Notre école a-t-elle un cœur ? – Evelyne Martini

De fil en aiguille, de Religions : les mots pour en parler à Franc-parler, du christianisme dans la société d’aujourd’hui, en déroulant la bobine « François Bœspflug », j’ai découvert le travail d’Evelyne Martini et son essai sur l’éducation : Notre école a-t-elle un cœur ?

Je l’avais repéré depuis plusieurs mois déjà sans avoir pris le temps de le lire. Le Challenge ABC Critiques est l’occasion de sauter le pas.

Evelyne Martini expose ici honnêtement, sincèrement et sans langue de bois, les conclusions d’une vie d’observations et de travail en tant que professeur de Lettres et inspectrice d’académie. L’ensemble de son ouvrage repose sur une question : Quel humain voulons nous former ? Autrement dit, sur quelle vision de l’homme repose les valeurs de l’école ? Pour répondre à cette question, elle alterne entre les exposés sur l’éducation et ses souvenirs d’enfance, orchestrés autour de trois chapitres.

Dans un premier temps, elle fait le point sur les conséquences des défaillances du système scolaire privilégiant d’avantage la compétition au respect de l’individu : élèves démotivés, malaise et lassitude des professeurs isolés.

Le deuxième point se concentre sur les tabous de l’école, la peur de l’enseignement des religions, le positivisme et sa nécessité d’objectivité permanente. Le ressenti personnel n’a pas sa place : en cours de littérature on détricote les textes pour analyser le plus finement possible les constructions grammaticales, mais on ne prend plus le temps d’apprendre à les aimer. Toute la magie du texte disparait, les questions les plus simples sont mises de côté parce qu’a priori trop naïves, au risque de passer systématiquement à côté de l’essentiel. Evelyne Martini cite en exemple un professeur – par ailleurs très compétent – qui avait éludé la question de son élève à propos du conte Barbe Bleue : « Madame, pourquoi il les tue ? ».

Le dernier chapitre intitulé « Ramener au centre » est l’occasion pour l’auteur de faire l’éloge de la concentration, de la morale, des disciplines en tant que telles, de souligner les méfaits de la dispersion et de la transdisciplinarité à l’école, de nuancer l’intérêt du numérique dans l’apprentissage et de régler ses comptes avec Harry Potter !

A propos de l’importance d’une attention soutenue, en se remémorant ses élèves planchant sur leur copie, elle écrit :

« Ils ont eu accès à cette dépossession de soi que l’intérêt porté au travail, y compris à l’école, offre comme une grâce. Quelques minutes précieuses enlevées au temps pauvre, agité et parfois triste de leur quotidien »

Je retiens de ce court essai la diversité des sujets abordés et la très grande liberté que s’autorise l’auteur. Je ne peux pas dire que j’approuve l’ensemble du discours, mais les questions et les arguments sont soulevés et proposent un vrai support pour démarrer une réflexion de fond sur ce que nous attendons de l’école et ce que nous souhaitons pour l’éducation de nos enfants : la compétition dès le plus jeune âge ou la possibilité de se construire intérieurement et socialement en respectant la particularité de chaque individu ?

En tant que professeur de Lettres, Evelyne Martini ne nous propose pas une décomposition technique des textes, elle nous invite à relire un poème de Blaise Cendrars, Quand tu aimes, il faut partir…, qu’elle joint à son essai. A travers l’anecdote de l’un de ses étudiants, elle nous rappelle comment certains textes parfois nous accrochent et nous poursuivent toute une vie.

A sa suite, je me remémore un texte de Charles Baudelaire découvert au lycée, au programme du baccalauréat – et avec lequel j’ai dû me défendre le jour J. Chaque jour de grisaille, le premier vers me revient à l’esprit, et pour le plaisir, je vous recopie aussi les suivants :

« Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l’horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits

Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l’Espérance, comme une chauve-souris,
S’en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D’une vaste prison imite les barreaux,
Et qu’un peuple muet d’infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

– Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; l’Espoir,
Vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir. »

Je conclue cet article par cette idée d’Evelyne Martini, à laquelle je tiens tout particulièrement :

«  C’est par la poésie que nous pouvons ramener les élèves – quelle que soit leur origine – au centre d’eux-mêmes, leur faire découvrir qu’il y a ce centre, à jamais »

12 réflexions au sujet de « Notre école a-t-elle un cœur ? – Evelyne Martini »

  1. Lili

    En tant que professeur de Lettres, ce livre pourrait m’intéresser. Il me semble brasser un certain nombre de considérations actuelles nécessaires, sans pour autant aller systématiquement dans le sens d’une éducation bisounours qui m’énerve.

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  2. Moglug Auteur de l’article

    Dans mon travail, je ne suis concernée que marginalement par les questions éducatives, mais j’ai trouvé ce livre assez bien fait et, en effet, on est assez loin du « bisounours » ! C’est un discours plutôt exigeant, comme il est nécessaire de l’être parfois pour avancer et tirer les enfants (et les adultes) vers le haut.

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  3. Cyve

    La difficulté aussi des profs est de devoir suivre un « programme », de devoir rendre des comptes aux inspections… C’est tout un système à remettre en question, en perspective, à travers l’individualité de quelques-uns… Les quelques profs que j’ai eus qui ont eu le courage de braver le système restent ceux qui m’ont le plus apporté, le plus appris… Trop peu nombreux!
    Dans le fond, ça me fait penser au film « Le cercle des poètes disparus », où cette question est déjà terriblement présente.

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    1. Moglug Auteur de l’article

      C’est vrai, il faut trouver l’équilibre entre liberté individuelle et « tronc commun » pour la préparation aux examens. Cela dit, si j’ai bien compris le livre, les enseignants ont le choix des livres dont ils veulent parler mais ils doivent respecter un programme de thématiques à aborder : théâtre, poésie, etc.

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      1. Cyve

        Au-delà de la préparation aux examens, il faut rendre des comptes sur la manière dont tu donnes ton cours, sur la matière que tu vois, etc… Après, évidemment, le problème de beaucoup d’enseignants est de n’être jamais sortis du système scolaire, ce qui les ferme parfois à la réalité de la vie; j’en ai connu aussi qui sortaient de ce carcan mais il leur fallait (et leur faut encore pour certains) une énergie et un courage particuliers. Où est la solution? Des deux côtés, je suppose, dans une réflexion de système et dans la responsabilité qu’ont les enseignants face à leurs élèves durant leurs heures de classe…

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  4. Une ribambelle

    Il y a tant à dire sur l’école. D’ailleurs, pourquoi vouloir UNE école ? Je pense que les écoles différentes (hors contrat ou autres) apportent tout autant et sont salvatrices pour certains élèves. Tout n’est pas que connaissance or je trouve que dans la conception que l’on a d’un enseignant, souvent on s’arrête à cela. Or ce n’est une feuille de l’arbre. Pour ce qui me concerne, les autres feuilles sont une autorité naturelle, une faculté à savoir transmettre, de la bienveillance, de l’exigence et savoir établir un lien entre l’école, l’élève et la famille.
    Plus jeune, j’aurais pu concevoir être enseignante (d’autant plus que c’est ce que je voulais faire) mais je me demande quand même si j’aurais pu appliquer des méthodes d’apprentissage auxquelles je n’adhérais pas. Quoique je me trouve plus rebelle maintenant que très jeune (je fais un peu les choses à l’envers).

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  5. Moglug Auteur de l’article

    Le sujet est vaste… Pour être enseignant, il peut être bon aussi d’avoir expérimenté d’autres métiers avant, d’être sorti du cadre scolaire et pour pouvoir proposer d’autres méthodes d’apprentissage, ou adapter ces méthodes afin qu’elle participe au mieux au bon développement de l’enfant.

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    1. Margotte

      Pas sûr qu’il soit souhaitable d’avoir exercé d’autres métiers avant d’enseigner. L’institution ne le voit pas forcément d’un bon œil. Clairement, on sort des sentiers battus et on « fait tache » car on n’aborde pas les problèmes par le même petit bout de la lorgnette.
      Je parle en connaissance de cause, c’est mon cas, et j’ai entendu bien des choses à ce propos de la part de ma hiérarchie et/ou des interlocuteurs institutionnels. Je vous passe les détails, c’est trop affligeant, il y a de quoi pleurer sur l’avenir de l’éducation…

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      1. Moglug Auteur de l’article

        Je n’imaginais pas que « l’institution » insiste à ce point pour que l’on reste dans les sentiers battus. C’est triste et extrêmement dommageable ! De mon côté, j’ai l’impression que beaucoup dépend des personnes, de leur point de vue, et de leur position pour le faire appliquer : s’il s’agit d’un supérieur hiérarchique avec une toute petite lorgnette, ou une lorgnette trop carrée, évidemment ça n’aide pas à la diversité….

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  6. claudialucia ma librairie

    Cet essai, est intéressant, je n’en doute pas et traite de sujets importants; mais quel type d’établissements fréquente l’auteur en tant qu’enseignante et inspectrice et où pour pouvoir se permettre de se poser des questions aussi raffinées?Ce qui m’intéresserait encore plus c’est de voir aborder le problème des inégalités sociales qui ne cessent d’apparaître dès la maternelle (et que la réforme actuelle ne fait qu’accentuer : communes pauvres et communes riches). Comment y faire face, y remédier?
    C’est aussi le problème de la difficulté d’enseigner dans un établissement où il faut d’abord peiner pour se faire respecter en tant qu’enseignant, faire de la discipline sans arrêt, donner des règles de conduite, lutter contre le sexisme, contre l’impolitesse, la violence, les idées reçues, l’intolérance religieuse, plutôt que d’étudier la littérature avec des élèves qui n’ont, en plus, pas toujours le niveau de lecture requis! Dans les essais, on ne voit pas souvent cet aspect là et pourtant!

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    1. Moglug Auteur de l’article

      En effet, ce point n’est pas suffisamment développé à mon goût (mais on ne peut pas tout traiter). Pour répondre à ta question, l’auteur a fréquenté des établissements très différents, notamment sur leur situation économique et sociologique, à la fois en tant que professeur mais aussi en tant qu’inspectrice, surtout des lycées publics parisiens, et de région parisienne. Elle ne s’attarde pas beaucoup sur le problème de l’apprentissage de la lecture, mais est parfaitement consciente des situations extrêmes dont tu parles. De mémoire (cette lecture date de plusieurs semaines), elle souligne aussi l’importance de ne pas sous-estimer les élèves (même si ce n’est pas aussi simple…).

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