Je ne trouve pas les mots. J’attends depuis fin août 2015 de pouvoir poser mes impressions de lecture sur Une trop bruyante solitude mais ceux-ci m’échappent. Les quelques phrases notées dans mon journal de lecture sont bien trop intimes pour être rapportées ici ; vous faire un exposé académique de l’origine clandestine de cette publication tchèque dans le contexte de la guerre froide me semble dérisoire – et j’en suis bien incapable. Exprimer simplement mon ressenti relève déjà du défi. Mon billet sera nécessairement bien en-deça de tout ce qu’il y aurait à dire de ce court récit.
Pour le résumer rapidement, Hanta travaille chaque jour de sa vie à recycler de « vieux papier » à l’aide d’une presse manuelle : il transforme en balle décoratives les plus grandes œuvres littéraires que l’humanité a produite, censurées par le régime totalitaire nazi. L’histoire se déroule pendant la seconde guerre mondiale et sera publiée clandestinement en République Tchèque en 1976 alors que le pays souffre du totalitarisme communiste. Cela dit, plus qu’un acte de résistance politique, Une trop bruyante solitude condense en quelques 121 pages toute la noirceur de la condition humaine, celle que l’on retrouve dans le Joseph K. de Franz Kafka ou dans le prisonnier des Carnets du sous-sol de Dostoïevski. L’effet répulsif qu’a provoqué en moi les premières descriptions du quotidien de Hanta a bientôt laissé place à la compassion puis à l’empathie la plus forte qui soit devant ce (non-)combat face à l’inévitable. La résistance a-t-elle seulement eu lieu ? La vie de Hanta n’est-elle pas qu’une lente capitulation ? Ou, au contraire, un énorme cri de libération intérieure en écho à l’oppression physique de l’environnement externe ?
Je notais, ce 23 août dernier à propos d’Une trop bruyante solitude : « J’aime cette sensation qu’une porte interne s’est ouverte. » sans jamais être capable de définir cette ouverture.
Les premières lignes du roman :
« Voilà trente-cinq ans que je travaille dans le vieux papier, et c’est toute ma love story. Voilà trente-cinq ans que je presse des livres et du vieux papier, trente-cinq ans que, lentement, je m’encrasse de lettres, si bien que je ressemble aux encyclopédies dont pendant tout ce temps j’ai bien comprimé mes trois tonnes ; je suis une cruche pleine d’eau vive et d’eau morte, je n’ai qu’à me baisser un peu pour qu’un flot de belles pensées se mettent à couler de moi ; instruit malgré moi, je ne sais même pas distinguer les idées qui sont miennes de celles que j’ai lues. C’est ainsi que pendant ces trente-cinq ans, je me suis branché au monde qui m’entoure : car moi, lorsque je lis, je ne lis pas vraiment, je ramasse du bec une belle phrase et je la suce comme un bonbon, je la sirote comme un petit verre de liqueur jusqu’à ce que l’idée se dissolve en moi comme l’alcool ; elle s’infiltre si lentement qu’elle n’imbibe pas seulement mon cerveau et mon cœur, elle pulse cahin-caha jusqu’aux racines de mes veines, jusqu’aux radicelles des capillaires. Et c’est comme ça qu’en un seul moi je compresse bien deux tonnes de livres ; mais pour trouver la force de faire mon travail, ce travail béni de Dieu, j’ai bu tant de bières pendant ces trente-cinq ans qu’on pourrait en remplir une piscine olympique, tout un parc de bacs à carpes de Noël. Ainsi, bien malgré moi, je suis devenu sage : je découvre maintenant que mon cerveau est fait d’idées travaillées à la presse mécanique, de paquets d’idées. »
Une trop bruyante solitude – Bohumil Hrabal
traduit du tchèque par Anne-Marie Ducreux-Palenicek
Pavillon Poche, Robert Laffont, 2007, 121 p.
Première traduction française : Robert Laffont, 1983
Première diffusion clandestine : Prilis hlucna samota, 1976
Challenges concernés



Ton billet est d’une sincérité qui me touche énormément. Et je n’ai qu’une envie, me procurer ce texte au plus vite !
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Merci pour ton message. J’ai eu beaucoup de mal à écrire ces quelques lignes, j’ai pris des notes beaucoup plus longues de manière personnelle que je ne pouvais pas décemment retranscrire ici. L’ami qui m’a conseillé ce livre m’en parlait comme l’un des chef-d’oeuvre du XXème siècle et je pense qu’il n’est vraiment pas loin de la vérité. Tu as tout à gagner à découvrir ce texte me semble-t-il, mais il faut garder à l’esprit qu’il est très dur quant au message véhiculé.
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Je me dois de le lire mais… je ne sais pas si c’est le bon moment…
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Il vaut mieux être en forme et ne pas avoir le moral trop fragile pour le lire… Je crois que je ne pourrais pas le lire en ce moment avec toutes les sollicitations morbides que nous inflige l’actualité par exemple… Même si ça n’a rien à voir.
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C’est exactement pour cela que je ne pourrais pas le lire en ce moment. Même si ça n’a rien à voir. Parce que dans le fond ça a quand même un peu à voir.
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un auteur qui me reste à découvrir et tu te fais tentatrice même avec tes précautions d’usage
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Bohumil Hrabal est clairement un auteur à découvrir et Une trop bruyante solitude une oeuvre incontournable du XXème siècle. On me l’a présenté comme tel, et j’en suis aussi convaincue.
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Oh cette nouvelle participation au challenge me touche l’âme… Ton billet ,comme le dit justement Jérôme un peu plus haut, est fort en sincérité. Je pense que je le lirai.
Merci.
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Oulala je suis désolée, je ne voulais pas atteindre à ce point les lecteurs éventuels de ce billet. Si tu lis ce texte, je serais très curieuse de lire ton avis. C’est un roman qui, potentiellement, suscite des échanges très riches (et éventuellement très intimes).
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Vous pouvez découvrir ce texte mis en scène, à Lyon, au Théâtre des Marronniers, du 2 au 11 avril 2016!
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Un très grand merci pour l’info ! Je vais me renseigner pour avoir des places !
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Je relis ce commentaire et en profite pour vous remercier à nouveau pour l’info. Je suis allée voir la prestation au Théâtre des marronniers. C’était une très belle performance très difficile à mettre en scène j’imagine et très réussie !
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