Correspondance avec León Ostrov 1955-1966 – Alejandra Pizarnik

9782361660642Cette femme me fascine. Par ses poèmes dont je vous faisais part ici ou . Et par ces lettres dénichées à L’étourdi de Saint-Paul. Alejandra Pizarnik s’y adresse à son psychanalyste resté à Buenos Aires alors qu’elle s’exile momentanément à 18 ans à Paris pour trouver sa voie, échapper à sa mère. Devenir elle-même, et non plus « la fille de ». Elle y fait preuve d’une grande lucidité dans un style admirable et magnétique qui m’interdit tout décrochage. Elle pense à Kafka, George Bataille, rencontre Simone de Beauvoir, Marguerite Duras. Petite fille perdue parmi ces grands noms, elle n’a aucune conscience de sa propre grandeur, se bat contre elle-même, ses démons, ses terreurs. Se réjouit de peu, tente de se conformer au monde, s’amuse de voir ses textes traduits en arabe ou en allemand. Les quelques réponses de León Ostrov l’invitant à penser sa relation à sa mère, son héritage juif, les traumatismes familiaux de la Shoah, me semblent dérisoires. Les angoisses de la poétesse s’ancre à mon sens bien plus profondément que ces aléas historiques ou familiaux – aussi terribles et complexes soient-ils. Sans que je ne sois en mesure de définir ce point d’ancrage. Ces lettres me questionnent sur la solitude ressenti par certains grands auteurs – à l’instar de Pessoa ou Kafka – qui ont marqué leur siècle, parfois même de leur vivant mais sans jamais bénéficier eux-mêmes de ce prestige ou du réconfort et des réponses qu’ils prodiguent allègrement à leurs lecteurs.

Lettre n°11

[Lettre envoyée depuis Paris le 22 février 1961]

Cher León Ostrov,

Inutile d’expliquer mes silences. Au fond de moi sommeille toujours une attente première d’un changement magique. (Une nuit tous les miroirs finiront par se briser, effaceront celle que je fus et lorsque je me réveillerai je serai l’héritière de mon cadavre. )

Je suis si fatiguée de mes vieilles peurs et terreurs que je n’ose même pas vous en faire part. Vous vous souvenez de ma phrase ou du refrain de tous mes journaux : « Entrer dans le silence » ?

J’ai travaillé dur au bureau ces derniers mois. En témoignent mon cœur affaibli et ma fatigue perpétuelle. J’ai même pensé que j’étais mourante. Je me suis dis « Tu te consumes ». […]

Je m’arrête ici mais je pourrais presque vous citer toute la correspondance tant chaque phrase recèle un trésor, un témoignage de ce combat perpétuel contre l’absurde, contre le quotidien qui vient envahir ces précieux silences. Je poursuis la rencontre par la lecture des journaux de l’auteur.


Correspondance avec León Ostrov 1955-1966 – Alejandra Pizarnik
traduit de l’espagnol par Mikaël Gómez Guthart
préface de Edmundo Gómez Mango
Editions des Busclats, 2016, 208 p.


Challenges concernés

Challenge Multi-défis 2016une œuvre épistolaire

8 réflexions au sujet de « Correspondance avec León Ostrov 1955-1966 – Alejandra Pizarnik »

    1. Moglug Auteur de l’article

      J’ai eu de très très belles lectures le mois dernier, ça s’en ressent dans mes billets visiblement, tant mieux ! Je suis contente que tu y trouves ton compte. 🙂

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  1. Marine

    Elle m’angoisse, car elle me renvoie trop de choses que je comprends, et que cela me fait peur… Je crois que je préfèrerais ne pas la comprendre, cela me rassurerait sur moi-même ^^
    Sinon, superbe écriture.

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    1. Moglug Auteur de l’article

      Oui elle me fait un peu cet effet aussi. J’ai terminé son journal et suis contente de l’avoir lu mais je crois que je vais faire une pause sur cette auteur dans l’immédiat. Ou me limiter à ses poèmes qui permettent d’externaliser tout ce qui est vécu. Même si c’est terriblement angoissant, je crois que j’ai besoin de passer par ce type de lectures pour dépasser l’état d’esprit qui y est décrit. Kafka me fait le même effet. Et maintenant, je me sens plus disponible pour des auteurs comme Furukawa, plus ouverts à la vie, dont je parlerais prochainement ici (j’espère ! il faut que je prenne le temps…).

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