Par bribes denses et délectables, Fernando Pessoa livre les pensées quotidiennes de son hétéronyme Bernardo Soares, comptable en mal d’écrire, à la vie monotone et à l’esprit hyperactif. Il dresse une apologie du « ne rien faire » puisque tout est néant, dans un journal qui se voudrait anodin, dans un style qui relève du chef-d’œuvre. Il affronte les plus grandes angoisses de l’homme et s’en accommode dans une quête inassouvie de sérénité. C’est un livre que l’on aimerait garder pour soi, qui se lit dans la durée et dont il est difficile de parler. Entre saisissement devant la beauté du texte, mouvement de révolte devant l’acceptation du protagoniste, admiration devant cette même acceptation, prise de conscience face à cette extrême lucidité, Le livre de l’intranquillité, autrement nommé Autobiographie sans événements, invite le lecteur à la solitude et à l‘introspection, à la mise en retrait du fonctionnement du monde, à la mise en lumière de sa vie intérieure. Il étouffe parfois, ébranle surtout les élans vitaux, les éveille ou les annihile, difficile à dire.
En parler d’avantage revient à parler de soi, au plus intime. Je capitule.
Les premières lignes ont aujourd’hui cent ans, un mois, et un jour :
Lettre à Mário de Sá-Carneiro
14 mars 1916
Je vous écris aujourd’hui, poussé par un besoin sentimental – un désir aigu et douloureux de vous parler. Comme on peut le déduire facilement, je n’ai rien à vous dire. Seulement ceci – que je me trouve aujourd’hui au fond d’une dépression sans fond. L’absurdité de l’expression parlera pour moi.
Je suis dans un de ces jours où je n’ai jamais eu d’avenir. Il n’y a qu’un présent immobile, encerclé d’un mur d’angoisse. La rive d’en face du fleuve n’est jamais, puisqu’elle se trouve en face, la rive de ce côté-ci ; c’est là toute la raison de mes souffrances. Il est des bateaux qui aborderont à bien des ports, mais aucun n’abordera à celui où la vie cesse de faire souffrir, et il n’ai pas de quai où l’on puisse oublier. Tout cela s’est passé voici bien longtemps, mais ma tristesse est plus ancienne encore.
Le livre de l’intranquillité de Bernardo Soares – Fernando Pessoa
traduit du portugais par Françoise Laye
Présenté par R. Bréchon et E. Lourenço, avec une introduction de R. Zenith
Christian Bourgois, 1999, 611 p.
Première publication : Livro do Desassossego por Bernardo Soares, 1982
Challenges et rendez-vous
Lecture commune avec Ingannmic
Challenge Multi-défis 2016 : un classique étranger
Challenge Pavés 2015-2016
Celui-là, il me le faut absolument.
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C’est un pavé ! Il me coûterai plus cher en frais de port qu’à l’achat simple…
Mais si tu peux te le procurer n’hésite pas !
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T’inquiète pas, je le note pour mes achats estivaux en France 🙂
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Celui-ci et d’autres que tu conseilles d’ailleurs… 🙂 Grâce à toi je continue à avoir des envies littéraires, parce que ce ne sont pas les rayons du Néo Luxor qui vont me garder connectée à la lecture !
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Complètement d’accord, c’est un livre que je garde précieusement dans ma bibliothèque, et vers lequel je reviendrai sans doute souvent… ton billet est certes court, mais très parlant, je suis persuadée qu’il donnera envie à beaucoup..
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Merci, je l’espère aussi. 🙂
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Tu donnes envie et j’aime beaucoup Pessoa mais pas de pavés en ce moment, je n’ai vraiment pas le temps (c’est dommage) mais je le lirai un jour, j’avais déjà noté ce titre magnifique ! 😉
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Ce livre est très dense et pour être honnête je te déconseille de le lire de manière linéaire. Tu peux l’ouvrir un jour, lire un aphorisme ou deux, et le refermer pour plusieurs semaines, en parallèle d’autres lectures plus légères. Je l’ai lu dans le cadre d’une lecture commune avec Ingannmic, donc de manière relativement suivie, mais il m’a fallu des semaines pour le terminer. L’idéal je crois c’est encore de prolonger cette lecture sur une année (ou sur une période vraiment longue) et de le savourer par petite touche.
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Merci du conseil Moglug, je le fais avec certains livres qui se picorent ! C’est noté ! 😉
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Je l’avais loué à la bibliothèque après ma découverte du Gardeur de troupeau et puis, je n’ai fait que le feuilleter… Je crois que c’est un livre qu’il faut acquérir, pour y revenir régulièrement, qui semble difficile à lire d’une traite… Mais du peu que j’en ai feuilleté, j’en garde un souvenir éblouissant.
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En effet, je ne me serais pas vu l’emprunter pour le lire… Il vaut mieux l’acheter et le feuilleter comme tu le dis très justement.
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Un classique que je n’ai jamais lu. J’ai étudié Pessoa à l’université il y a bien longtemps, j’avais été marquée par son écriture et ses étranges « hétéronymes »… le genre d’auteur qui ne laisse pas indifférent !
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