesse du monde. Donne du courage autour de toi et n’accepte jamais ce qui te révulse.
Quant à moi : je t’aime. Ton père t’aime. Sache cela et n’en doute jamais.
Ton père.
Wajdi Mouawad
Merci Carole !
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Est-il mort déjà…
Elle s’accroche partout…
Elle s’accroche partout,
Aux murs, sur un fil,
Se faufile dans les interstices
S’entremêle avec celles et ceux qui l’entourent.
Bientôt elle laisse s’échapper
De douces pétales violacées
Qui viendront tapisser le sol
Se déploient alors avec majesté
Des feuilles d’un vert pâle
Qui vont former de grandes lianes
Et grandir jusqu’à toucher le ciel
Elles permettront l’été venu
De s’abriter du soleil brûlant
Et de profiter ainsi
D’une liberté retrouvée
Je me nomme la glycine
Merci Franck !
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Dans les ténèbres qui m’enserrent…
Dans les ténèbres qui m’enserrent,
Noires comme un puits où l’on se noie,
Je rends grâce aux dieux quels qu’ils soient,
Pour mon âme invincible et fière.
Dans de cruelles circonstances,
Je n’ai ni gémi ni pleuré,
Meurtri par cette existence,
Je suis debout bien que blessé.
En ce lieu de colère et de pleurs,
Se profile l’ombre de la mort,
Je ne sais ce que me réserve le sort,
Mais je suis et je resterai sans peur.
Aussi étroit soit le chemin,
Nombreux les châtiments infâmes,
Je suis le maître de mon destin,
Je suis le capitaine de mon âme.
Invictus, de William Ernest Henley, écrit en 1888
Merci Claire.
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Gratitude – Charles Juliet

« Ce poète américain qui s’adressait à moi usait d’une langue simple, d’un ton direct. Avec naturel, sincérité, bonhomie, il me parlait de choses proches et quotidiennes sur lesquelles mon regard ne s’était jamais posé. Tant qu’on ne s’est pas défait des illusions, des idées fausses, on s’imagine que ce que l’on cherche se situe en un lointain inaccessible. Ce poète qui précisait qu’il n’était pas venu pour « broder », il me montrait le monde, m’en dévoilait les richesses, me persuadait qu’on pouvait l’aimer. Tout ce qu’il affirmait avait l’allure d’une évidence. » p. 75
« J’aime atteindre en moi une région de grand silence. C’est en cet instant que peut naître un poème. Pour que ce silence s’établisse, il faut que la pensée se vide de ce qui nourrit son activité. Il faut également que je n’aie ni intention, ni désir, ni attente. Il faut encore que je m’abandonne, me laisse dériver. Alors dans ce grand calme, ce vaste silence intérieur, se fait entendre le doux murmure. » p. 162
« Pourquoi écrire ? Pourquoi tenir ce Journal ? Pourquoi passer des heures à rassembler des mots qui un jour n’auront plus d’existence ? Ces questions sont souvent là, qui me harcèlent. Mais je n’ai pas à chercher des réponses. Le besoin d’écrire commande et je lui obéis. Dès lors, je ne sais plus que ces mots que je rédige disparaîtront, qu’ils ne pourront sauvegarder l’essence de ce que je suis, de ce que je vis. » p. 386
Gratitude : journal IX 2004-2008 – Charles Juliet
P.O.L. , 2017, 396 p.
« Ma route est d’un pays où vivre me déchire… » – Serge Airoldi
Le vers en titre de ce livre magnifique n’est pas de Serge Airoldi. Ce dernier l’a emprunté à Edmond Henri-Crisinel, poète suisse de la première moitié du XXème siècle. Le contenu du livre n’en est pas moins à la hauteur de cette déchirante mise en bouche. La route que nous décrit Serge Airoldi suit un « fleuve tout en nuit » du Gers de l’enfance au pays d’Adour, lieu de vie de l’auteur, et dont les détours traversent les continents. De souvenirs en paysages, de paysages en rencontres, de rencontres en ravages, le lecteur chemine avec Serge Airoldi dans sa maison d’enfance, dans les maquis de la seconde guerre mondiale, dans les ventes aux enchères où l’on dilapide les biens d’une personne aimée, dans des jardins fleuris près desquels paissent les troupeaux de vaches ou de chevaux. Le long de l’Adour ou au pied du Ventoux – à l’instar de Philippe Jaccottet dans ses Notes du ravin – , devant les enfants rendus aveugles de Palestine ou dans la baie de Tunis, dans les pas de Magellan ou de Pigafetta sur les routes d’Orient, d’observateur du passé ou de l’instant, l’auteur et son lecteur se fondent jusqu’à devenir une part même du paysage ou du tableau – jusqu’au dépaysement.
Extrait :
« Regardant maintenant l’azur intense du golfe et de l’autre côté du sommet , embrassant le même prodige, plus brumeux pourtant, de la baie de Tunis, projeté dans ce paysage, je me noie d’Histoire. J’avale d’un coup de gorge l’horizon de Magellan, d’Hannibal, des marins du monde, je vois le ballet des oiseaux de mer dans le ciel, eux aussi m’hypnotisent, ce sont les oiseaux de Braque.
Regardant cet avenir tout bleu, effrayé par tant de lucidité que la clarté impose, je suis dans une mort probable, étouffé par le trop plein des séries humaines, l’adieu aux choses oubliées derrière moi,
Je lis Les bêtes de Federigo Tozzi, Tozzi questionne : Quel pourrait être le point où l’azur s’est arrêté ? »
« Ma route est d’un pays où vivre me déchire… » – Serge Airoldi
Fario, 2014, 110 p.