Enfin je tiens un livre pour la dernière catégorie du Challenge Variétés 2015 – « Sonnez trompettes ! Flottez confettis ! » : un livre publié l’année de ma naissance. C’est aussi l’occasion de sortir de mes étagères un livre qui commençait à prendre la poussière et de découvrir – il était temps ! – Thomas Bernhard et son légendaire cynisme. Je ne sais pas si ce choix était le plus judicieux pour passer le cap de la Saint-Sylvestre mais il est certain qu’il en valait le détour. Pour vous resituer le contexte, ce récit rapporte le long monologue d’un critique d’art, Reger, du point de vue de son interlocuteur, Atzbacher, le narrateur. Assis devant le tableau de L’homme à la barbe blanche du Tintoret, Reger déverse sans discontinuer son aigreur et sa déception des grands maîtres du Musée d’art ancien de Vienne, où se déroule la rencontre, mais aussi d’un grand nombre de penseurs, écrivains, philosophes, etc. Il s’épanche aussi sur le gardien de musée et sa famille, les professeurs d’histoire de l’art, le musée, sa propre femme, les hôtels où il aime se rendre, les toilettes de Vienne, son appartement, et tout ce qui fait son quotidien. Il s’exprime dans un incessant va-et-vient de répétitions et de rabâchements qui ennuiera probablement certains lecteurs mais qui pour ma part, m’a invité à poursuivre la lecture, à creuser encore et encore la rancune du protagoniste.
J’ai lu ce roman en trois temps qui n’ont rien à voir avec sa structure. La première phase a été pour moi jubilatoire : cette mauvaise foi ridicule et assumée de Reger envers tous les grands philosophes que je n’ai pas lu, cette déconstruction des grands penseurs européens sur lesquels je n’ai finalement aucun avis, est tellement saugrenue qu’elle m’a bien fait rire. Ensuite, les vacances de Noël et l’effervescence familiale aidant j’ai eu beaucoup de mal à reprendre ma lecture. Je n’ai pas pu y consacrer les longues plages horaires et la concentration que le style de l’auteur nécessite, j’ai partiellement décroché. J’ai repris le livre début janvier, plus au calme, j’ai pu retrouver le fil de la narration et comprendre l’origine du cynisme de Reger qui s’avère ne pas être gratuit. Une tristesse et un désespoir sans fond ont laissé place à la jubilation première. Ce texte est magnifique et sans réponse. Mais était-ce bien nécessaire de débuter 2016 par tant de vanité avouée ?
Tout de même, tous ces peintres n’étaient rien que des artistes d’Etat complètement hypocrites, qui ont répondu au désir de plaire de leurs clients, Rembrandt lui-même ne constitue pas là une exception, dit Reger. Voyez Vélasquez, rien que de l’art d’Etat, et Lotto, et Giotto, uniquement de l’art d’Etat, toujours, comme ce terrible Dürer, précurseur et prédécesseur du nazisme, qui a mis la nature sur la toile et l’a tuée, cet effroyable Dürer, comme dit très souvent Reger, parce qu’en vérité il déteste profondément Dürer, cet artiste nurembergeois de la ciselure. Reger qualifie d’art de commande d’Etat les tableaux accrochés ici aux murs, même l’homme à la barbe blanche en fait partie.
Maîtres anciens : comédie – Thomas Bernhard,
Traduit de l’allemand par Gilberte Lambrichts
Gallimard, 2010, 255 p.
Première traduction française : 1988
Première publication : Alte Meister : Komödie, Suhrkamp verlag, 1985 (je suis trahie!)
Challenges concernés
Oui tu es trahie, mais j’ai l’impression que c’est un bon choix de lecture (il a dû en paraître de pires cette année là)
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C’est le seul de cette année là que j’avais chez moi, et c’est vrai qu’il vaut le coup. 🙂
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j’aime assez l’auteur même si je n’ai pas accroché à tous ses romans, je note celui là
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Quels romans as-tu préféré ? J’aimerais bien lire d’autres de ses titres, mais je ne sais pas encore vers lesquels m’orienter.
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Un auteur que je n’ai pas encore eu la chance de fréquenter. Je ne suis pas particulièrement fan du cynisme, ou alors à petite dose. Du coup j’hésite.
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Ce n’est pas le choix de bons livres qui manque. Si tu n’aimes pas le cynisme, ne perds pas ton temps à mon avis. Pour sa défense, je trouve l’histoire très belle. Ce cynisme provient d’une grande douleur, il n’est pas gratuit, cela change un peu la donne.
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Ça ne m’attire pas spécialement en ce moment mais ce que tu en dis m’interroge et je le note pour une période plus faste, livresquement parlant ! 😉
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C’est la difficulté de ce livre à mon avis : il faut trouver le bon moment pour ne pas se laisser submerger par tant d’aigreur…
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Tout est vain, finalement…..
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Arf, j’espère pas… En l’occurrence, l’amour que le narrateur porte à sa femme ne l’était pas. 😉
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je ne crois pas avoir lu cet auteure, à l’occasion peut-être!
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Il me semble qu’il fait partie des classiques mais il faut aimer son style.
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Tiens, je lirai bien un Thomas Berthard, j’en ai un sur une pile également qui augmente, et augmente … Bon weekend 😉
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Bonne lecture ! Tiens moi au courant 😉 De quel titre s’agit-il ?
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Si tu lis du théâtre, peut-être aimeras-tu Elisabeth II du même auteur. J’y ai trouvé (et détesté, personnellement) la même mauvaise foi, l’aigreur face à la modernité, un certain désespoir dans un monologue également.
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Je note pour Elisabeth II. Je lis peu de théâtre mais je ne désespère pas de trouver chaussure à mon pied dans ce genre littéraire. Je trouve ce mélange aigreur/désespoir très dérangeant mais je ne peux pas dire que je déteste, vraiment pas… J’ai encore du mal à nommer ce que j’en pense. Je me retrouve toujours un peu (beaucoup trop) dans tous ces textes qui traitent de l’absurdité de la vie et de la condition humaine.
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Et Molière, et Racine : de l’art d’Etat ! Il a raison ce Reger et je pense qu’il pourrait bien me plaire…
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